Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania et du centre de détention d’Uturoa (Polynésie française)

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania et du centre de détention d’Uturoa (Polynésie française)

Observations du ministère de la justice – Centre pénitentiaire de Faa’a Nuutania et centre de détention d’Uturoa (2e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. 

 

Synthèse

Sept contrôleurs ont effectué une visite annoncée du centre pénitentiaire (CP) de Faa’a Nuutania du 2 au 6 mai 2022. Cette mission constituait la deuxième visite après un premier contrôle réalisé en décembre 2012.

Dans le cadre de la procédure contradictoire, un rapport provisoire a été adressé au chef d’établissement, à la directrice générale du centre hospitalier de Polynésie française (CHPF), au Haut-Commissaire de la République, à la présidente et au procureur de la République près le tribunal de première instance de Papeete. La direction de l’établissement a émis des observations sous couvert de la direction interrégionale de la mission des services pénitentiaires de l’outre-mer (MSPOM) et la directrice territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse a transmis ses observations via le chef d’établissement.

Le CP dispose d’un quartier hommes de 107 places théoriques comprenant en sus quatre places pour les mineurs, sept places pour les arrivants, une cellule d’isolement et quatre cellules disciplinaires.

Depuis une année, un bâtiment situé en surplomb du CP comporte 14 places pour les femmes prévenues et 14 places pour les femmes condamnées (CD femmes). Un « centre pour peines aménagées » (CPA) comporte 20 places théoriques.

Lors du contrôle, 173 hommes étaient hébergés dont 2 mineurs, 14 femmes outre 22 personnes au CPA.

Le taux d’occupation a drastiquement diminué depuis l’ouverture, en 2017, du centre de détention de Tatutu à Papeari (sud de Tahiti). Il est d’environ 120% sur la totalité des places et de 152% à la maison d’arrêt des hommes alors qu’il était d’environ 300% en 2012. Par ailleurs, les prévenus représentent 65 à 70% de la population carcérale.

Le fonctionnement général est marqué par une dynamique d’échanges réguliers permettant la circulation des informations. Le CP s’inscrit dans un partenariat de qualité avec les partenaires présents en détention et avec les partenaires extérieurs. Les agents de tous corps ont le souci d’améliorer les conditions de détention, par une certaine souplesse dans la gestion du quotidien des personnes détenues.

Au regard de l’importante vétusté du CP, construit dans les années 70, certains travaux ont été récemment réalisés et d’autres sont à venir (déjà budgétés), dont plusieurs sont en lien avec des contentieux devant la juridiction administrative. La réalisation des réfections est néanmoins ralentie par la présence d’amiante au sein de la structure.

Cependant, cette dynamique positive trouve ses limites dans l’absence de projet ambitieux de restructuration de l’établissement. Il convient de préciser sur ce point que l’agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) s’est rendue sur place du 13 au 22 juin 2022.

Les locaux restent indignes malgré les efforts réalisés localement en faveur de la réduction de la surpopulation pénale.

Même si les conditions d’hébergement se sont nettement améliorées depuis 2012, grâce à une réduction de la surpopulation et des travaux engagés, la vétusté des locaux ne permet pas d’assurer une prise en charge digne des personnes détenues.

Le nombre de détenus par cellule a diminué, mais l’encellulement individuel reste l’exception.

Des travaux d’ampleur touchant la structure de l’établissement doivent être engagés, notamment le système électrique qui est non conforme, un risque important en termes de sécurité incendie a été relevé (défaut de détecteur incendie dans les bâtiments) étant précisé que le CP a reçu en 2020 un avis défavorable de la commission sécurité et incendie.

De plus les cellules, indignes, doivent être rénovées à court terme (ventilation, installation électrique, mobilier, isolement de l’espace sanitaire). Leur nombre et leur taille ne permettent pas d’accueillir dignement plus de personnes détenues que la capacité théorique du CP qui devrait être respectée pour assurer des conditions dignes d’incarcération s’agissant du ratio superficie/nombre de personnes détenues.

Par ailleurs, toutes les cours de promenade doivent faire l’objet d’une réfection et être notamment équipées de mobilier urbain sportif, de bancs et d’un auvent, d’un point d’eau et de WC préservant l’intimité. Les rigoles doivent être recouvertes d’une grille afin d’assurer la sécurité des détenus (à l’étude).

