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Rapport de deuxième visite du centre hospitalier spécialisé de Cadillac (Gironde)

Rapport de deuxième visite du centre hospitalier spécialisé de Cadillac (Gironde)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la santé, de la justice et de l’intérieur auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Six contrôleurs ont effectué une visite du CHS de Cadillac, en charge de six secteurs de psychiatrie adulte du département de la Gironde. Deux intersecteurs de pédopsychiatrie relèvent également du CHS mais uniquement par des structures ambulatoires.

L’offre de soins intrahospitalière est concentrée sur le site de Cadillac avec, fin 2022, 460 lits pour 22 unités. Seules trois unités ne se situent pas sur le site de Cadillac.

Le contrôle a porté sur 10 unités (soit 233 lits) au sein desquelles peuvent se trouver des personnes en soins sans consentement, ainsi que sur le service des urgences du CH de Langon, auxquels s’ajoutent les 86 lits d’UMD qui font l’objet d’un rapport distinct.

 

De très nombreuses prises en charge de patients s’effectuent dans des conditions ne respectant pas leurs droits.

Les restrictions de liberté sont fortes sur la liberté d’aller et venir. Toutes les unités contrôlées sauf une sont fermées et des personnes en soins libres sont régulièrement privées de sortir.

La suroccupation des lits est permanente avec, au moment du contrôle, plus de patients que de lits dans de nombreux services. Il n’y a plus de possibilité de nouvelle admission, y compris pour exécuter les arrêtés préfectoraux de réintégration de programme de soins. Cette suroccupation conduit à des pratiques irrégulières : des patients sont admis en chambre d’isolement faute de chambres hospitalières, des patients placés en isolement ne conservent pas leur chambre (sauf à l’unité Parchappe) qu’ils ne peuvent donc réintégrer à la fin de la crise, des changements de chambre sont souvent imposés à des patients, y compris la nuit.

Des patients sont admis dans des unités inadaptées, source d’aggravation de leur état de santé. Ainsi, sur une année, une trentaine de patients ont été admis à l’USIP par défaut de place en hospitalisation traditionnelle, alors même que cette unité est intégralement constituée de chambres d’isolement.

Une unité complète a été fermée en moins de trois semaines, sans préparation tant des équipes soignantes que du parcours de soins des patients.

Plus de quarante patients sont hospitalisés au long cours, majoritairement en attente de place en structures extérieures médicosociales.

La gestion des urgences psychiatriques est certes assurée par les services d’urgence de Bordeaux et Langon mais les patients sont très vite réadressés sur le CH de Cadillac, souvent faute de place à l’unité de court séjour (UCS), sans que cette unité n’y soit préparée.

Par ailleurs, 47 mineurs ont été hospitalisés en unités pour adultes en 2022, dont 4 à l’USIP.

Concernant l’accès aux soins psychiatriques, les patients bénéficient d’un accès aux médecins encore assuré malgré les nombreux postes vacants. Les réunions cliniques se tiennent partout de manière pluridisciplinaire et les patients ont accès en tant que de besoin aux soins spécialisés et à la sismothérapie. La validation pharmaceutique des traitements est assurée à 97 % mais le temps pharmacien ne permet pas le développement de la pharmacie clinique.

L’accès aux activités thérapeutiques n’est pas intégré dans les projets de soins au décours de l’admission et l’offre est très insuffisante pour les patients en SSC.

Les soins somatiques sont également assurés, pour toutes les admissions comme les besoins de consultations, à l’exception de l’éducation à la santé.

Un seul service a mis en place une réunion soignant-soigné et aucun IPA n’est en poste sur l’intrahospitalier ou aux urgences du CH de Langon par exemple.

L’information sur les droits des patients est, certes, didactiquement complète mais en pratique elle est insuffisamment expliquée aux patients : les notifications sont, dans la plupart des cas, faites par les soignants non formés à cet exercice.

Enfin, la recherche du consentement du patient n’est pas investie ; les observations des patients ne sont pas recueillies formellement par les médecins lors de chaque certificat médical, la personne de confiance est désignée mais n’est pas associée aux soins ; les directives anticipées en psychiatrie ne sont pas encore proposées aux patients. Il n’y a aucun pair-aidant œuvrant au sein de l’établissement. Enfin, la moitié des patients (un quart selon les observations de l’établissement qui fait état d’une erreur infomatique) font l’objet d’une prescription de traitements injectables en « si besoin » dont huit datant de plus de six ans, ces prescriptions étant principalement motivées par l’agitation ou le refus de traitement per os.

Les pratiques d’enfermement sont disproportionnées et une unité n’a aucune réalité médico-juridique.

Les modalités d’enfermement concernent des chambres d’isolement officiellement répertoriées, au nombre de 9, mais aussi des chambres sécurisées qui n’ont aucune existence juridique, au nombre de 17 dont 10 sur la seule UCS. Si on y ajoute les 14 chambres d’isolement (CI) de l’unité de soins intensifs en psychiatrie (USIP), l’établissement utilise potentiellement 40 CI pour 233 lits soit un taux de CI trois fois supérieur à ce qui est habituellement observé ; à ces chambres s’ajoute une pratique d’enfermement en chambre hospitalière fréquente.

