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Rapport de visite du centre hospitalier d’Erstein (Bas-Rhin)

Rapport de visite du centre hospitalier d’Erstein (Bas-Rhin)

Observations du ministère de la santé – Centre hospitalier d’Erstein

Suivi des recommandations à 3 ans – Centre hospitalier d’Erstein

 

Synthèse

Sept contrôleurs et une stagiaire ont effectué une visite annoncée du centre hospitalier d’Erstein (Bas-Rhin) du 1er au 5 avril 2019. Cette mission a fait l’objet d’un rapport provisoire qui a été adressé le 14 novembre 2019 au directeur du centre hospitalier, au préfet du Bas-Rhin, à la déléguée départementale de l’agence régionale de santé, au président du tribunal de grande instance de Strasbourg et au procureur de la République près ce tribunal. Les chefs de juridiction et le directeur de l’hôpital ont émis des observations, respectivement les 12 et 16 décembre 2019. Elles ont été intégrées au présent rapport. Il s’agissait d’une première visite.

Ouvert en 1974, le centre hospitalier (CH) d’Erstein est l’un des trois sites d’hospitalisation psychiatrique du Bas-Rhin. Il regroupe une trentaine de structures hétérogènes, permettant la prise en charge complète des patients des trois secteurs de psychiatrie adulte et du secteur infanto-juvénile dont il a la charge. Lors de la visite, le CH d’Erstein offrait 203 lits de psychiatrie, tous à Erstein, répartis entre huit unités dont l’une admet des patients mineurs de plus de seize ans. Le 1er avril 2019, ces unités hébergeaient 196 patients. Le taux d’occupation augmente ces dernières années et elles connaissent de plus en plus régulièrement des périodes de suroccupation. Les solutions pour résorber efficacement cette saturation sont balbutiantes. Chaque unité peut accueillir des patients en soins sans consentement (SSC) : au jour de la visite, le CH comptait cinquante-et-un patients sous ce statut, dont 43 % en soins pour péril imminent. Il emploie 700 personnes, dont environ la moitié dans les unités d’hospitalisation complète en psychiatrie. Les effectifs sont fidèles et expérimentés mais le nombre de départs en retraite et les difficultés de remplacement constituent un point de préoccupation. Le nombre de médecins est légèrement insuffisant ; le phénomène est particulièrement marqué pour les somaticiens. Le budget est à l’équilibre.

Les contrôleurs ont relevé de nombreux points positifs dans l’exercice et la protection des droits des patients. Les restrictions sont limitées et individualisées dans les unités, les visites sont organisées de façon libérale, la sexualité des malades est prise en compte, les activités culturelles et sportives sont nombreuses, l’exercice du culte est possible, les patients ont accès à la Wifi. Les soins sont bienveillants, organisés dans la pluridisciplinarité et en lien étroit avec l’extra-hospitalier. La parole des patients est prise en compte, dans leurs réclamations écrites ou orales ou par leur participation à des réunions soignants-soignés très régulières. La préparation à la sortie est une véritable préoccupation pour l’ensemble des professionnels de soin.

En revanche, le nombre d’unités fermées sur l’extérieur a surpris les contrôleurs. Lors de la mission, une seule des huit unités pouvant accueillir des patients en soins sans consentement était ouverte, y compris celles majoritairement occupées par des patients en soins libres. De fait, les contrôleurs ont peu croisé de patients dans le parc alors que d’autres établissements de santé mentale valorisent au contraire l’accès thérapeutique au domaine. En outre, aucun patient ne pouvait ouvrir sa fenêtre librement et les patients âgés n’avaient pas accès à leurs biens.

Les différences d’approche flagrantes entre les deux pôles sectoriels ne sont pas justifiées par le public pris en charge. Le projet d’établissement, inexistant lors de la visite, était supplanté par les deux projets de pôle. Le temps de présence médicale est un peu faible, en tout cas insuffisant pour permettre un pilotage, une harmonisation ou une solide analyse des pratiques. L’examen somatique n’est pas systématique à l’entrée ; il n’est pas réalisé pour les placements en chambre d’isolement. Au total, la prise en charge du patient en pâtit car elle est morcelée et discontinue. Le « parcours patient » est à réinventer.

