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Rapport de visite du centre hospitalier d’Antibes-Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes)

Rapport de visite du centre hospitalier d’Antibes-Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la santé et de la justice auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Quatre contrôleurs ont effectué une visite inopinée du centre hospitalier d’Antibes-Juan-Les-Pins du 12 au 15 juin 2023. Cet hôpital général dispose de nombreuses spécialités médicales, dont la psychiatrie avec la responsabilité de deux secteurs.

Le territoire comprend plusieurs établissements de santé publics et privés, dont deux cliniques disposant de nombreux lits de psychiatrie pour les soins libres ainsi que de places en hôpital de jour.

La psychiatrie adulte est incluse dans un pôle qui comprend également l’addictologie. La pédopsychiatrie est rattachée au pôle « mère-enfant » et ne comporte que quelques lits d’hospitalisation de semaine, sans fermeture de porte en journée ni mesures d’isolement ou contention.

L’hospitalisation complète des adultes s’effectue, en intersectoriel, au sein de deux services fermés de 16 lits chacun (B1 et B2) et d’un service ouvert (SO) de 35 lits.

Le contrôle a porté sur ces trois unités de psychiatrie adulte et le service des urgences.

La prise en charge immobilière est indigne et inadaptée

Tous les locaux d’hébergement sont vétustes, dégradés et inadaptés pour une prise en charge de psychiatrie ; aucune chambre ne dispose de toilettes ni de douche et beaucoup n’ont pas accès à un point d’eau. Les chambres individuelles sont minoritaires. Aucune ne dispose d’un bouton d’appel ni de climatisation. Les espaces collectifs sont peu nombreux et les fumoirs sont indignes. Les chambres ont des placards mais les patients n’en possèdent pas la clé. Les portes sont équipées de verrous de confort mais ces derniers sont peu utilisés. Aucun paravent ne sépare les lits des chambres doubles.

Surtout, les patients n’ont pas accès librement en journée à une cour extérieure, et encore moins ceux des unités fermées.

Une grande unité ouverte héberge la moitié des patients et deux unités sont fermées avec possibilité de sortir selon les situations individuelles ; au moment du contrôle, sur les 32 personnes enfermées, 5 ne peuvent pas sortir du tout, 23 le peuvent accompagnées et 4 le peuvent non accompagnées.

Enfin, les sorties accompagnées dans le parc, censées atténuer l’enfermement sans patio, ne peuvent se faire, faute d’effectif soignant, que pour cinq patients à la fois avec un seul soignant ce qui limite le travail de médiation.

La gestion des lits est tendue avec parfois des patients en isolement qui n’ont plus de chambre hospitalière.

L’accès aux soins est assuré mais les sorties thérapeutiques limitées

L’accès aux soins psychiatriques est parfaitement assuré ; la filière des urgences est organisée afin de prendre en charge rapidement les patients de psychiatrie aux urgences dans des conditions idéales.

Dans les services d’hospitalisation, les patients bénéficient d’entretiens rapides et réguliers avec les psychiatres ; les réunions cliniques de synthèse et de pôle sont tenues en pluridisciplinarité.

Les activités thérapeutiques sont vite associées au projet de soins et bénéficient d’infrastructures permettant à quelques soignants l’animation d’ateliers variés. Pour autant, l’absence de thérapeutes, d’éducateurs, de pair aidants et d’infirmiers en pratique avancée assure insuffisamment la prise en charge pluridisciplinaire des patients en intra.

La sortie est préparée en pluridisciplinarité, en associant les familles et les services extrahospitaliers. L’établissement est marqué par un nombre important de personnes hospitalisées au long cours (19 en janvier), dont la prise en charge d’une partie est considérée comme en inadéquation avec la structure.

Cette prise en charge médico-soignante, même si elle est professionnelle et bienveillante, est limitée par les effectifs de soignants qui ne peuvent assurer toutes les sorties thérapeutiques extérieures qui seraient nécessaires, ni la surveillance des patients suicidaires ou à risque ne pouvant sortir seuls.

En revanche, les soins somatiques ne sont pas pleinement assurés. L’examen somatique à l’admission est réalisé par les urgentistes sans protocole conjoint entre les services. Au surplus, le suivi somatique des patients n’est ensuite assuré qu’auprès des différents spécialistes du CHG sans coordination par un généraliste.

