Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Mise en œuvre par la France de la Convention internationale des droits de l’enfant

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté s’est rendue le 8 juin 2015 à Genève pour participer à une pré-session du Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies dans le cadre de l’examen du cinquième rapport périodique de la France sur l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Dans le cadre de sa mission, enfants détenus, enfants placés en centre éducatif fermé (CEF), enfants maintenus en zone d’attente, local ou centre de rétention administrative, enfants hospitalisés en psychiatrie sans leur consentement.

Cette rencontre a été l’occasion de faire part au Comité des droits de l’enfant des constats et recommandations du CGLPL relatifs aux mineurs privés de libertés.

 

TORTURE ET PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS INHUMAINS OU DEGRADANTS

Le CGLPL a régulièrement constaté que l’obligation de contrôle qui pèse sur diverses instances administratives et judiciaires était le plus souvent formelle et parfois inexécutée : lorsqu’elles visitent les établissements pénitentiaires, les autorités le font de manière rapide et partielle ; les mineurs ne sont pas toujours rencontrés ni mis en situation de pouvoir dénoncer d’éventuels mauvais traitements ou violences. Le CGLPL a observé que la crainte de représailles empêchait souvent les personnes de dénoncer officiellement les mauvais traitements subis.

S’agissant des violences susceptibles d’être imputées aux surveillants, l’administration pénitentiaire ne donne pas toujours suite aux courriers de mineurs dénonçant les violences et autres comportements dégradants (insultes, humiliations). Le service éducatif de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), informé des mauvais traitements allégués par un mineur, ne se donne pas toujours les moyens de s’assurer que la plainte a été prise en considération.

S’agissant des violences commises entre mineurs détenus, le CGLPL rappelle ses recommandations du 26 mars 2014 relatives au quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone, représentatif de la situation des quartiers de mineurs : les cours de promenade ne sont dotées d’aucun équipement, les surveillants n’y sont pas présents, la surveillance s’effectue à distance ; elles sont donc le lieu de trafics et de violences, avec des conséquences d’autant plus graves que les procédures d’intervention des surveillants sont lourdes et lentes. Les établissements ne donnent pas de suite adaptée, ni en termes d’éducation ni en termes de sanction ; les évènements ne font pas toujours l’objet d’un compte-rendu d’incident.

Le rapport d’évaluation conjoint de l’inspection des services pénitentiaires et de l’inspection de la protection judiciaire de la jeunesse relatif aux violences à l’encontre des personnels en établissement pour mineurs (EPM) publié en 2010 mettait déjà en avant le manque de formation et d’expérience des personnels, les conduisant parfois à des postures professionnelles inadaptées. Le CGLPL, cinq ans plus tard, note que ce constat perdure.

S’agissant des CEF, certains traitements dégradants infligés aux enfants échappent également aux autorités de contrôle. Le CGLPL a constaté que des éducateurs, le plus souvent dépourvus de qualification, recouraient à des propos ou comportements humiliants, à la contrainte physique, et, plus rarement, à la violence. Les contrôleurs ont par ailleurs constaté que certaines équipes procédaient régulièrement à des fouilles à nu ou semi-nu.

Ces constats sont à mettre en relation avec ceux que le CGLPL a exprimé dès 2009 à travers des recommandations du 1er décembre 2010 relatives à quatre CEF : le manque de qualification des éducateurs, le flou des projets d’établissement, les disparités dans les modes de prise en charge, l’absence de formalisation de projets individuels pour les enfants, les difficultés à définir la notion de discipline et les moyens de la faire respecter, l’absence de contrôle effectif, constituent autant de risques de voir les enfants soumis à des traitements inappropriés. Le CGLPL a pris, le 17 octobre 2013, de nouvelles recommandations suite à des constats de nature comparable, opérés dans les CEF d’Hendaye et de Pionsat.