Les aspects procéduraux des droits des patients en soins sans consentement constituent un autre point de préoccupation. Lors de la visite, la notification des décisions était loin d’être systématique ; celles-ci étaient même parfois antidatées. Les certificats médicaux de soixante-douze heures et l’avis motivé de maintien en SSC à l’attention du juge des libertés et de la détention étaient rédigés au même moment, sur le même document et avec la même motivation. Les patients sont rarement présents à l’audience devant ce juge, du fait d’un taux anormalement élevé de contrindications médicales soit à la comparution elle-même, soit au transport. Les refus de sortie de courte durée pour les patients en soins à la demande du représentant de l’Etat ne sont pas toujours motivés.

Les locaux d’isolement, pourtant récents, ne sont pas satisfaisants du point de vue matériel. Par ailleurs, de nombreux patients en soins libres sont placés en chambre d’isolement alors que cette mesure doit être exceptionnelle les concernant et sans que leur statut soit modifié s’ils y sont admis plus de douze heures. Le registre d’isolement et de contention existe mais ne permet pas une analyse des pratiques et les décisions ne sont pas toujours suffisamment motivées. Le nombre de mesures augmente : au début de l’année 2019, une hausse de plus de 40 % était constatée par rapport à l’année précédente. La chambre d’isolement est par ailleurs un mode de prise en charge sur le long terme pour certains patients, ce qui constitue une atteinte à leurs droits fondamentaux : d’autres solutions doivent être dégagées pour ceux-ci. Les équipes de sécurité sont enfin trop présentes dans les espaces d’isolement : leur intervention est devenue le principe pour toute ouverture de chambre. Cette procédure constitue une violation du secret médical et conduit à des dérives inacceptables : repas décalés pour certains patients parce que les agents de sécurité sont pris par une autre tâche, prescriptions médicales d’ouverture sans agent de sécurité non suivies d’effet, etc.

Au travers des réponses au rapport provisoire et des documents transmis après la visite, les contrôleurs ont constaté d’importantes évolutions en faveur des droits des patients au CH d’Erstein, dont le projet d’établissement est désormais en cours d’écriture. Du point de vue matériel, l’accès aux biens est désormais possible en psychogériatrie et le patient peut ouvrir librement sa fenêtre. Une réflexion est en cours quant à l’ouverture des unités : d’ores et déjà les trois unités d’admission ont été partiellement ouvertes. Une organisation a été mise en place afin que l’équipe de sécurité soit mise à distance dans les espaces d’isolement et que leur intervention soit plus limitée. La formation (isolement, droits des patients, prévention des violences, savoirs de base pour les agents nouvellement affectés en psychiatrie) a été renforcée. De nombreux protocoles, fiches de procédure, certificats-type ont été mis à jour et diffusés après la visite, tenant compte des recommandations du CGLPL (par exemple relatives à la notification de leurs droits aux patients, à la désignation de la personne de confiance, ou encore aux pratiques du collège des professionnels de santé). Ces efforts doivent être encore intensifiés et soutenus sur la durée afin de pérenniser les bonnes pratiques. Il reste également au CH d’Erstein de travailler sur deux problématiques en lien avec ses partenaires :

  • la première est persistante et ne pourra être corrigée qu’en concertation avec les magistrats : il s’agit du très faible taux de comparution des patients à l’audience du juge des libertés et de la détention, à mettre en lien avec l’organisation des audiences (seule l’audience du lundi a lieu à Erstein, les deux autres audiences de la semaine se tenant dans les autres établissements psychiatriques du ressort, obligeant ainsi à transporter les patients d’un hôpital à l’autre) ;
  • la seconde est nouvelle et doit être réfléchie à l’échelle du territoire, en lien avec l’agence régionale de santé : c’est celle de la saturation de l’établissement et de l’augmentation parallèle de la durée moyenne de séjour des patients en soins sans consentement.