Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Recommandations en urgence relatives au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde)

© T. Chantegret – CGLPL

13 juillet 2022

 

Au Journal officiel du 13 juillet 2022 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde).

L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.

Le ministre de la justice et le ministre de la santé ont apporté leurs observations, également publiées au Journal officiel.

 

Lire les recommandations du CGLPL accompagnées des observations des ministres de la justice et de la santé

Voir des photographies de la visite

 

La troisième visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, réalisée du 30 mai au 10 juin 2022 par la Contrôleure générale et onze contrôleurs, a donné lieu au constat d’un nombre important de dysfonctionnements entrainant des atteintes graves à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes détenues dont les conditions de vie sont particulièrement indignes.

 

Une surpopulation dramatiquement élevée

Au 1er juin 2022, l’effectif de la population pénale s’élevait à 864 détenus pour 434 places (taux global d’occupation de 199 %). L’analyse par quartier montrait ce même jour un taux d’occupation de : 146 % au quartier femmes (35 détenues pour 24 places) ; 182 % au quartier arrivants (64 détenus pour 35 places) ; 200 % au quartier respecto (48 détenus pour 24 places) ; 234 % au bâtiment A (547 détenus pour 233 places) ; 235 % dans l’ensemble des quartiers maison d’arrêt hommes des bâtiments A et B (657 détenus pour 281 places). Seuls le quartier mineur (18 détenus pour 23 places) et la structure d’accompagnement vers la sortie (64 détenus pour 82 places) ne se trouvaient pas en situation de suroccupation.

À l’arrivée des contrôleurs, 145 cellules étaient triplées avec un matelas au sol. Les prévenus représentaient la moitié de la population détenue au centre pénitentiaire.

La grande majorité des personnes incarcérées sont enfermées en cellule vingt-deux heures sur vingt-quatre, sans accès à aucune activité. Cette situation s’est aggravée depuis l’instauration d’une promenade quotidienne unique.

Le personnel fait manifestement ce qu’il peut pour pallier les multiples difficultés auxquelles il est chaque jour confronté. Les conditions d’exercice de leurs missions entraînent de nombreux arrêts de travail chez les surveillants, notamment ceux affectés aux coursives. L’absentéisme des surveillants peut atteindre 36 % et entraîne la pérennisation d’un fonctionnement dégradé (présence d’un unique agent par coursive pour une centaine de détenus). L’effectif du service pénitentiaire d’insertion et de probation n’est pas davantage adapté à la situation de surpopulation de l’établissement.

 

Des conditions de détention inhumaines au quartier maison d’arrêt des hommes

Eu égard à l’état du bâti dans la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, l’hébergement d’êtres humains devrait y être proscrit.

Les cellules du bâtiment A ont une superficie, de 7,90 m² hors emprise des WC (celles du bâtiment B font 10m²) et de 2,57m², hors emprise du mobilier. Les murs sont lépreux, la luminosité naturelle est faible (21 lux) et la luminosité électrique médiocre (65 lux). Les WC ne sont séparés du reste de la cellule que par une mince cloison de contreplaqué et n’ont pas de porte ou des portes incomplètes. Les personnes détenues confectionnent des rideaux de fortune, en déchirant des draps, afin de s’assurer un minimum d’intimité.

Il fait très chaud en été et très froid en hiver, les fenêtres ne fermant pas correctement, voire pas du tout dans le bâtiment B où la plupart des vitrages en plexiglas ont été ôtés pour assurer un minimum de circulation d’air.

Les douches collectives sont insalubres (excepté celles du premier étage du bâtiment A, rénovées en 2021). Sans portes, elles ne garantissent aucune intimité, ne sont pas toutes fonctionnelles et sont dépourvues de dispositif de réglage de la température de l’eau, laquelle est souvent glacée ou brûlante.

Les personnes détenues ne sont pas autorisées à se doucher les dimanches et les jours fériés. L’absence d’accès à l’hygiène corporelle qui en résulte, pendant des durées qui peuvent atteindre 72h, représente une contrainte majeure pour trois détenus enfermés dans moins de 8 m², et parfois soumis à des températures caniculaires.

La gestion des déchets est mal organisée, particulièrement au bâtiment A. Les sacs d’ordures s’entassent dans les coursives, les containers ne sont descendus que le soir, infligeant aux détenus et au personnel des effluves nauséabonds. Cette situation contribue à la prolifération de nuisibles :  rats, punaises de lits, pigeons. Des cafards prolifèrent dans la majorité des cellules, s’introduisant dans les moindres recoins.