 

LIBERTE DE PENSEE, DE CONSCIENCE ET DE RELIGION

Comme indiqué dans un avis du 24 mars 2011 relatif à l’exercice du culte dans les lieux de privation de liberté, le CGLPL estime que les signes ou symboles discrets, les ouvrages et objets nécessaires à la vie spirituelle doivent pouvoir être conservés dès lors qu’ils ne portent pas atteintes à la sécurité ; que les personnels doivent rester neutres et s’abstenir de tout commentaire tendancieux ou méprisant à l’égard des pratiques religieuses ; que l’administration doit pouvoir s’assurer qu’un nombre d’aumôniers suffisant est agréé au regard du nombre de personnes se réclamant d’une religion, fut-elle minoritaire et que ces aumôniers interviennent dans des conditions équivalentes.

Le CGLPL constate qu’il est difficile aux personnes, majeures et mineures, se revendiquant d’une autre religion que chrétienne de respecter les prescriptions de leur culte.

 

MAINTIEN DES LIENS FAMILIAUX

De nombreux mineurs sont éloignés de leur famille dans le cadre d’une mesure pénale. Un grand nombre de CEF et établissements pénitentiaires sont situés à la périphérie des villes et mal desservis par les transports en commun. L’éloignement, le coût des transports et l’absence de locaux adaptés pour accueillir les fratries sont autant d’obstacles au maintien des liens familiaux.

Le CGLPL a par ailleurs observé que rares étaient les établissements – CEF et EPM – capables d’associer les parents aux actions éducatives et de les soutenir dans leur rôle de parents. Les services de milieu ouvert qui devraient intervenir pour assurer le lien entre l’ensemble des intervenants ne jouent pas toujours leur rôle.

 

SANTE ET BIEN-ETRE

Le CGLPL constate que de nombreuses difficultés subsistent, non seulement dans les établissements éducatifs et pénitentiaires mais également dans les hôpitaux.

Dans les CEF et dans les EPM, a fortiori dans les quartiers pour mineurs, le personnel est insuffisant en nombre et insuffisamment formé pour prendre correctement en charge les difficultés psychologiques des adolescents ; les actions d’information et de prévention y sont peu fréquentes. Le CGLPL constate en outre qu’il est très difficile au personnel de santé des CEF de s’adjoindre la collaboration des structures de soins de droit commun, elles-mêmes surchargées.

Dans les établissements psychiatriques, le CGLPL a constaté, à plusieurs reprises, que des enfants de moins de seize ans étaient placés dans les mêmes services que les adultes et ne bénéficiaient donc pas d’un environnement et de soins appropriés à leur âge. Certains enfants sont placés à l’isolement, parfois sous contention, dans les mêmes conditions que des adultes. Il n’existe pas toujours de dispositif permettant de rendre compte clairement dans quelles conditions et pour quelle durée ces mesures ont été prises, ni de vérifier si le titulaire de l’autorité parentale ou un adulte susceptible d’agir dans l’intérêt du mineur a été informé.

 

EDUCATION, LOISIRS ET ACTIVITES CULTURELLES

Le CGLPL a observé, en CEF notamment, que la part consacrée à l’enseignement était très réduite (souvent moins de cinq heures hebdomadaires par enfant) et que les enseignants détachés de l’Education Nationale ne disposaient pas tous d’une formation ni d’un soutien adéquats. Le CGLPL a constaté à plusieurs reprises que des CEF accueillant des enfants soumis à l’obligation scolaire étaient dépourvus d’enseignants pendant plusieurs mois, voire une année scolaire. La situation n’est pas meilleure dans les quartiers pour mineurs.

Plus largement, le manque d’activités est patent dans la plupart des lieux de privation de liberté, et tout particulièrement dans les quartiers pour mineurs où les enfants sont inactifs pendant de longues heures. En CEF, l’organisation d’activités est très variable selon le dynamisme des équipes. Il arrive souvent que les activités soient improvisées et d’un intérêt éducatif limité.

