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Rapport de visite du centre hospitalier Henri Guérin à Pierrefeu-du-Var (Var)

Rapport de visite du centre hospitalier Henri Guérin de Pierrefeu-du-Var (Var)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la santé et de la justice auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Six contrôleurs ont visité du 5 au 9 juin 2023, le centre hospitalier Henri Guérin (CHHG) de Pierrefeu-du-Var. En réponse au rapport établi au terme de cette visite, le directeur de l’établissement a adressé ses observations en date du 21 novembre 2023, observations qui prennent en compte plusieurs recommandations notamment celles relatives au bâtimentaire, à l’accès aux soins somatiques et aux directives anticipées en psychiatrie ainsi que celle concernant les modalités d’audience du juge des libertés et de la détention.

L’établissement spécialisé prend en charge quatre des treize secteurs de psychiatrie adultes correspondant à une population de 406 000 habitants et un inter-secteur de pédopsychiatrie du département du Var. Il dispose d’une offre complète de structures ambulatoires et a repris la responsabilité de la prise en charge de deux secteurs de Draguignan (150 000 habitants) pour les patients en soins sans consentement (SSC). Enfin, des équipes de psychiatrie de liaison sont présentes dans les hôpitaux de Hyères et Brignoles, assurant les urgences psychiatriques.

L’intra hospitalier est concentré sur le site de Pierrefeu-du-Var avec, fin 2022, 134 lits. Six unités ainsi que le service des urgences de Hyères ont fait l’objet du présent contrôle qui a mis en évidence les points suivants :

Concernant la gestion des restrictions de liberté et le respect de la dignité

Une profonde évolution a marqué les cinq dernières années sur les restrictions de liberté d’aller et venir avec l’ouverture des portes de tous les services à l’exception d’une unité fermée destinée à l’admission des situations les plus à risque (mais avec des autorisations de sortie). Dans les services, l’accès à la cour est permis jusqu’à 23h00 et le port du pyjama a cessé.

Il reste néanmoins quelques restrictions non individualisées, non motivées et non proportionnées comme l’accès au tabac et le retrait des télécommandes qui sont variables selon les unités, l’interdiction de toute nourriture non périssable dans les chambres, l’interdiction d’accès des familles aux chambres. Le téléphone portable est encore systématiquement retiré à l’unité Palmier 1, les cordons de recharges sont laissés ou retirés selon les services ; il n’y a pas d’allume-cigarette dans les cours intérieures ; enfin, il n’y a pas encore de verrou de confort sur toutes les portes des chambres.

Concernant l’enfermement en chambre d’isolement, l’analyse du registre d’isolement semble indiquer, avec les précautions d’usage liées à la configuration d’une seule unité rassemblant les trois CI, un taux d’isolement par rapport à la file active totale des services d’admission de 16,5 % et un taux de contention de 2,8 % ; les durées moyennes d’isolement restent élevées, à 96 heures en 2023 et surtout, très souvent supérieures à 72 heures (54 % en 2022) ; la moyenne des durées des contentions s’établit à 17 heures en 2023. De fait, l’isolement est encore trop utilisé en prévention du suicide.

Enfin, des travaux sur des locaux indignes seront à prioriser en urgence. Ainsi, à l’unité pour « troubles envahissants du développement » (TED), tant les chambres que les espaces collectifs, la cour et le mobilier sont totalement inadaptés au public accueilli. L’unité Platanes dispose de chambres non individuelles dont certaines ne sont équipées ni d’un point d’eau ni de toilettes.

Les autres services présentent des caractéristiques permettant l’exercice serein de la psychiatrie avec de nombreuses salles d’activités et de vie, des espaces collectifs intérieurs et extérieurs bien équipés avec tables, bancs, paniers de basket, table de ping-pong ; le parc de l’établissement est convivial ; des paravents dans certains services permettent le respect de l’intimité dans les chambres occupées par deux patients.

Concernant le respect du droit à l’accès aux soins :

La proportion des patients en SSC sur l’ensemble des soins est passée en cinq ans de 25 % à plus de 52 %, avec une augmentation des admissions se poursuivant depuis la fermeture de Draguignan. La gestion des lits est désormais assez tendue avec des listes d’attente en psychiatrie du sujet âgé et des lits hospitaliers de patients isolés utilisés pour des admissions.

