Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de troisième visite du centre pénitentiaire de Grenoble-Varces (Isère)

Le CGLPL a réalisé une troisième visite du centre pénitentiaire de Grenoble-Varces du 3 au 12 juillet 2023. Au regard des constats effectués sur place, la Contrôleure générale avait considéré établie une violation grave des droits fondamentaux des personnes incarcérées et publié au Journal Officiel du 29 septembre 2023 des recommandations en urgence, sans attendre la finalisation du rapport de visite, conformément à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007.

Rapport de troisième visite du centre pénitentiaire de Grenoble-Varces (Isère)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Cinq contrôleurs ont effectué une visite inopinée du centre pénitentiaire (CP) de Grenoble-Varces (Isère), du 3 au 12 juillet 2023. Cette mission constituait une troisième visite faisant suite à un premier contrôle réalisé du 13 au 15 octobre 2009 et à un deuxième réalisé du 8 au 12 février 2016 ; le centre de semi-liberté avait fait l’objet d’un contrôle spécifique du 15 au 17 avril 2013 car il n’était pas rattaché à cette époque au CP.

Des recommandations en urgence ont été adressées par courrier au ministre de la Justice et au ministre des Solidarités et de la Santé le 22 août 2023 ; le ministre de la Justice y a répondu par courrier du 28 septembre 2023. Ces recommandations et les réponses qui leur ont été données ont été publiées au journal officiel le 29 septembre 2023.

La vétusté et la dégradation du bâti entraînent des conditions de détention indignes au quartier de la maison d’arrêt des hommes. L’état des cellules, de moins de 9 m², est très dégradé : fenêtres cassées ou inexistantes, murs sales, nombreuses moisissures, fils électriques apparents et prises électriques non fixées, non-respect de l’intimité en raison de la porte incomplète qui sépare le WC du reste de la cellule, équipements inadaptés au nombre d’occupants et en très mauvais état, chaleur insoutenable conduisant certains détenus à mouiller le sol pour se rafraîchir. Aucun bouton d’appel n’est installé. Lors de la visite, deux cours de promenade séparées par un mur ont été fermées car ce dernier menaçait de s’écrouler. Le quartier disciplinaire ne comprend comme cour de promenade qu’une salle fermée dépourvue de toute ouverture permettant un accès à l’air libre. Les parloirs sont barreaudés, sales et exigus et ne garantissent aucune confidentialité des échanges. Les conditions d’hygiène et de salubrité sont déplorables. Des rats s’introduisent dans les cellules depuis les toits-terrasses qui sont jonchés de déchets. Les douches collectives sont insalubres ; elles présentent de nombreuses moisissures et plusieurs tentatives de réhabilitation ont échoué en raison d’un problème structurel d’humidité. La cuisine ne respecte pas les normes d’hygiène minimales permettant de garantir la sécurité sanitaire des aliments. Lors de la visite, des cuisses de poulets, crues, étaient ainsi disposées, en attente d’être préparées, le long d’un mur dont le papier peint se décollait et qui présentait des coulées suspectes. Les locaux sanitaires sont tout autant vétustes et insalubres, exposant à des risques infectieux.

Les importants investissements réalisés ne permettent pas d’améliorer les conditions de détention. L’établissement est engagé dans des travaux incessants réalisés dans des conditions de suroccupation qui exposent détenus comme personnel à des risques pour leur sécurité. Pendant la visite, un grave incendie, qui a révélé des failles importantes de sécurité, s’est produit détruisant toute la zone des ateliers ; d’après les premiers éléments recueillis sur place, les travaux en seraient directement à l’origine.

