Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Recommandations en urgence relatives au centre pénitentiaire de Grenoble-Varces (Isère)

29 septembre 2023

 

Au Journal officiel du 29 septembre 2023 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives au centre pénitentiaire de Grenoble-Varces (Isère).

L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.

Le ministre de la justice a apporté ses observations en réponse, également publiées au Journal officiel.

Lire les recommandations du CGLPL accompagnées des observations du ministre de la justice

Voir des photographies de la visite

 

 

Du 3 au 12 juillet 2023, une équipe de six contrôleurs a effectué une troisième visite, inopinée, du centre pénitentiaire de Grenoble-Varces (Isère). Lors de la visite, le taux d’occupation du quartier maison d’arrêt des hommes atteignait 173%, à quoi s’ajoutent de nombreux dysfonctionnements structurels, liés notamment à la vétusté du bâti et l’insuffisance du personnel. L’ensemble de ces éléments entraînent des atteintes graves à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes détenues. La visite a par ailleurs été marquée par un incendie qui, s’il n’a pas fait de victime, a perturbé le fonctionnement habituel de l’établissement, ce dont le CGLPL a tenu compte. Cependant, cet incident inquiétant illustre également les graves insuffisances dont souffre la prison.

 

La vétusté et la dégradation du bâti entraîne des conditions de détention indignes, aggravées par leur suroccupation

Le QMAH pâtit d’une surpopulation endémique, malgré l’expérimentation récente d’un mécanisme local de régulation carcérale, qui s’est soldé par un échec. Le centre pénitentiaire dispose d’une capacité opérationnelle de 275 places dont 198 places au quartier de la maison d’arrêt des hommes (QMAH). Le 10 juillet 2023, le taux d’occupation du QMAH était de 173 %, 342 détenus y étaient hébergés, avec quatre matelas au sol. Le dispositif de régulation carcérale fixait pour objectif de contribuer à la dignité des détenus en maintenant le taux d’occupation sous le seuil de 130 %, par le renforcement de la communication entre les différents acteurs de la chaîne pénale. Les signataires du protocole, rencontrés lors de la visite, déplorent cet insuccès. Le caractère local et non contraignant du dispositif semble avoir participé à son échec. Si son taux d’occupation baissait, le centre pénitentiaire devenait alors susceptible d’accueillir des détenus transférés pour désencombrement d’autres établissements. Résoudre une problématique structurelle qui se développe à l’échelle nationale ne saurait relever de solutions locales sans entraîner un effet de « vases communicants » réduisant à néant les effets positifs du dispositif et décourageant les acteurs qui s’y investissent.

Les conditions de détention, d’hygiène et de salubrité dans la maison d’arrêt des hommes sont indignes. Dans leur majorité les cellules ont une superficie inférieure à 9 m² et accueillent deux détenus. Lors de sa précédente visite, le CGLPL soulignait déjà le caractère insuffisant de l’espace disponible pour circuler dans les cellules, réduit à 4,5 m² pour deux personnes après retrait de la superficie occupée par le WC et le mobilier. Les espaces collectifs, aussi bien que les cellules, sont inadaptés, vétustes et dégradés. Les bâtiments ne sont ni isolés ni ventilés, ce qui entraine l’apparition de moisissures sur les murs, déjà sales et détériorés. Nombre de cellules ont des fenêtres qui ne ferment pas, dont les vitres sont cassées ou ont disparu, contraignant les détenus à occulter les ouvertures pour se protéger de la chaleur ou du froid. En été, la température y est insoutenable. Le mobilier, en mauvais état, est inadapté au nombre d’occupants. Dans certaines cellules, l’état des installations électriques présente des risques d’incendie et d’électrocution.

Les cours de promenade du QMAH ne sont équipées ni de préau, ni de WC, leur sol en béton y chauffe excessivement l’été. Lors de la visite, deux cours de promenade séparées par un mur ont été fermées car ce dernier menaçait de s’écrouler. Les locaux du quartier disciplinaire sont également dégradés. L’espace présenté comme servant de cour de promenade est une pièce dont la superficie n’excède pas 25 m², dépourvue de toute ouverture permettant un accès à l’air libre et au regard de s’échapper vers l’extérieur. Les parloirs, barreaudés, ressemblent à des cages. Ils sont sales, exigus et leur configuration ne permet aucune intimité.

Au-delà de leur dégradation, les espaces collectif, extérieurs et intérieurs, sont dans un état d’hygiène incompatible avec le respect de la dignité des personnes. Les douches collectives sont insalubres malgré plusieurs tentatives de réhabilitation. Comme dans le reste des bâtiments, la peinture et parfois l’enduit se détachent par plaques des murs et plafonds maculés de tâches et de moisissures. Des problèmes structurels d’humidité et de ventilation rendent les remises en peinture inutiles. Dans un état d’hygiène désastreux, la cuisine ne permet pas de garantir la sécurité sanitaire des aliments. Les murs et plafonds sont sales et abîmés, des plats frais sont préparés en dessous de murs souillés de moisissures.

