Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde)

Le CGLPL a réalisé une troisième visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan du 30 mai au 10 juin 2022. Au regard des constats effectués sur place, la Contrôleure générale avait considéré établie une violation grave des droits fondamentaux des personnes incarcérées et publié au Journal Officiel du 13 juillet 2022 des recommandations en urgence, sans attendre la finalisation du rapport de visite, conformément à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007.

Rapport de la troisième visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde)

Observations du ministère de la justice – Centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (3e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. 

 

Synthèse

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et une équipe constituée de onze contrôleurs ont effectué un contrôle inopiné du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (CPBG, Gironde), du 30 mai au 10 juin 2022. Cette mission constituait une troisième visite, faisant suite à deux contrôles réalisés pendant les mois de janvier 2009[1] et de juillet 2018[2].

Des recommandations en urgence ont été émises et adressées par courrier au ministre de la Justice et au ministre des Solidarités et de la Santé le 30 juin 2022, qui ont respectivement répondu par courrier les 11 et 12 juillet 2022. Ces recommandations et les réponses apportées ont été publiées au Journal officiel le 13 juillet 2022.

Un rapport provisoire a été adressé par courrier le 5 décembre 2022 au chef d’établissement, au président du TJ de Bordeaux et à la procureure près ce tribunal, à l’agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-aquitaine, aux directeurs du centre hospitalo-universitaire de Bordeaux et du centre hospitalier Charles Perrens, pour une période de réponse contradictoire de quatre semaines. Le président du TJ de Bordeaux et la procureure près ce tribunal, le chef d’établissement, et le directeur du centre hospitalier Charles Perrens ont fait respectivement valoir des observations par courrier, les 19 janvier, 23 janvier et 3 février 2023. Ces observations ont été prises en compte et intégrées dans le présent rapport.

Le CPBG fait face à une surpopulation carcérale historique, dans la quasi-totalité de ses quartiers, s’élevant à 234 % dans les quartiers maison d’arrêt des hommes du bâtiment A, qui comptait 127 matelas au sol.

Les conditions de détention dans la maison d’arrêt des hommes sont inhumaines. L’indignité des locaux et les inacceptables conditions d’hygiène et de sécurité justifient de mettre fin, de façon urgente, à l’hébergement de personnes détenues dans les bâtiments de la maison d’arrêt des hommes, en raison notamment des cinq années nécessaires à la finalisation des travaux de reconstruction. Les conditions d’hébergement, inchangées depuis les précédentes visites, révèlent un état général encore dégradé des locaux sous les effets conjugués de la surpopulation et du manque de maintenance. Les détenus vivent entre des murs lépreux, sous une lumière naturelle faible et électrique médiocre, devant occulter les ouvertures pour se protéger de la chaleur du soleil. Les deux locaux de douche par étage, sont insalubres à l’exception de ceux du premier étage, rénovés en 2021, aucune réhabilitation des autres n’ayant été engagée en 2022. Les WC ne garantissent pas plus que les douches l’intimité des détenus. L’absence de toute cellule adaptée dans les quartiers maison d’arrêt, ne permet pas d’accueillir dignement les personnes à mobilité réduite. Les deux cours de promenade sont dans un état notoire de vétusté et de saleté. Le traitement insuffisant des nuisibles et l’inadéquation de la collecte des déchets ne garantissent ni l’hygiène ni la salubrité.

La suroccupation qui affecte tous les aspects de la détention est responsable d’atteintes majeures des droits fondamentaux des personnes détenues[3]. Le temps passé en cellule peut atteindre vingt-sept heures consécutives. La distribution des repas est inéquitable, certains détenus se plaignant de sous-alimentation, et celle de certains produits frais de la cantine a montré des aliments impropres à la consommation. Le respect de la chaîne du froid est inexistant, et le nombre de réfrigérateurs, dont le temps d’obtention est très long, s’avère insuffisant. Des difficultés marquées de maintien des liens familiaux ont été constatées, en lien avec le temps d’obtention des permis de visite, l’existence d’appareils téléphoniques défectueux dans les cellules, et de mouvements désorganisés qui amputent le temps des parloirs.

L’intégrité physique des personnes détenues n’est pas assurée. Le protocole incendie ne permet pas de garantir la sécurité du personnel et des détenus. A l’occasion d’un feu de cellule survenu pendant la visite, une personne est décédée et une seconde a été transférée vers le service de réanimation du centre hospitalo-universitaire dans un état critique. Les très nombreux entretiens individuels réalisés avec les détenus ont révélé un climat de violence et d’insécurité.

De multiples carences affectent gravement l’accès aux soins des détenus, en raison de l’inadéquation du personnel soignant avec la situation de suroccupation, de l’effectif insuffisant et de la faible disponibilité des agents pour assurer les accompagnements vers l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire et le service médicopsychologique régional. La réorganisation des promenades a de plus bouleversé la planification des consultations. Des situations préoccupantes d’interférences de l’administration pénitentiaire dans la mise en œuvre des prescriptions médicales concernant les personnes détenues ont été rapportées. Le nombre de suicide est élevé, cinq personnes en 2020, six en 2021 et trois en 2022 jusqu’à la date de la visite ont mis un terme à leur existence dans ce centre pénitentiaire.

L’absentéisme des surveillants, qui peut atteindre 36 %, l’inadéquation de l’effectif du personnel d’insertion et de probation à la situation de l’établissement, et le sentiment d’insécurité des détenus et des agents, en raison de la présence d’un seul surveillant par coursive, reflètent l’exposition du personnel aux risques psychosociaux.

Un détenu sur cinq seulement exerce une activité rémunérée et les femmes n’ont plus accès au travail en concession. L’accès au travail et à la formation est insuffisamment individualisé et se trouve parfois refusé au seul motif de la commission d’un incident, sans considération du parcours, des capacités et des besoins de la personne concernée. Les conditions de travail et de rémunération ne respectent pas la réglementation. Les travailleurs du service général n’ont pas de jour de repos hebdomadaire, et les opérateurs chargés du tri en atelier ne disposent pas d’un mobilier adapté à leurs tâches, conformément aux exigences de l’inspection du travail dont l’intervention est lacunaire.

S’agissant enfin de l’exécution des peines, le parcours individuel des détenus est mis à mal par l’inadéquation des effectifs du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) avec la population carcérale, et le dynamisme de la politique d’aménagement des peines ne permet pas d’endiguer la surpopulation carcérale.

La suroccupation carcérale et ses effets sont enfin aggravés par un pilotage défaillant. L’absence de production d’un rapport annuel d’activité depuis 2019, de tenue d’un conseil annuel d’évaluation depuis 2020, et la réunion d’un seul comité de coordination annuel pendant la crise sanitaire, en visioconférence, n’en sont qu’une illustration.

[1] CGLPL, Rapport de la première visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, janvier 2009.

[2] CGLPL, Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, juillet 2018.

[3] V. CGLPL, Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale, Rapport thématique, 2018.