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Rapport de la deuxième visite de l’établissement public de santé mentale de La-Roche-sur-Foron (Haute-Savoie)

Rapport de deuxième visite de l’établissement public de santé mentale de La Roche sur Foron (Haute-Savoie)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Six contrôleurs ont effectué une visite, annoncée la semaine précédente, de l’établissement public de santé mentale 74 (EPSM 74), sis à La Roche-sur-Foron, du 6 au 10 mars 2023. Cet établissement avait été contrôlé une première fois en août 2014.

L’EPSM 74, qui est l’un des deux établissements du département de Haute-Savoie autorisés en psychiatrie adultes et habilités à accueillir des patients en soins sans consentement, compte au moment du contrôle 151 lits alors qu’avant la crise sanitaire sa capacité était de 208 lits, soit une perte de 27 % de sa capacité d’hospitalisation à temps plein (57 lits). Il comporte trois unités d’admission sectorisées de 25 lits (Brévent, Les Aravis et Les Voirons), trois unités spécialisées (une unité de soins intensifs en psychiatrie, Salève et Bionnassay) et une unité délocalisée, Les Rives du Léman, à la suite de la fermeture des unités d’hospitalisation à temps plein de Thonon-les-Bains. Presque toutes ces unités étaient occupées à 100 %, voire plus.

Sur une file active de 1 021 patients en 2022, 60% des patients étaient hospitalisés sous contrainte dont 86 % sur décision du directeur (dont 37 % dans le cadre d’un péril imminent et 40 % à la demande d’un tiers en urgence) et 14 % sur décision du représentant de l’Etat.

L’établissement est confronté à des vacances de postes qui représentent en 2022 un écart de 17 % entre l’effectif réel et l’effectif cible global. S’agissant plus particulièrement des infirmiers et des aides-soignants, les taux de vacance de poste au moment du contrôle sont disparates, allant de 49 % à 4,5 % selon les unités. La même année, le turn-over du personnel a été de 60% pour le personnel médical et de 24,7 % pour le personnel non médical. Pour y faire face, l’EPSM 74 a eu recours massivement à l’intérim.

Le manque de lits et les pénuries en personnel entraînent les répercussions suivantes pour les patients :

  • la moitié d’entre eux connaît deux unités différentes au cours de leur hospitalisation, la sectorisation des unités d’admission n’étant plus respectée, avec pour conséquence la perte de repères dans les soins ;
  • des patients sont directement admis en chambre d’isolement en l’absence de chambre d’hospitalisation disponible et des sorties sont anticipées pour libérer un lit ;
  • des délais sont longs pour accéder aux psychiatres en soins ambulatoires.

Les inter-secteurs de pédopsychiatrie ont uniquement une offre de soins en ambulatoire, à l’exception des cliniques privées. De ce fait, en 2022, 13 mineurs ont été hospitalisés en secteur adultes.

Des patients peuvent être amenés dans l’établissement par le service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) sans être passés par un service d’urgence. De façon générale, il n’existe aucun schéma d’organisation des urgences psychiatriques pour les mineurs et les adultes établi par l’agence régionale de santé.

Malgré ces difficultés, les contrôleurs ont constaté que les soins psychiatriques et somatiques sont dispensés de manière adaptée, sauf en matière d’addictologie.

Par ailleurs, sur le plan des ressources humaines, plusieurs initiatives ont des répercussions positives sur les droits fondamentaux des patients en soins sans consentement, à savoir le recrutement d’un médiateur de santé pair au mois de janvier 2023 et son implication aux côtés des équipes, la mise en place d’une supervision, l’instauration d’un tutorat, le recrutement d’un animateur sportif et d’un responsable culturel ainsi que la présence de deux éducateurs. A la différence des constats du CGLPL lors du contrôle effectué en 2014, de nombreuses activités thérapeutiques sont désormais proposées aux patients et un véritable projet culturel est désormais développé à l’échelle de l’établissement.

Les locaux, construits en 2012, sont parfaitement adaptés à la prise en charge des patients. Leurs larges ouvertures vitrées sur le parc et les montagnes ainsi que les couleurs chaudes qui habillent les couloirs confèrent un sentiment de sérénité. Les bâtiments sont globalement bien entretenus, sans dégradation majeure et ce, grâce à un service technique réactif.

