Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Ducos (Martinique)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères intéressés auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite par les ministères de la justice et de la santé.

Synthèse

Sept contrôleurs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ont visité le centre pénitentiaire (CP) de Ducos (Martinique), du lundi 9 au vendredi 13 octobre 2017. Cette mission constituait une deuxième visite faisant suite à un premier contrôle réalisé du 3 au 7 novembre et le 12 novembre 2009. Dans l’intermédiaire, suite à une action de l’OIP[1], le tribunal administratif a enjoint par ordonnance en date du 17 octobre 2014 la mise en place de neuf mesures dont l’état d’avancement est analysé dans le rapport faisant suite à la visite du CGLPL.

Ce rapport a été adressé, en vue du recueil de leurs éventuelles observations, au directeur du centre pénitentiaire de Ducos, à la directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation de Martinique, au président du tribunal de grande instance (TGI) de Fort-de-France, au procureur de la République près le TGI de Fort-de-France, au bâtonnier de l’ordre des avocats de Martinique, au directeur général du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Fort-de-France et au directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Martinique. Ont fait parvenir leurs observations, intégrées dans le rapport joint, le directeur du CP de Ducos, le président du TGI de Fort-de-France, le procureur de la République près ce tribunal, le bâtonnier de l’ordre des avocats de Martinique.

Le centre pénitentiaire est implanté à Ducos, ville de 18 000 habitants située sur la côte Ouest de la Martinique, à 15 km de Fort-de-France. C’est le seul établissement pénitentiaire de Martinique.

L’entretien des bâtiments et des systèmes de sécurité, et le nettoyage des bâtiments administratifs et des abords sont délégués à un prestataire extérieur, la société IDEX depuis le mois de février 2017.

Le CP regroupe le « grand quartier » et le « quartier centre de détention régional » (QCDR).

  • Le grand quartier comporte deux quartiers maisons d’arrêt pour hommes (MAH1 et MAH2), un quartier pour mineurs (QM), deux centres de détention pour hommes (CD1 et CD2), un quartier des femmes (QFE) parfois dénommé maison d’arrêt des femmes (MAF), le SMPR[2] et l’USMP[3] ; il comporte des parloirs, des parloirs familiaux et des unités de vie familiale. En août 2016 le DAC2 (dispositif d’accroissement n°2) a augmenté la capacité de la maison d’arrêt des hommes de 160 cellules – cette extension était prévue initialement pour augmenter le nombre de places en CD –, un terrain de sport et trois parkings ont été construits.
  • Le QCDR comporte un centre de détention (CD) et un quartier de semi-liberté (QSL), des parloirs et des parloirs familiaux.

Pour une capacité théorique de 736 places dont 32 pour les femmes, au 1e octobre 2017, le CP hébergeait 876 personnes dont 23 femmes (595 condamnés dont 13 femmes, 281 prévenus dont 10 femmes) donnant un taux global d’occupation de 119 %. La population pénale comptait également 16 semi-libres (dont une femme), 20 hommes en placement extérieur et 110 personnes (dont 3 femmes) placées sous surveillance électronique. Parmi la population pénale, 17 % étaient des étrangers appartenant à dix-neuf nationalités.

L’effectif moyen des personnes détenues du centre a globalement progressé depuis la visite de 2009 : 833 en 2009, 870 en 2010 et en 2011, 960 en 2012, 1 030 en 2013 et en 2014, 991 en 2015, 1 089 en 2016.

Le taux d’occupation global, de l’ordre de 120 %, masque le taux moyen d’encellulement individuel des CD, qui est de 28 % alors que la règle est de 100 %. Dans les maisons d’arrêt des hommes, le taux d’encellulement individuel est compris entre 2,7 % et 9,5 %.

Le personnel pénitentiaire est au nombre de 280, en augmentation depuis 2009. Il bénéficie d’une expérience professionnelle acquise dans d’autres établissements avant d’avoir rejoint le CP. L’absence de fidélisation du personnel de surveillance à un quartier donné et l’interdiction faite aux femmes d’occuper des postes en détention conduisent du personnel masculin à occuper les postes les plus exposés ; cette situation participe au développement de l’absentéisme qui atteint des sommets (34 %) par période.