Des restrictions de la vie quotidienne restent prégnantes

L’accès aux chambres est libre de même que l’accès au tabac et au téléphone portable (sauf exception). Toutefois, l’utilisation du pyjama bleu est encore trop fréquente et la douche n’est pas accessible toute la journée.

Les patients peuvent prendre leur repas en chambre, de manière individualisée, dans l’unité ouverte mais pas dans les unités fermées. Les familles ne peuvent entrer ni dans les services ni dans les chambres ; il n’y a pas de salon des familles et les visites sont limitées et même sur rendez-vous pour les patients en soins sans consentement (SSC).

Les pratiques d’isolément-contention ne sont pas analysées

L’établissement ne s’est emparé de la thématique de l’isolement et contention que sur l’aspect du contrôle par le juge des libertés et de la détention, sans se donner de perspectives d’analyse et de réduction des pratiques. Le projet d’établissement comme le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens sont discrets sur ce thème et n’engagent pas l’établissement. Au surplus, le projet immobilier prévoit 6 chambres d’isolement (CI) pour 24 lits en unité fermée, sans se baser sur le besoin d’aujourd’hui au regard des pratiques médicales et des perspectives de diminution à venir.

Aujourd’hui, l’établissement dispose, pour 67 lits, de 6 CI sans compter celle des urgences, dont l’utilisation devra néanmoins intégrer le registre. Ces chambres sont propres mais malgré tout indignes dans la mesure où le lit est au milieu de la pièce, prééquipé de contentions, avec comme seul équipement un WC en inox comparable à ceux des quartiers disciplinaires en prison, sans chasse d’eau; il n’y a ni point d’eau, ni bouton d’appel, ni possibilité d’allumer ou éteindre la lumière seul ou d’aérer la pièce, pas mention de la date et du jour, pas de séparation des WC du lit ; le pyjama y est systématique alors qu’il ne constitue aucunement un matériel de prévention du suicide.

Concernant l’enfermement en CI, l’analyse du registre d’isolement indique un taux d’isolement par rapport à la file active totale des services d’admission de 22 % et un taux de contention de 5,6 %; les durées moyennes d’isolement n’ont pas encore pu être calculées ni le nombre d’isolements supérieurs à 72 heures afin de vérifier la saisine du JLD.

De fait, l’isolement est encore trop utilisé par défaut de surveillance possible au regard du nombre de soignants.

Surtout, ce registre n’a jamais été analysé et il n’y a d’ailleurs plus de rapport annuel de l’isolement-contention depuis 2020.

Le patient sujet de droit n’est pas encore assez pris en compte

L’information est carentielle ; le livret d’accueil concerne le CHG et est trop général. De plus, il n’est pas remis systématiquement à l’admission. On observe en général peu d’informations sur les droits des patients, par affichage ou document donné aux patients par les soignants, de même qu’une explication des voies de recours.

L’identité du tiers n’est pas communiquée et les décisions sont remises aux patients sans les certificats médicaux, dont le contenu est appris par les patients devant le JLD, ce qui nuit à une relation de confiance entre le médecin et son patient.

La recherche du consentement aux soins est par ailleurs insuffisamment développée ; les observations du patient, après explication de ces certificats, ne sont pas recueillies ; la personne de confiance, souvent désignée, est rarement invitée à donner son accord formel et associée aux soins, même si les familles sont, quant à elles, souvent sollicitées.

Les directives anticipées en psychiatrie ne sont pas encore déployées alors qu’elles pourraient, par exemple, recueillir le souhait des patients d’informer une tierce personne d’un éventuel isolement.

Enfin, de très nombreuses prescriptions en « si besoin » de traitements injectables « pour refus de traitement per os ou agitation » sont encore administrées sans rechercher préalablement le consentement du patient par le médecin.

Les audiences du JLD se tiennent loin, dans des conditions inadaptées et monopolisent des soignants déjà peu nombreux. Les voies de recours ne sont pas expliquées par le juge.

Dans ses observations au rapport provisoire, le directeur du CH prend sérieusement acte des recommandations émises et indique que des actions d’amélioration sont déjà à l’œuvre. La reconstruction du bâtiment livrable en 2026 améliorera considérablement les conditions de vie des patients et le programme d’amélioration de la qualité du pôle de psychiatrie adulte va intégrer de nombreuses recommandations en les déclinant en plan d’action.

De même, la présidente du tribunal judiciaire de Grasse ainsi que le procureur de la république dudit tribunal ont rapidement amélioré l’accès physique des patients à la salle d’audience. Leurs observations apparaissent dans le présent rapport.