 

ENFANTS PLACES EN CENTRE DE RETENTION ADMINISTRATIVE ET EN ZONE D’ATTENTE 

Le CGLPL a pu constater que la situation des mineurs isolés placés en zone d’attente à Roissy s’était améliorée (local séparé des adultes, soutien d’une association, examen médical) mais demeurait très anxiogène. Il estime que l’intervention de l’Etat devrait être plus protectrice  – accueil en maison d’enfants, accès immédiat à un administrateur ad hoc et à un avocat, rétablissement d’un lien avec la famille – afin de garantir à la fois un environnement apaisant et l’exercice des voies de recours. L’autorité judiciaire paraît la mieux à même d’organiser cette protection.

Le CGLPL s’inquiète de la situation des enfants placés au CRA de Mayotte où, selon le rapport publié pour l’année 2013 par les associations intervenant en CRA, 3512 mineurs auraient été accueillis durant l’année. Ces conditions, en effet, sont emblématiques de celles rencontrées par les mineurs vivant outre-mer. Outre les conditions d’hébergement, qualifiées de « dramatiques » et « dégradantes » par les parlementaires français dans un rapport d’information publié en 2012[1], la situation des mineurs isolés était qualifiée, dans ce même rapport, de « catastrophe sociale, économique et humanitaire » et « phénomène collatéral des reconduites à la frontière ». Les mineurs, encore moins que les adultes, n’ont un accès effectif au droit : pas de soutien associatif organisé par l’Etat, pas de recours suspensif, pas ou très peu d’accès au juge, éloignement très rapide.

Le statut juridique des enfants accompagnant les adultes ne donne pas toujours lieu à vérification précise ; certains mineurs en effet ont été éloignés en même temps que des majeurs avec qui le lien juridique n’était pas établi, alors même que l’un de leurs parents séjournait légalement sur le territoire.

S’agissant du test osseux auquel il est fréquemment recouru pour déterminer l’âge d’une personne, le CGLPL appuie sans réserve les recommandations du Comité des droits de l’enfant tendant à l’abandon d’un examen dont la fiabilité est largement et depuis longtemps contestée par les scientifiques.

 

ADMINISTRATION DE LA JUSTICE POUR MINEURS

Le CGLPL constate que, malgré le maintien de principes affichant la primauté de l’action éducative, le droit des mineurs tend à se rapprocher du droit des majeurs.

Le CGLPL estime que l’âge de la responsabilité pénale devrait être précisément fixé, à un âge ne pouvant être inférieur à 13 ans. Il considère que les seuils actuels autorisant le placement en garde à vue ainsi que la prolongation ne sont pas conformes au niveau de développement des enfants et devraient être relevés. Il considère que la durée maximum de la mesure ne devrait en aucun cas dépasser 48h et que tous les enfants devraient bénéficier de l’assistance d’un avocat dès la première heure ainsi que d’un examen médical. Le CGLPL estime aussi que l’autorité judiciaire devrait exercer un contrôle accru sur le déroulement des mesures de garde à vue de mineurs.

Le CGLPL estime que les mineurs devraient toujours bénéficier de juridictions spécialisées et qu’il conviendrait, en conséquence, d’abolir les tribunaux correctionnels pour mineurs. Il considère que les mineurs doivent échapper aux procédures de jugement à bref délais, qu’il doit être davantage tenu compte des éléments de personnalité, que les mesures éducatives doivent être prioritaires et que la peine, lorsqu’elle est indispensable, doit toujours être atténuée par rapport à celle encourue par un majeur pour les mêmes faits.

Le CGLPL a par ailleurs constaté que l’architecture des EPM, qui se voulait, à l’origine, moins carcérale que les établissements traditionnels, avait évolué pour restaurer plus de grilles et diminuer les espaces d’autonomie.

Enfin, le CGLPL regrette l’absence de politique sérieuse d’évaluation et de suivi des jeunes placés en CEF ou incarcérés ; il craint que ce passage ne constitue qu’une rupture supplémentaire dans une vie qui, en général, en a déjà connu beaucoup.

[1] Rapport d’information de JP. Sueur, C. Cointat et F. Desplan, sénateurs, publié suite à une mission à Mayotte du 11 au 15 mars 2012.