Enfin, une réfection totale de la cuisine doit être engagée (seul le sol très abîmé doit faire l’objet de travaux déjà budgétés), des fuites importantes sont constatées au plafond en cas de grande pluie avec des résidus d’excréments de rat qui tombent, ce qui impose de cesser le travail.

La vie en détention est gérée avec souplesse et des améliorations sont à la portée de l’établissement.

  • Le séjour au quartier des arrivants manque de sens, notamment en l’absence de toute possibilité d’activité et de sport et souffre de l’absence d’équipe dédiée. L’affectation au sein de l’établissement n’est pas décidée en CPU ; elle est faite par les officiers en fonction du profil du détenu et des places disponibles et ne respecte pas les dispositions de l’article D93 du code de procédure pénale qui pose des critères d’affectation en cas d’impossibilité d’encellulement individuel.
  • Il est inacceptable que les quatre cellules dédiées aux mineurs se trouvent au milieu de cellules pour adultes. Par ailleurs, l’accès à l’enseignement est insuffisant puisque pour les mineurs de moins de 16 ans, le respect de la séparation stricte avec les adultes ne permet de leur offrir que 9 heures de cours par semaine. L’amélioration du rôle institutionnel de la PJJ dans la gestion de la détention depuis la première visite s’est dégradée. Les éducateurs d’insertion ne peuvent plus organiser 1h30 d’activité 4 jours par semaine en raison de la modification de l’emploi du temps scolaire et de la disponibilité limitée du surveillant référent. De plus, ils ne disposent pas de bureau au sein de l’établissement ce qui ne permet pas d’assurer une présence quotidienne. Enfin, les mineurs sont enfermés 22h/24 le week-end.
  • Les conditions d’hébergement des femmes au sein du nouveau bâtiment sont satisfaisantes. Elles peuvent toutes travailler et ont accès à de nombreuses activités.
  • Au centre pour peines aménagées (CPA), les mêmes restrictions qu’au quartier maison d’arrêt sont appliquées. Les principaux points d’amélioration suivants sont recommandés : les fouilles intégrales systématiques à chaque retour doivent être proscrites, le régime portes fermées est inadapté à la réalité du quotidien des hébergés, le téléphone portable devrait être autorisé particulièrement en raison de l’absence de poste téléphonique en cellule et de système de charge des téléphones portables, des activités devraient y être organisées.

 

L’accès aux activités est inégalement assuré.

Les activités sont peu nombreuses au grand quartier hommes – 3 heures par semaine au maximum – contrairement aux femmes qui bénéficient d’une occupation optimale. Par ailleurs, le fonds documentaire à la bibliothèque est très limité. De plus, alors que le CP dispose de trois moniteurs de sport (pour deux postes), le seul sport proposé est la musculation.

En revanche, l’offre d’enseignement est variée et satisfaisante.

Le travail est un point de vigilance.

L’offre de postes en classement est importante, favorisant l’insertion et l’autonomisation : 69 personnes sont classées au jour du contrôle sur 209 personnes hébergées, soit un tiers.

Néanmoins, pour le service général aucun bulletin de salaire n’est remis au travailleur. De plus, le quota alloué aux catégories de classement n’est pas respecté. Enfin, la réforme du travail pénitentiaire peine à se mettre en place au regard des spécificités de la Polynésie française.

Les modalités des relations avec l’extérieur ne sont pas optimales.

L’accueil des familles est plus que minimaliste, sans accès à un point d’eau ni à des WC et les 19 box ne permettent aucune intimité visuelle ni sonore.

Par ailleurs, il est inadmissible que les communications téléphoniques vers la Polynésie coûtent trois fois plus cher que vers la métropole.

Les fouilles et les moyens de contrainte ne répondent pas à un cadre clair.

  • La discipline est gérée dans un délai raisonnable et la procédure disciplinaire est lisible et cohérente.

Les incidents, qui sont peu nombreux, donnent lieu à des poursuites disciplinaires rapides. Les procédures disciplinaires sont rigoureuses et les CRI sont rapidement traités. Les enquêtes sont de bonne qualité et l’audiencement en CDD est rapide, sans retard dans l’exécution de la sanction. Mais des pratiques peu harmonisées sont relevées s’agissant des sanctions prononcées. Les quatre cellules disciplinaires sont équipées de douches. Néanmoins, trois cellules sur quatre sont dégradées.