Les chambres individuelles comportent une salle d’eau avec WC, elles sont bien équipées mais elles ne disposent pas toutes de verrou de confort.

Le linge des patients, dont le lavage est confié à un prestataire extérieur, est régulièrement égaré et traité sous un délai de trois semaines. Un autre prestataire retourne à l’établissement moins de couvertures et de pyjamas que ceux qui lui ont été confiés ce qui amenuise les stocks. Des patients se plaignent de ne pas obtenir de couverture supplémentaire. Les repas, préparés par des professionnels en relation avec une diététicienne investie, sont appréciés en quantité comme en qualité par les patients et font partie intégrante des soins.

La liberté d’aller et venir est fonction des unités. Brévent, Les Rives du Léman et l’USIP sont fermées. Salève est ouverte. Les Aravis et Les Voirons, qui disposent d’une partie fermée et d’une autre ouverte, ouvrent leurs portes d’accès à des horaires déterminés. Nombreux sont les patients qui circulent librement dans l’établissement, en sortent et y rentrent. Les autorisations de sortie sont accordées largement.

Les informations sur les règles de vie données dans les unités se limitent à des horaires très précis, au quart d’heure près. Toutefois, les patients ne disposent d’aucune information relative au lavage de leur linge, à l’usage du téléphone ou la gestion du tabac. Les restrictions dans la vie quotidienne (accès au tabac, téléphone, briquet) sont globalement effectuées de façon individualisée sauf à l’USIP où elles sont systématiques et indifférenciées.

La cafeteria permet aux familles de partager une boisson ou une collation avec leur proche hospitalisé et constitue un espace de convivialité et de socialisation, comme le parc. Depuis la crise sanitaire, il n’existe plus dans toutes les unités de salon de famille spécialement aménagé pour ces visites. Les personnes de confiance sont rarement désignées et dans la plupart des cas, cette désignation n’est pas effective, ladite personne ne l’ayant pas signée et donc acceptée.

La commission départementale des soins psychiatriques, réunie pour la dernière fois en janvier 2023 après trois ans d’inactivité, est inopérante de fait, ne comptant plus que deux membres.

L’établissement compte sept chambres d’isolement, seules celles de l’USIP permettent un accès à l’air libre et surtout 40 % des mesures se déroulent en espace non dédié. Si les mesures sont toutes tracées, aucune analyse systématique du registre n’est rapportée dans les unités ou ne semble être prévue alors que la proportion de la file active de patients concernée par le recours à l’isolement est de 30,9 % chez les adultes et, toujours chez les adultes, celle concernée par le recours à la contention est de 12,3 %. Au surplus, un certain nombre d’entre eux étaient en soins libres. L’USIP et Les Aravis disposent d’un espace d’apaisement mais aucun outil ne permet de mesurer leur impact sur les mesures d’isolement et de contention.

Au regard des durées d’isolement comptabilisées en 2022, le juge des libertés et de la détention aurait dû être saisi 239 fois alors que son contrôle était encore inexistant lors de la visite. L’établissement est dans une situation d’illégalité manifeste dans la mesure où, depuis la loi du 22 janvier 2022, cette voie de recours est un droit pour les patients et leurs proches.

Malgré la forte implication du personnel dans la préparation à la sortie, le manque de structures d’aval adaptées contraint de nombreux patients à attendre à l’hôpital plusieurs mois, voire plusieurs années, avant qu’une place ne se libère. Ainsi, sur les 151 lits que comptait l’EPSM 74 au moment du contrôle, 50 étaient occupés depuis plus de 292 jours par des patients très majoritairement hospitalisés par défaut de structure d’aval contre 66 au mois de juillet 2022.

L’établissement a accueilli 21 détenus en 2022. Ceux-ci sont souvent extraits sans avoir été mis en mesure de prendre suffisamment d’effets personnels ni de cigarettes et d’argent pour subvenir à leurs besoins. La fiche de liaison pénitentiaire ‒ à laquelle la fiche pénale ne devrait pas être jointe ‒ est lacunaire, ne comportant pas d’information sur les droits de visite et les communications à l’extérieur.

La visite s’est déroulée dans d’excellentes conditions, marquée par des échanges de qualité et très fluides. Les observations livrées en réunion de fin de visite ont été bien accueillies par l’ensemble des interlocuteurs.