 

La reconstruction bâtimentaire ne peut être l’unique solution envisagée pour mettre fin à l’indignité des conditions de détention

Le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan fait l’objet, sur la période 2022-2027, d’un projet de reconstruction totale et d’augmentation de la capacité d’occupation en deux tranches de travaux.

Si une amélioration des conditions d’hébergement des détenus devrait en résulter, le CGLPL ne peut que déplorer le caractère d’ores et déjà sous-dimensionné de ce projet, puisque les 600 futures places d’hébergement ont vocation à accueillir presque 900 détenus : avant même de sortir de terre, les nouveaux locaux du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan sont en situation de suroccupation à hauteur de 150 %.

Vu la date prévisionnelle de livraison de la deuxième tranche des travaux (prévue en 2027), la mise en œuvre de ce projet n’est pas de nature à remédier à l’indignité des conditions actuelles de détention. Pendant les cinq années nécessaires à la finalisation des travaux de reconstruction, des solutions alternatives à l’hébergement de détenus dans ces bâtiments doivent être mises en œuvre de manière urgente.

 

L’intégrité physique des détenus n’est pas assurée

Un incendie en cellule s’est déclaré pendant la visite, entraînant le décès d’une personne détenue et l’hospitalisation d’une autre, malgré l’intervention des surveillants dans le respect du protocole. Eu égard à l’issue tragique de cet incident d’une particulière gravité et à la rapidité de combustion de cette cellule, le CGLPL ne peut que faire état de sa vive inquiétude et souligner la nécessité de questionner l’efficacité du protocole de sécurité incendie, dont la mise en œuvre n’a pas permis d’assurer la sécurité des occupants de la cellule, alors que l’incendie a eu lieu en service de jour, dans des conditions qui auraient dû faciliter tant son signalement que sa prise en charge par le personnel.

Les détenus font état d’un climat de violence. Les contrôleurs ont réalisé 171 entretiens avec des personnes détenues, au cours desquels nombre d’entre elles ont fait état d’un fort sentiment d’insécurité, invoquant notamment à cet égard des violences de la part de certains surveillants. D’autres comportements inappropriés et manquements déontologiques, imputés à certains surveillants et officiers, ont par ailleurs été rapportés aux contrôleurs : irrespect, injures, humiliations, agressivité verbale voire physique. Les rixes sont fréquentes et souvent très violentes dans les cours de promenade, exposant les détenus à d’importants dangers, faute d’intervention du personnel de surveillance.

 

Des graves carences affectent l’accès aux soins des détenus

Quatre facteurs principaux ont été identifiés comme étant à l’origine des entraves majeures constatées dans l’accès aux soins de la population pénale : l’équipe de l’unité sanitaire est dimensionnée pour dispenser des soins à une population carcérale théorique de 430 personnes détenues mais doit en réalité prendre en charge plus du double, à effectif constant ; les agents de surveillance sont trop peu nombreux et trop peu disponibles pour accompagner les détenus vers l’unité médicale ; la réorganisation des promenades a profondément bouleversé la planification des consultations, contraignant régulièrement les détenus ne bénéficiant plus que d’une promenade quotidienne à choisir entre accès à l’air libre et accès aux soins ; la suppression de l’équipe dédiée aux extractions médicales et son remplacement par une équipe locale de sécurité pénitentiaire sous-dimensionnée a  entraîné une augmentation du nombre des annulations d’extractions médicales.

Chaque jour, ce sont dix à quinze patients programmés en consultation à l’unité sanitaire qui ne s’y présentent pas et de nombreux rendez-vous sont reportés. Le problème est structurel et massif. Le service médico-psychologique rencontre les mêmes difficultés.

Plusieurs cas d’interférence de l’administration pénitentiaire dans les décisions médicales a également été rapportée aux contrôleurs : la gravité de situations cliniques jugées urgentes par le personnel de l’unité sanitaire a ainsi pu être minimisée, et des extractions médicales retardées ou annulées d’autorité. Ces pratiques relèvent d’une ingérence inacceptable du personnel pénitentiaire dans un domaine qui ne relève pas de sa compétence. Les conséquences de ce type d’interventions sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’État.

 

Le centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan doit faire l’objet, d’une part, de mesures urgentes concernant la surpopulation, la rénovation des cellules, la désinfection, l’accès aux soins et, d’autre part, d’une reprise en main du fonctionnement de l’établissement afin de garantir aux détenus le respect de leur dignité, de leur intégrité physique et de leurs droits fondamentaux et au personnel des conditions de travail décentes.