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Rapport de la troisième visite du centre de détention de Roanne (Loire)

Rapport de troisième visite du centre de détention de Roanne (Loire)

Observations du ministère de la justice – centre de détention de Roanne (3e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. 

 

Synthèse

Sept contrôleurs ont effectué un contrôle inopiné du centre de détention (CD) de Roanne (Loire) du 6 au 10 février 2023. Cette mission constituait une troisième visite, après celles de 2009 et de 2015.

L’établissement, construit au nord-est de la commune, est en service depuis janvier 2009. Il dépend de la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Lyon (Rhône) et est situé dans les ressorts du tribunal judiciaire (TJ) de Roanne et de la cour d’appel de Lyon. Son fonctionnement s’inscrit dans un cadre de gestion déléguée à Eiffage s’agissant de la maintenance et de l’entretien, ainsi qu’à Gepsa pour les services à la personne et à Eurest pour la restauration et la cantine en particulier.

L’établissement offre 594 places pour des hommes et des femmes majeurs réparties à raison de 86 places pour les femmes dans un bâtiment (dont 3 places pour les arrivantes) et respectivement 240 et 241 places pour les hommes dans deux bâtiments, 27 places pour les arrivants[1]. S’y ajoutent une cellule de protection d’urgence (CProU) pour les femmes et une pour les hommes, 12 cellules d’isolement et 14 cellules disciplinaires pour les hommes, deux cellules d’isolement et deux cellules disciplinaires pour les femmes.

Les quatre places de nurserie au quartier des femmes ne sont plus en usage, préalablement à la mise en service d’un quartier de prise en charge de la radicalisation à la fin de l’année 2023.

Lors de la visite, 535 personnes (465 hommes et 70 femmes) sont détenues. Le taux d’occupation chez les hommes est généralement de 95 %, celui chez les femmes de 80 %.

Les constats effectués lors de la visite de février 2023 ‒ et par suite les bonnes pratiques et les recommandations formulées ‒ ne sont pas aisément comparables à ceux de la visite de 2015.

Les caractéristiques de la population pénale tendent à changer (arrivée de personnes exécutant des courtes peines, accueil de personnes en détention provisoire, présence moindre des auteurs d’infraction à caractère sexuel ‒ AICS).

L’encadrement de l’antenne du SPIP est insuffisante lors de la visite. La pénurie de surveillants et premiers surveillants, qui touche tous les services, ne facilite pas la prise en compte des droits fondamentaux des personnes détenues. Les conséquences négatives de ces manques sont toutefois amoindries par :

  • la spécialisation des agents, ce qui permet une bonne connaissance des postes et de la population pénale et garantit aux détenus des déplacements fluides ;
  • le maintien de l’effort de formation et la volonté de pouvoir discuter des pratiques professionnelles. Une initiative locale de formation aux pathologies psychiatriques assouplit durablement les pratiques des agents aux quartiers d’isolement et disciplinaire (QI-QD). Il est régulièrement recouru à la technique du retour d’expérience (RETEX) pour conduire l’ensemble des acteurs vers une meilleure gestion des incidents.

Les conditions d’hébergement des personnes détenues sont globalement favorables. Les cellules, individuelles, ont un équipement complet et fonctionnel, incluant la possibilité de fermer sa porte de cellule depuis l’intérieur et quand on quitte cette dernière, sauf à signaler un inconfort lié à des problèmes de chauffage, de ventilation et d’état des huisseries de fenêtre, ainsi que l’insuffisante régularité de la remise en peinture des murs et l’absence de lampe de chevet. Chaque unité est équipée de machines pour entretenir le linge et de conteneurs à poubelles mais les salles d’activité ont un équipement très spartiate qui n’incite pas la vie en collectivité. Les cours de promenade sont dépourvues d’assises et de tables dans les bâtiments pour hommes, y compris au quartier des arrivants. Au QI-QD, les cours sont vides de tout (urinoir, abri, point d’eau, assise).

Concernant la salubrité, est regrettée l’accumulation de déchets sur quelques abords des deux bâtiments pour les hommes, sans toutefois entraîner la présence de nuisibles et sans entacher l’impression globale d’un établissement bien entretenu. L’accès à l’hygiène individuelle est facilité par des dotations diverses.

Quant à la restauration, le régime végétarien ne doit pas être imposé par défaut. Des restes alimentaires repartent en cuisine alors que certains détenus dépourvus de ressources apprécieraient de manger davantage et que les grammages sont faibles. La distribution des repas par les auxiliaires n’est pas suffisamment contrôlée.

Des aides variées sont possibles pour les personnes sans ressources suffisantes mais, faute de réunion de la commission pluridisciplinaire unique (CPU) relative à la pauvreté, sont diversement connues des professionnels et mises en œuvre.

La qualité de la prise en charge des personnes à mobilité réduite (PMR) souffre encore de l’absence de cellule adaptée à leurs besoins au quartier des arrivants des hommes. L’aide à la personne est institutionnalisée mais le manque d’assistance quotidienne de proximité dégrade la qualité de la prise en charge.