Dans ce contexte, le centre pénitentiaire est confronté à un manque criant d’effectifs, ce dans tous les services. Pendant une journée de la visite du CGLPL, le centre pénitentiaire a dû fonctionner avec 23 surveillants au lieu de 60, et ce n’était pas la première fois qu’une telle situation se présentait. Malgré les anticipations et mutualisations d’effectifs, le fonctionnement en mode dégradé n’est même pas assuré, laissant l’établissement à la merci de dysfonctionnements, même minimes. Le manque d’effectif touche le personnel de santé, administratif et technique. Il entraîne une usure et un épuisement des professionnels présents, soumis à des conditions de travail incompatibles avec le niveau de vigilance requis par la fonction. Une importante souffrance au travail a été constatée. Dans ce contexte, des pratiques professionnelles et déontologiques élémentaires sont insuffisamment contrôlées : de nombreux témoignages font état de brimades et de traitements discriminatoires de certains surveillants envers les détenus. Si quelques agents sont concernés, il est observé une dégradation des comportements avec un risque de contagion. Des événements graves de violences ne sont pas considérés et traités à la hauteur des enjeux.

Ce manque d’effectif est directement à l’origine de nombreuses atteintes aux droits des détenus. A plusieurs moments de la journée, il n’y a aucun surveillant dans les coursives, les postes fixes des quartiers spécifiques (quartier disciplinaire et mineurs) ne sont pas pourvus, les mouvements sont limités et les agents de l’unité sanitaire et de l’enseignement font état de retards fréquents dans l’acheminement des détenus, voire de l’absence de personnel pour assurer ces déplacements. Certaines activités, dites « non essentielles » telles que la médiathèque, ont de ce fait été récemment supprimées, ce alors même que le travail aux ateliers est impossible depuis l’incendie et que l’organisation des promenades est devenue très complexe. Les parloirs sont par ailleurs excessivement limités dans leur nombre et leur durée, ce qui restreint la possibilité pour les détenus de voir leur famille. Des fouilles systématiques sont réalisées, en l’absence de local spécifique, dans des endroits ne préservant pas la dignité de la personne.

Enfin, le quartier maison d’arrêt des hommes est confronté à une surpopulation endémique qui n’arrive pas à être endiguée. Au jour de la visite, le taux d’occupation était de 174 % et quatre matelas au sol ont été installés durant le contrôle.

Malgré un protocole signé en 2020 entre le CP, le service pénitentiaire d’insertion et de probation et le tribunal judiciaire de Grenoble visant à assurer une régulation carcérale, tous les acteurs de ce protocole déplorent l’échec de ce mécanisme qu’ils expliquent notamment par la nature de la délinquance grenobloise et la rotation des nombreuses courtes peines. Les aménagements de peine ne prennent pas en compte la surpopulation dans un contexte où le quartier de semi-liberté fonctionne en mode dégradé.

Sept ans après la deuxième visite du CGLPL, la plupart des recommandations qui dénonçaient déjà les conditions indignes de détention et la surpopulation endémique n’ont pas été prises en compte alors même que l’établissement dispose d’atouts indéniables : professionnels dévoués à la grande conscience professionnelle, offre d’enseignement riche et bénéficiant à de nombreux détenus, activités socioculturelles diversifiées, gestion des incidents maîtrisée, équipements sportifs adaptés et récents, établissement engagé dans le numérique en détention qui va bénéficier prochainement de tablettes numériques, protection des documents personnels garantie par le service du greffe, quartier des mineurs qui illustre que quatre administrations différentes peuvent travailler de concert dans l’optique d’une prise en charge optimale.

Les contrôleurs ont été parfaitement accueillis malgré le contexte particulièrement difficile, un incendie s’étant notamment produit le premier jour de la visite.

Un rapport provisoire a été adressé le 4 janvier 2024 au chef d’établissement du CP, au préfet de l’Isère, à la présidente du TJ de Grenoble ainsi qu’au procureur de la République près ce tribunal, à la directrice du CHU « Grenoble-Alpes », à la directrice du CH « Alpes-Isère », à la directrice générale de l’ARS « Auvergne-Rhône-Alpes », au directeur du SPIP de l’Isère et à la directrice territoriale de la PJJ de l’Isère.

Le directeur du CP a fait valoir ses observations dans un courrier du 30 janvier 2024, la présidente du TJ de Grenoble et le procureur de la République près ce tribunal dans un courrier du 2 février 2024, prises en compte dans le présent rapport. Les autres destinataires du rapport provisoire n’ont pas présenté d’observations.