  • Les fouilles ne peuvent pas faire l’objet d’une analyse des pratiques faute de données fiables de recensement et du flou dans l’application des textes.

Le régime juridique des fouilles n’est pas maîtrisé par les agents. Les données communiquées aux contrôleurs sur les fouilles aux parloirs font ressortir un taux de fouille excessivement élevé. Certains détenus peuvent être fouillés systématiquement sur plusieurs parloirs pendant plusieurs semaines sur la base de décisions de fouilles ponctuelles, sans mise en place de fouilles exorbitantes. Par ailleurs, les détenus du CPA sont fouillés quotidiennement à chaque retour dans l’établissement sur la base de décisions de « fouilles exorbitantes » prises pour une durée illégale et non notifiées aux détenus.

Dans ses observations, l’établissement fait valoir qu’une note spécifique sur les fouilles a été diffusée à la suite de la mission de contrôle et qu’un bilan sera réalisé en fin d’année 2022.

  • L’utilisation des moyens de contrainte ne répond pas à des critères clairement définis.

Au moment du contrôle, il n’y a pas de note de service sur l’utilisation des moyens de contrainte ni de registre d’utilisation des moyens de contrainte. Le niveau d’escorte est fixé par l’officier lors de l’entretien arrivant puis en CPU arrivants mais il n’est pas réévalué par la suite. Pour les extractions médicales, l’utilisation des moyens de contrainte est incohérente et un surveillant assiste à la consultation médicale en violation du secret médical.

Une réunion a été organisée en octobre 2022 sur ces sujets afin de mettre en place la réévaluation des niveaux d’escorte et d’engager une réflexion sur le déroulement des extractions médicales.

La préparation à la sortie est entravée par une politique d’application des peines restrictive et peu cohérente.

Il n’y a pas de dynamique de parcours d’exécution de peine ni de lisibilité de la politique d’aménagement de peine, qui est globalement restrictive et en inadéquation avec l‘esprit de la LPJ. Le parquet de l’exécution des peines, en difficulté au moment du contrôle, ramène à exécution très tardivement des peines antérieures ce qui fait obstacle aux projets de sortie.

Compte tenu de la gravité des constats relatifs à l’exécution et l’application des peines, un courrier a été adressé au garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 1er juin 2022. Dans sa réponse reçue le 10 août 2022, le ministre de la Justice informait le CGLPL de la saisine de l’inspection générale de la justice. Ces deux courriers sont annexés au présent rapport.

L’accès aux soins n’est pas optimal et les locaux sont particulièrement indignes.

Les locaux de l’unité sanitaire sont insalubres et totalement inadaptés aux soins (situés dans un sous-sol sans fenêtre, sans aération, trop exigus pour exercer l’ensemble des missions).

Le temps de médecin généraliste est insuffisant (un médecin libéral qui intervient à hauteur de 0,4 ETP) de même que s’agissant du dentiste (délai d’attente de 3 mois). Il n’y a pas de médecin addictologue malgré les besoins identifiés. Par ailleurs, faute de médecin chef de service, il n’y a pas d’animation du service. Trois psychologues dépendant du CHPF assurent des interventions quotidiennes si nécessaire, en exerçant leurs missions dans des conditions dégradées puisque les entretiens se tiennent dans les parloirs avocats qui ressemblent à des cages.

Il n’y a aucun respect du secret médical car les dossiers médicaux sont accessibles à tous. De plus, la table d’examen est située dans la pièce principale qui abrite le bureau des infirmiers avec pour seule cloison un rideau de douche.

L’hygiène des locaux est sans rapport avec un lieu de soins, le ménage étant réalisé succinctement par une société privée qui intervient moins de 10 minutes par jour.

De plus, la sécurité incendie ne respecte pas les normes des établissements recevant du public (ERP) car il n’y a pas d’issue de secours, le brancardage n’est pas possible, un escalier sans ascenseur empêche les personnes à mobilité réduite (PMR) d’y accéder.

Malgré ces conditions de travail catastrophiques et non réglementaires, l’accès aux soins est assuré de manière remarquable par des infirmiers expérimentés, impliqués, qui pallient l’insuffisance d’effectif médical.

Un projet de création d’une nouvelle unité sanitaire dans des locaux annexes est en réflexion et devrait être intégré dans le projet plus ambitieux de rénovation de l’établissement.