A l’arrivée, les hommes bénéficient d’une information lacunaire, particulièrement ceux qui ne maîtrisent pas la langue française. Toutes les personnes détenues ont, pendant cette phase d’accueil, des activités insuffisantes, en décalage avec la durée du séjour supérieure à 10 jours.

Les régimes de détention (« différenciés » en trois niveaux chez les hommes, deux chez les femmes) se distinguent seulement par la liberté de circulation sur la coursive de l’unité sur des plages horaires plus ou moins étendues, ou le maintien en cellule. Plus encore chez les femmes, le régime ouvert s’accompagne d’une circulation réduite dans le couloir, les portes des cellules étant rabattues.

Les décisions de changement de régime ne s’accompagnent d’aucune motivation ni décision écrite transmise aux personnes détenues, y compris lorsqu’elle est prise en CPU.

La mixité entre les détenus et les détenues dans les activités est acceptée dans tous les discours et dans les faits, même si c’est récent. A contrario, l’offre de cantines pour les femmes n’est pas suffisamment genrée et visible. La vie affective et sexuelle entre personnes détenues s’exprime sans obstacles via les unités de vie familiale (UVF). Un mariage entre personnes du même sexe a eu lieu pendant la visite. La liberté de conscience est garantie par une offre cultuelle accessible et dynamique.

Une offre de formation professionnelle est à disposition des candidats.

L’activité du travail pénal s’est adaptée à la nouvelle législation en vigueur mais le nombre de postes ne permet pas de satisfaire toutes les demandes et les personnes les moins aptes sont pénalisées.

L’offre d’enseignement est tournée prioritairement vers les niveaux élémentaires.

L’offre sportive est dynamique et très accessible ; les activités s’exercent dans et hors l’établissement. Des activités physiques thérapeutiques, proposées par l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP), complètent le tableau. A l’exception de celle du quartier des arrivants des hommes, les médiathèques sont particulièrement bien achalandées et animées. Les activités socioculturelles sont foisonnantes, l’action du SPIP étant complétée par d’autres initiatives. L’ensemble mène à un « éventail d’activités thérapeutiques, éducatives, récréatives, sportives, artistiques et culturelles »[2].

Malgré la très bonne intégration de l’établissement dans le tissu associatif local et les nombreuses visites de représentants de la société civile, il manque des visiteurs de prison.

Le droit d’expression collective est organisé a minima et les comptes-rendus des réunions sont mal diffusés.

Le droit au maintien des liens familiaux et à entretenir des relations avec l’extérieur est pris en compte sans difficulté majeure, à travers les parloirs, les unités de vie familiale, le téléphone et le courrier. La fermeture de la maison d’accueil des familles avant le premier tour de parloir l’après-midi est toutefois dommageable, de même que l’absence de banc après le passage du portique de détection des masses métalliques à la porte d’entrée principale. Surtout, les autorisations de sortie sous escorte pour un événement familial ne sont pas réalisées à la hauteur des autorisation octroyées : des personnes sont privées d’assister aux obsèques de leurs parents.

L’accès au droit ne dépend que de l’intervention d’un écrivain-public rémunéré par le conseil départemental de l’accès au droit (CDAD), rarement sollicité. L’accès au droit de vote est investi à chaque scrutin. S’il est possible de faire établir ou renouveler une carte nationale d’identité, il est impossible d’obtenir ou renouveler un titre de séjour.

Les décisions administratives et judiciaires notifiées ne sont ni lues, ni expliquées. Elles ne sont pas laissées à la personne concernée dès lors qu’elles mentionnent son motif d’écrou mais leur consultation au parloir-avocats, dans le cadre du droit d’accès au dossier pénal notamment, est possible.

Si la volonté générale est bien de protéger l’intégrité physique et psychique des personnes détenues en prévenant les incidents, des témoignages attestent de situations conflictuelles qui se soldent par la réintégration forcée du détenu dans sa cellule (il y est « repoussé »), sans préoccupation quant à une éventuelle blessure et parfois accompagnée d’une rétrogradation de fait de son régime de détention. Les données de la vidéosurveillance ‒ laquelle ne couvre pas certaines zones, dont une partie du cheminement vers le QI-QD ‒ ne sont pas exploitées de façon transparente et systématique dans le cadre des enquêtes disciplinaires, qui sont peu approfondies et ne mettent pas en perspective les explications de tous les protagonistes afin de mieux éclairer la décision de poursuite devant la commission de discipline.

Parallèlement à cette procédure disciplinaire est mis en œuvre un système infra-disciplinaire dit « d’alternatives aux poursuites » :

  • dont le champ couvre à la fois celui des fautes disciplinaires et des sanctions disciplinaires (confinement, privation d’appareils) sans les garanties offertes par la procédure disciplinaire ;
  • sans harmonisation des pratiques des décideurs entre les deux bâtiments pour hommes ;
  • dont les décisions sont insuffisamment motivées.

Des hommes détenus exécutent leur sanction de confinement, prononcée par la commission de discipline ou dans le cadre des alternatives aux poursuites, au sein du quartier des arrivants.