Surtout, la filière des urgences psychiatriques n’est pas organisée ; des patients sont amenés en hospitalisation au CHS sans passer par un service d’urgence, privant le patient d’un bilan somatique complet sur un plateau technique adapté ; à quelques reprises par an, des patients sont même amenés sans même avoir sollicité l’autorisation du psychiatre depuis certains hôpitaux périphériques. Une convention entre le CHS et les hôpitaux sièges de services d’urgence devra clarifier le rôle de chacun au sein de la filière de prise en charge, y compris les responsabilités lors de contention.

Il n’y a pas encore partout de projet médico-soignant précisant l’organisation des soins en fonction des besoins des patients comme énoncé dans le décret d’autorisation de mars 2022, organisation des soins comprenant la nécessaire protocolisation de la surveillance des patients à risque suicidaire ou de sorties contre avis médical.

La présence médicale dans les services intra hospitaliers souffre d’un taux de vacance de postes de praticiens hospitaliers (PH) de 66 % compensé en partie par des contractuels mais laissant entre cinq et six postes vacants ; il n’y a pas assez de partage d’expériences et d’échanges de pratiques entre les médecins des différents pôles, même si on observe la tenue dans tous les services et pôles, de réunions cliniques et de synthèses régulières. En revanche, la conciliation médicamenteuse est initiée au sein de quelques services.

L’accès aux soins somatiques n’est pas assuré ; le service Odyssée ne dispose pas d’un accès à un somaticien en semaine, aucune permanence de cet accès n’est assurée en journée par l’ensemble des médecins (ou d’autres), toutes les admissions ne bénéficient ainsi pas d’un examen somatique et il est impossible pour un psychiatre d’avoir partout un accès à un somaticien pour un patient placé en isolement-contention lorsqu’il en estime le besoin. Par ailleurs, le faible nombre de somaticiens empêche la mise en place d’un suivi des maladies chroniques, des dépistage des cancers et la participation à des séances d’éducation à la santé, en nutrition ou addictologie par exemple.

L’accès est également difficile pour les autres spécialités puisqu’aucun spécialiste ne se déplace sur l’établissement, y compris le service d’addictologie, et il n’y a plus de plateau de consultations externes ni cabinet dentaire.

Les activités thérapeutiques sont vite associées au projet de soins et bénéficient d’infrastructures et d’une offre impressionnante, que ce soit à travers l’art-thérapie, l’activité physique ou les autres médiations mises en place et proposées.

La recherche du consentement est insuffisamment développée ; l’explication des certificats médicaux et les recueils des observations du patient sur ces certificats sont aléatoires en fonction des services et des médecins ; la personne de confiance est souvent désignée mais donne rarement son accord formellement et est très rarement associée aux soins, même si les familles sont, elles, souvent sollicitées ; les directives anticipées en psychiatrie ne sont pas encore déployées sauf au pôle Centre ; au surplus, de très nombreuses prescriptions en « si besoin » de traitements en injectable sont en cours, dont une depuis deux ans.

Enfin, il n’y a pas de réflexion institutionnelle sur la sexualité, thème dont pourrait par exemple utilement s’emparer un comité d’éthique à remettre en place.

Concernant le patient sujet de droit :

Si le livret d’accueil contient de nombreuses informations, l’affichage sur les droits des patients est variable selon les unités ; en revanche, les règles de vie sont quasi partout disponibles.

Les décisions sont notifiées et remises dès que le patient est en capacité de les recevoir, mais jamais les certificats médicaux alors même que leur contenu n’est pas repris in extenso dans les décisions. Des médecins généralistes ou psychiatres libéraux établissent, en lieu et place des certificats médicaux réglementaires, des « lettres d’adressage » ; de plus, les certificats médicaux rédigés aux urgences sont souvent insuffisamment motivés et circonstanciés, jamais horodatés, et l’absence de second médecin amène l’utilisation presque exclusive des mesures dérogatoires (soins à la demande d’un tiers en urgence et péril imminent).

De plus, l’identité du tiers n’est pas communiquée aux patients avant qu’il ne le découvre devant le juge des libertés et de la détention (JLD).

Les audiences du JLD ne se tiennent pas comme réglementairement prévu au sein de l’établissement en présentiel mais avec un usage de la visiophonie qui n’était prévu, par dérogation, que durant l’état d’urgence sanitaire. Au surplus, les avocats sont parfois, lors des audiences en visiophonie, aux côtés du magistrat et non auprès de leur client.

Les sorties d’hospitalisation sont bien organisées par l’établissement mais freinées par l’accompagnement parfois impossible des sorties accompagnées par manque de soignants et une demande systématique de deuxième avis par le préfet.