Les quartiers de la maison d’arrêt MAH1 ont peu évolué ; la moitié de la cour de promenade de la MAH1 demeure inutilisable tant elle est boueuse ; les cellules sont en mauvais état et la saleté des murs conduit certains occupants à mettre des morceaux de carton aux murs, notamment le long de leur lit, pour ne pas être au contact de la crasse. Les douches collectives dans les cours de promenade ont été équipées de cloisons qui ne préservent que partiellement l’intimité. Le nouveau quartier MAH2 présente des qualités d’habitabilité conformes à celles des établissements pénitentiaires les plus récents. Pour les femmes comme pour les mineurs, la situation demeure inchangée : le volume des activités est très faible, même si les mineurs bénéficient d’une prise en charge adaptée. Les cellules du QCDR sont toujours vétustes mais les personnes détenues préfèrent y demeurer plutôt que de retourner dans la détention ordinaire. L’état du QSL n’a pas été non plus amélioré. En dépit des campagnes de dératisation et de désinsectisation, les rats et les insectes sont encore bien présents. Le nouveau quartier des arrivants n’est pas encore ouvert en raison d’importantes inondations.

Aucun des documents délivrés n’est traduit dans une langue étrangère. La tradition orale est fortement ancrée : le projet de règlement intérieur étant en cours de validation, l’ancien était introuvable ; l’application GENESIS est sous-utilisée.

La nourriture est insuffisante en quantité comme en qualité, servie à des heures anormales ne respectant pas les délais réglementaires entre les repas. La cantine pourrait manifestement proposer un éventail élargi de produits. Les réfrigérateurs et les téléviseurs sont pour beaucoup hors d’état de fonctionner et il n’a pas été possible d’en obtenir un inventaire.

Les fouilles intégrales, insuffisamment tracées, sont systématiques dans différentes occasions telles que le retour de la formation professionnelle de maraîchers et des chantiers extérieurs.

Depuis la disparition des matelas au sol, la vie quotidienne en détention apparaît plus supportable. Cela s’est traduit par une diminution des incidents. Pour autant, l’activité de la commission de discipline reste constante. Comme en 2009, les délais entre les faits et le passage devant cette commission sont trop longs et avec une faible présence des avocats. L’explication donnée par l’ordre des avocats de Martinique en est principalement le refus de l’administration pénitentiaire « de ramener le nombre d’audiences à deux par semaine, et d’organiser une audience en visioconférence par semaine à partir du palais de justice ». Cette
position du barreau fait fi du respect des droits des personnes détenues.

En ce qui concerne les relations avec l’extérieur, si les conditions matérielles des visites aux parloirs se sont améliorées, les durées de 30 minutes sont trop courtes et les prévenus ne peuvent pas avoir de visites pendant les week-ends. Le circuit du courrier n’est pas sécurisé, les boîtes à lettre étant relevées par les surveillants en poste en détention. Les points-phone sont pour la plupart indisponibles pour des durées indéterminées ; l’intimité des conversations
n’est pas assurée et le paramétrage visant à éviter qu’une conversation soit écoutée indûment par l’administration pénitentiaire est incertain.

Le point d’accès au droit était inactif au moins depuis 2015. A l’issue de la visite, le président du tribunal de grande instance de Fort-de-France l’a réactivé. Le délégué du Défenseur des droits n’est plus sollicité depuis 2014.

Les documents d’identité ne peuvent plus être délivrés faute de prises d’empreintes biométriques à l’intérieur de l’établissement.

La traçabilité des requêtes n’est pas assurée. Le droit d’expression collective n’est pas mis en œuvre.

Des efforts ont été conduits en matière de santé et doivent être poursuivis. Des postes demeurent vacants pour les soins somatiques et surtout pour les soins psychiatriques. Lors des extractions à caractère médical, le menottage est systématique, comme l’est la présence des surveillants pénitentiaires durant les consultations à l’hôpital.

La prévention du suicide est organisée. Elle aurait fait l’objet de développements complémentaires après la visite des contrôleurs en raison de trois suicides survenus peu après. Les interphones de très nombreuses cellules sont indisponibles et ces pannes ne peuvent pas être détectées de façon centralisée.

Le volume des activités proposées à la population carcérale est encore plus faible qu’en 2009 car le nombre de postes de travail ouvert aux ateliers est très limité. Aucune formation professionnelle n’a été proposée depuis 2013. L’enseignement n’est pas à la hauteur des besoins. Les activités socioculturelles souffrent du manque d’espace disponible et ne peuvent pas être offertes à tous les quartiers.

Le service pénitentiaire d’insertion et de probation dispose d’un effectif suffisant mais fonctionne sans dynamique institutionnelle. A l’issue de la visite, le président du TGI de Fort-de-France a fait savoir que des dispositions avaient été prises localement pour faire évoluer la situation.

L’équipe de direction est apparue investie, ainsi que les cadres intermédiaires, ce qui n’est pas le cas d’une partie du personnel de surveillance, dont par ailleurs le taux d’absentéisme est anormalement élevé. Dans les secteurs sans brigade, l’absence de fidélisation des surveillants les empêche de connaître la population pénale de façon satisfaisante.


[1]
OIP : l’observatoire international des prisons.

[2]
SMPR : service médico-psychologique régional.

[3]
USMP : unité sanitaire en milieu pénitentiaire