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Rapport relatif à la dignité des conditions de détention à la maison d’arrêt d’Albi (Tarn)

Rapport relatif à la dignité des conditions de détention à la maison d’arrêt d’Albi (Tarn)

Observation du ministère de la justice – Dignité des conditions de détention – Maison d’arrêt d’Albi

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la justice auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. 

 

Synthèse

 

La maison d’arrêt d’Albi a été inaugurée en 1968. Elle n’accueille que des hommes majeurs. Sa capacité a été modifiée à deux reprises jusqu’à la porter officiellement à 105 places. Elle a été contrôlée une première fois par le CGLPL en février 2014 et présentait alors un taux d’occupation de 128 %. L’établissement est situé dans le ressort de la cour d’appel de Toulouse (Haute-Garonne) et du tribunal judiciaire d’Albi ; il relève de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Toulouse.

D’importants travaux visant à la sécurisation de l’établissement ont été réalisés depuis la dernière visite du CGLPL dont l’aménagement de piliers et filets anti-projections sur la périphérie des bâtiments d’hébergement et des cours de promenade. De nombreux projets d’amélioration étaient en cours lors de cette deuxième visite, notamment l’équipement des cellules en douches et la modification de l’entrée à l’établissement en deux portes distinctes afin d’en fluidifier l’accès

 

1. L’établissement subit une surpopulation chronique

1.1         La densité carcérale est de 167 %

Les contrôleurs ont relevé 105 places opérationnelles calculées selon les termes de la circulaire du directeur de l’administration pénitentiaire JUSE88400016C du 17mars 1988. Le taux d’occupation est de 167 %. Seules 4 personnes sur 175 sont seules en cellule. La quasi-totalité des cellules est doublée et un grand nombre est triplé puisqu’on déplorait 29 matelas au sol au premier jour de la visite.

1.2         Les personnes détenues séjournent en moyenne moins de quatre mois à l’établissement

Les personnes détenues proviennent pour une grande part du TJ d’Albi, essentiellement dans le cadre d’affaires de violences intrafamiliales (34%), de délits liés aux stupéfiants et de délits routiers. Agées majoritairement de 30 à 39 ans, pour un tiers sans ressources suffisantes, les personnes séjournent en moyenne moins de 4 mois à la MA avant d’être transférées ou libérées.

Selon les informations recueillies, le parquet d’Albi, qui a connaissance de la surpopulation chronique de cet établissement, n’a pas diffusé d’instructions visant à limiter les incarcérations. De son côté, le tribunal de Castres tente d’orienter prioritairement les placements en détention vers la maison d’arrêt de Béziers.

2. Le sous-effectif du personnel de surveillance n’entraine pas de conséquences sur la prise en charge des personnes détenues grâce à une entraide permanente

Tous les postes de surveillants n’étant pas pourvus – 33 sont présents sur les 37 prévus à l’organigramme de référence – l’établissement fonctionne en mode dégradé. Deux départs prochains en retraite, sans remplacement annoncé, risquent d’amplifier les difficultés. Les agents voient leurs conditions de travail dégradées par la surpopulation et par les remplacements imposés par la situation.

Néanmoins, dans ce contexte, les contrôleurs ont observé la forte implication de l’ensemble des professionnels qui leur permet d’assurer leur service sans conséquences sur la prise en charge des personnes détenues. L’absentéisme est mineur ; seuls sont à déplorer deux arrêts de longue durée à la suite d’accidents de travail. La communication est fluide entre le personnel et les personnes détenues, les incidents sont rares et une réelle attention est portée aux personnes fragiles ou vulnérables.

3. L’état d’une partie des cellules et la superficie disponible caractérisent l’indignité des conditions de détention

 3.1         Faute d’encellulement individuel, l’espace disponible en cellule est indigne

En l’absence d’encellulement individuel, l’espace réellement disponible après retrait de l’équipement sanitaire et des meubles est compris selon les cellules entre 1,38 m² et 1,69 m² par occupant. Seul le dortoir qui héberge les détenus en « corvées extérieures » satisfait aux normes de 3 m² disponibles par personne. Les cellules destinées aux arrivants ne devraient pas héberger plus d’une personne pour respecter cette norme, d’autant que leur configuration (lit scellé en travers de la pièce) limite considérablement les possibilités de mouvements.

 3.2         Le mobilier des cellules est homogène mais n’est pas adapté au nombre d’occupants

                Le mobilier n’est pas adapté au nombre d’occupants et ne pourrait pas l’être, compte-tenu de la surface des cellules dans ce contexte de suroccupation.

3.3         Les cellules ne sont pas insalubres mais les températures peuvent être excessives

L’établissement ne présente pas de difficulté majeure en matière de salubrité et d’hygiène. Toutefois l’orientation des cellules et le climat entraînent des températures excessivement élevées dès qu’il fait du soleil.

Des ventilateurs sont disponibles sur le catalogue des cantines ; lors du déclenchement du plan canicule départemental, ils sont distribués à tous ainsi que des bouteilles d’eau minérale. Selon les propos recueillis, les personnes détenues sont alors autorisées à se rendre tour à tour dans les espaces de l’établissement équipés de climatisation.

4. Avec une offre de travail réduite, l’essentiel du temps passé hors cellule est constitué par la promenade

4.1         Toutes les personnes détenues sont en régime portes fermées

4.2         Malgré la volonté de proposer des activités, le temps d’enfermement quotidien est de 20 heures et 30 minutes

En l’absence de travail en ateliers, l’emploi se limite au service général soit 14 postes, correspondant à 8 % de la population pénale hébergée. A compter du 1er avril 2023, 5 postes supplémentaires d’auxiliaires seront ouverts. Par ailleurs, 36 places sont offertes en formation professionnelle rémunérée sur les différentes sessions. L’ensemble des professionnels veille à proposer les activités, le travail et la formation au plus grand nombre de personnes détenues.