Les détenus ont peu de réponse lorsqu’ils actionnent l’interphone dans leur cellule.

Les éventuelles victimes de coups et blessures se voient remettre un certificat médical.

Dans l’établissement, l’utilisation de moyens de contrainte et de la force est mesurée, y compris au QI-QD, où les mesures individuelles de « gestion équipée » sont décidées avec le souci concomitant de les enlever dès que possible. C’est d’ailleurs toute la gestion quotidienne assurée par le personnel de surveillance au QI-QD qui est animée par la volonté de « désescalade », malgré l’absence d’activités de sport ou d’enseignement dirigées, voire de groupe. Le placement à l’isolement s’accompagne aussi de la recherche des moyens d’individualiser les conditions de la mise à l’écart voire d’en sortir en réunissant une CPU « QI ».

En dehors de l’établissement, les entraves ne sont pas utilisées mais le port des menottes est systématisé.

Les fouilles à corps sont réalisées dans des locaux de plus en plus inadaptés au fur et à mesure qu’on s’élève dans les étages de la détention. Les femmes détenues sont invitées à soulever leur poitrine devant la surveillante. Les personnes transgenres dont la transition n’est pas achevée sont fouillées par moitié par un surveillant et une surveillante, au détriment de leur détermination personnelle.

Alors qu’elle bénéficiait d’une organisation particulièrement structurée et investie, l’USMP connaît de graves difficultés de recrutement médical ‒ et paramédical ‒ depuis quelques années. La présence des médecins généralistes est assurée par des temps très partiels et des intérims courts ; il n’y a plus de dentiste, d’ophtalmologue, ni de kinésithérapeute. Des soins ne sont pas assurés. La continuité du suivi médical et l’information des personnes détenues quant aux soins s’en ressentent, alors que le principe d’autonomie du patient était initialement valorisé et le consentement aux soins encouragé. Les extractions se multiplient, de même que leurs annulations ; quand elles se font, des atteintes au secret médical et à la confidentialité des soins résultent du maintien des surveillants dans la salle de soins au centre hospitalier de Roanne. Au sein de l’établissement, les mêmes atteintes résultent de l’inscription dans le logiciel GENESIS des rendez-vous avec les soignants spécialisés en santé mentale aux fins de communication au personnel pénitentiaire et aux magistrats, ainsi que de la présence d’un surveillant lors de séances de sport thérapeutique.

La personne de confiance désignée par la personne détenue n’est ni informée de sa désignation, ni associée aux soins alors que des prises en charge complexes sont mises en œuvre.

Faute de pouvoir hospitaliser dans des conditions respectueuses de la dignité humaine dans le service de psychiatrie du centre hospitalier de Roanne (systématisme de l’isolement et de la contention), les personnes détenues sont accompagnées dans le temps vers une admission en soins sans consentement à l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon, ce qui évite de surcroît au personnel pénitentiaire et au personnel hospitalier de recourir à la force et à l’injection.

L’USMP investit toujours les activités de prévention et de promotion de la santé.

Concernant le parcours d’exécution de peine (PEP) et la préparation de la sortie, les contrôleurs relèvent que :

  • le PEP ne concerne toujours qu’une minorité de personnes détenus (80 lors de la visite), et n’a pour contenu directement identifié que des rencontres avec l’unique psychologue PEP. Il résulte de l’initiative du détenu, sans sollicitation particulière. La vie en détention (régimes et activités) est sans lien avec le PEP ;
  • le magistrat en charge de l’application des peines ayant changé, la politique en la matière également. Le CGLPL critique des refus de permissions de sortir sur le fondement de simples comptes-rendus d’incidents et, en matière de retrait de crédit de réduction de peine (CRP), l’application d’un barème sévère qui semble pallier l’absence de poursuites judiciaires au titre de l’infraction commise ; les nouveaux droits de la défense en matière de retrait de CRP sont mis en œuvre ;
  • le délai de réunion du tribunal de l’application des peines (TAP) atteint les deux ans, bien au-delà du délai légal de six mois ;
  • la sortie en elle-même est préparée collectivement, en s’appuyant sur un partenariat diversifié, sans toutefois recourir à toutes les aides matérielles possibles.

A des fins de protection, des sortants sont parfois placés plusieurs jours au quartier des arrivants, ce qui conduit à subir un enfermement maximal préalablement à leur libération.

La plupart de ces difficultés sont connues des intervenants et des professionnels, de différents services et grades, qui se démarquent par leur investissement, leur ouverture et leur volonté de travailler ensemble mais se heurtent à la limite des ressources humaines disponibles. L’intérêt marqué par les représentants de tous ces services lors de la réunion de restitution des constats laisse augurer des évolutions supplémentaires dans le sens d’une meilleure prise en compte des droits fondamentaux des personnes dont ils ont la charge.

[1] L’établissement rapporte 599 places théoriques pour 563 places d’hébergement. Les deux bâtiments « hommes » comptent respectivement 240 et 241 places et 89 places pour le bâtiment « femmes » (dont quatre places en nurserie) 

[2] Recommandations minimales du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, Recommandation n°106.