Les investissements importants réalisés pour la rénovation du centre pénitentiaire de Grenoble (plus de 23 millions d’euros depuis 2010), ne permettent pas d’améliorer des conditions de détention qui exposent la population pénale comme le personnel à des risques pour leur sécurité. Le CGLPL s’interroge donc sur le choix de tentatives de rénovation d’une structure vieille de 55 ans, plutôt que d’en construire une nouvelle. Ces travaux ont par ailleurs été à l’origine de l’incendie du 3 juillet 2023, qui a révélé des failles dans le dispositif de sécurité, malgré un avis favorable de la commission de sécurité incendie de janvier 2020 : les travaux qui se déroulaient dans les ateliers de travail auraient été à l’origine du feu et en auraient entraîné la progression du fait du décloisonnement réalisé pour rénover les canalisations.

Aucune mesure de privation de liberté ne doit se dérouler dans des conditions matérielles qui ne garantissent pas le respect de la dignité et de la sécurité des personnes enfermées. Des décisions effectives et surtout pérennes doivent être mises en œuvre à cette fin. Et, dans l’attente, des alternatives à l’hébergement des détenus dans ces bâtiments doivent être trouvées. Enfin, des mesures urgentes doivent être adoptées pour remédier à la surpopulation carcérale du quartier maison d’arrêt de l’établissement et en prévenir la réapparition. Le recours à des matelas au sol doit être proscrit.

 

Le manque de moyens humains et matériels ne permet pas d’assurer l’intégrité physique et psychique des détenus, ni celle du personnel

Le centre pénitentiaire de Grenoble-Varces ne dispose pas des moyens humains nécessaires à la protection des personnes détenues et au respect de leur dignité. Le sous-effectif structurel dont souffre le centre pénitentiaire s’explique, en partie, par le calcul de la dotation en effectifs sur la base d’un organigramme théorique qui ne tient pas compte du nombre réel de détenus dans l’établissement suroccupé. Ce manque d’effectifs (personnel pénitentiaire, personnels de santé, administratif et technique) entraîne, en particulier pour les surveillants, un nombre d’heures supplémentaires qui semble incompatible avec le niveau de vigilance requis par la fonction. Dans ce contexte, aggravé par une équipe de direction fragilisée, un fort absentéisme est constaté sur l’établissement, ce qui tend encore davantage la situation. Le fonctionnement en mode dégradé est devenu la norme et aucune perspective à court terme ne permet d’espérer que la situation ne se redresse. Ces conditions de travail mettent les professionnels dans des situations intenables, sources d’un grand stress. Nombre d’entre eux ont fait part aux contrôleurs de leur souffrance au travail.

Ce manque d’effectif entraine de nombreuses atteintes aux droits des détenus. A plusieurs moments de la journée, il n’y a aucun surveillant dans les coursives, les postes fixes des quartiers spécifiques ne sont pas pourvus, les mouvements sont limités et les agents de l’unité sanitaire et de l’enseignement font état de retards fréquents dans l’acheminement des détenus. Certaines activités, dites « non essentielles », ont de ce fait été récemment supprimées, l’organisation des promenades est devenue très complexe et les parloirs sont excessivement limités dans leur nombre et leur durée.

Des pratiques professionnelles et déontologiques élémentaires sont insuffisamment contrôlées. Dans cet état permanent de sous-effectif, les pratiques professionnelles et déontologiques manquent de cadre et aggravent les conditions de détention et de prise en charge, notamment des détenus les plus vulnérables. Faute de personnel en détention et faute de moyens suffisants pour les protéger, les détenus les plus fragiles restent cloitrés dans leurs cellules. Les personnes détenues font l’objet de contraintes additionnelles non individualisées et notamment de fouilles systématiques après les parloirs. Des manquements à la déontologie ont été signalés ou observés directement par les contrôleurs : détenus comme professionnels ont évoqué les comportements inadéquats de certains agents – brimades, divulgation des motifs de condamnation, traitements discriminatoires. Si quelques agents sont concernés, il est observé une détérioration des comportements avec des risques de contagion.

Le centre pénitentiaire de Grenoble-Varces doit disposer d’un personnel en effectif suffisant, déterminé en fonction du nombre réel de personnes hébergées afin que les rythmes de travail garantissent une présence, une disponibilité et une vigilance suffisante d’agents dont le comportement doit être irréprochable. L’administration pénitentiaire, qui en est garante, doit prendre toute mesure pour y parvenir.