Néanmoins, il est observé que les personnes qui participent effectivement aux activités sont régulièrement les mêmes. L’accès à la bibliothèque est inadapté. L’offre d’activité sportive est sous-dimensionnée, l’établissement ne proposant que l’activité musculation qui ne peut concerner que quatre détenus simultanément au motif que ne sont aménagées que quatre douches. Les personnes détenues en « corvées extérieures » ne bénéficient d’aucune activité en raison de leur encellulement au quartier de semi-liberté.

5. L’intégrité physique et psychique des personnes détenues n’est pas compromise mais leur intimité n’est pas garantie

5.1         La protection des personnes est assurée

Les personnes détenues n’expriment pas un sentiment d’insécurité ce que corrobore le nombre peu important de faits de violences recensé.

5.2         Les conditions matérielles d’hébergement et les fouilles à nu portent atteinte à l’intimité des personnes détenues

L’intimité des personnes n’est pas préservée en cellule en raison de la configuration des locaux et de leur suroccupation.

S’il n’a pas été rapporté de pratiques indignes lors des fouilles à nu, leur nombre est très important, notamment après les parloirs, au regard des découvertes, d’autant que leur traçabilité n’est pas exhaustive.

5.3         L’accès aux soins est assuré

L’accès aux soins est assuré dans des conditions satisfaisantes, hormis en ce qui concerne les rendez-vous dentaires dont les délais d’obtention sont longs. L’utilisation des moyens de contrainte lors des extractions médicales n’est pas individualisée. La configuration des lieux ne permet pas une accessibilité des personnes à mobilité réduite aux locaux situés en étage (parloirs et salle de commission de discipline).

Dans sa réponse au rapport provisoire, le directeur du centre hospitalier d’Albi indique « Vous notez de trop longs délais d’accès aux soins dentaires. Il m’apparaît important de vous informer qu’en 2021, la densité de chirurgiens-dentistes est de 50 pour 100.000 habitants dans le Tarn

6. La réinsertion est un objectif partagé mais les conditions d’accueil au parloir ne sont pas favorables

6.1         La configuration des parloirs ne permet pas l’intimité des échanges

A l’arrivée des contrôleurs, les personnes prévenues ne bénéficiaient que d’un parloir par semaine alors que le code de procédure pénale prévoit qu’ils en disposent de trois a minima. Alerté sur cette anomalie, le chef d’établissement a rétabli trois parloirs par semaine pour les prévenus à compter du 14 février 2023.

La configuration de la salle de parloir en îlots ne permet aucune intimité.

L’accueil des familles est assuré par une association de bénévoles. Depuis la COVID 19, les familles ne peuvent plus accéder au local d’accueil à l’issue des parloirs.

6.2         Le potentiel d’aménagement des peines en semi-liberté n’est pas exploité

De nombreuses personnes détenues rencontrées assurent être satisfaites du suivi du SPIP. L’absence de coordinateur culturel met en péril les activités socioculturelles pour 2023.

Alors que le taux d’occupation de l’établissement est de 167 %, le quartier de semi-liberté, installé au sein de la structure, et qui dispose de 9 places, est sous-exploité (4 personnes détenues placées en semi-liberté au jour de la visite des contrôleurs).

7. La mise à l’écart ne concerne que l’encellulement disciplinaire

7.1         La politique disciplinaire est dénaturée par des délais excessifs

De très longs délais de traitement des procédures disciplinaires ont été constatés. Des dossiers datant de juin 2022 – soit 8 mois -, étant encore en attente d’audiencement en commissions de discipline au jour de la visite.

En outre, le délai d’exécution des sanctions prononcées en commission de discipline (CDD) est tardif, de l’ordre de 46 décisions en attente, la plus ancienne datant de la CDD d’octobre 2022.

A titre d’exemple, le détenu présent en cellule disciplinaire au jour de la visite exécutait une sanction prononcée en octobre 2022 pour des faits datant de juin 2022.

En violation des principes généraux du droit, l’autorité décidant des poursuites disciplinaires peut être amenée à présider la commission de discipline.

7.2         Il n’existe pas de quartier ou de cellule d’isolement

8. Si les conditions indignes d’hébergement sont connues des autorités, les personnes détenues qui les subissent ignorent qu’un recours est envisageable

8.1         De nombreuses autorités et personnalités ont visité la maison d’arrêt durant l’année 2022

8.2         Non informées, les personnes détenues n’ont exercé aucun recours

Les autorités ont connaissance de la situation de l’établissement au regard de la surpopulation et des conditions indignes de détention. Concernant l’information de la population pénale sur la possibilité de recours dans le cadre de la loi du 8 avril 2021 relative au respect de la dignité en détention, la direction assure qu’avaient été affichés les fascicules « Le savez-vous ? » dans les coursives lors de sa parution. Aucun affichage ne subsistait lors de la visite des contrôleurs.

La dernière version du guide des arrivants du 26 septembre 2022 ne mentionne pas les possibilités de recours.

Les contrôleurs ont interrogé à la fois des surveillants, des personnes détenues mais également des familles en attente de parloirs sur leur connaissance des recours possibles pour constater que l’information faisait défaut.

Toutes les personnes détenues ont néanmoins indiqué ne pas vouloir être transférées.