Aucune CI ne répond aux exigences réglementaires en termes d’infrastructure ; la plupart des CI ont un oculus depuis le couloir permettant de voir depuis l’extérieur les personnes attachées voire dénudées, ce qui porte atteinte à leur dignité.

Les alternatives à l’isolement ne sont pas toujours recherchées et très peu tracées dans le dossier patient ; les renouvellements des mesures sont effectués toutes les 12 heures mais le patient ne bénéficie que d’un examen médical physique par 24 heures et non de deux. Des motivations de mise en isolement ne respectent pas les recommandations de la haute autorité de santé (HAS).

Par ailleurs, la fiabilité des données de traçabilité des pratiques d’isolement et de contention ne sont réellement fiables ou exploitables que depuis le 1er juin 2023. Il n’y a ainsi jamais eu d’analyse régulière de la pratique par les soignants malgré l’ancienneté de la loi et la recommandation du CGLPL à la suite de son contrôle de l’UHSA en 2022.

Seule la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD) a été bien appliquée grâce au travail des trois assistantes médico-administratives chargées de suivre l’ensemble des mesures d’isolement-contention. Toutefois, et même si le recours au JLD est logistiquement parfaitement assuré, le contrôle du juge reste, sur le fond, inopérant en raison des irrégularités évoquées supra et non soulevées.

Les contrôleurs ont toutefois pu réaliser eux-mêmes le reporting des pratiques d’isolement et de contention du mois de juin 2023. On note ainsi une grande variabilité des pratiques entre services.

En revanche, les autres restrictions de liberté sont quasi toutes individualisées et motivées, à l’exception du cordon de recharge du téléphone qui est retiré à tous les patients. Le tabac et le téléphone portable sont laissés aux patients sauf exception cliniquement motivée, et le pyjama n’est plus imposé sauf en CI alors qu’il ne constitue aucunement un outil de prévention du suicide.

Enfin et surtout, l’USIP de Cadillac, insérée au cœur de l’UMD est totalement indigne dans son architecture et ses conditions matérielles de prise en charge. En effet, cette unité n’est constituée que d’un assemblage de 13 CI dont une double, avec 14 lits scellés au sol, des contentions partout préinstallées, sans placard et un seul pouf. De plus, tous les patients sont enfermés la nuit de 20h00 à 8h00 sans décision médicale d’isolement. Il s’agit donc juridiquement d’un service d’hospitalisation sans lit ni chambre d’hospitalisation. Les deux cours sont exiguës et l’ambiance est carcérale ; les restrictions de liberté sont le principe et non l’exception puisque tous les effets personnels dont les téléphones sont retirés. Les familles ne peuvent conserver leur téléphone ou sac pour rencontrer leur proche au sein de l’unité. Pour autant, cette UMD qui n’en porte pas le nom ni les prérogatives, dispose d’un projet de service spécifique prévoyant une admission ciblée sur des publics en crise qui nécessitent une prise en charge spécifique.

Le respect de la dignité des patients dans la prise en charge au quotidien ne tient qu’au travail des soignants malgré un cadre de travail dégradé.

L’architecture des bâtiments d’hospitalisation complète est disparate et des structures plus récentes ne sont pas forcément adaptées de manière évidente à l’exercice de la psychiatrie. Il reste trois unités vétustes et inadaptées. Les verrous de confort ne sont pas encore présents sur toutes les portes des chambres mais sont déjà déployés dans certaines unités. L’accès au placard de la chambre est très disparate selon les unités.

Les conditions de travail des agents sont marquées par des effectifs qui frôlent régulièrement le chiffre des effectifs de sécurité en cas de grève et l’absentéisme dépasse 10 % dans plusieurs pôles. Dans de nombreuses unités, les soignants ne développent que de rares activités thérapeutiques dans le service et les sorties à l’extérieur accompagnées sont limitées.

Certaines formations sont insuffisantes, notamment sur le droit des patients, le recours à l’isolement et à la contention ; seuls quelques services ont accès à de la supervision et le comité d’éthique n’est pas partout bien identifié.

Enfin, si les contrôleurs ont noté la place heureuse des associations d’usagers au sein des instances de l’établissement, et l’intérêt indéniable de la maison des usagers qui englobe celui d’un lieu de rencontre apaisé des patients dans le parc, il est inacceptable que la CDSP n’effectue plus aucun contrôle externe de l’établissement depuis 2019.

 

Pour conclure, les contrôleurs ont constaté le non-respect des droits fondamentaux pour une part importante des prises en charge au sein du CHS avec des disparités entre services, des prises en charge dégradées, des professionnels parfois en souffrance, mais aussi des soignants qui ont envie d’aller de l’avant et d’exercer plus sereinement leur mission dans une bienveillance professionnelle.

Ce non-respect des droits appelle des adaptations architecturales majeures et urgentes, le rétablissement d’une dynamique d’amélioration des pratiques professionnelles et de réorganisation des soins.

Au regard de l’urgence à éviter un basculement de l’établissement vers une maltraitance institutionnelle organisée, la Contrôleure générale a saisi le ministre de la Santé et de la prévention afin de mettre un terme aux prises en charge immobilières indignes et à la désorganisation généralisée des hospitalisations qui en deviennent inadaptées.

Un rapport provisoire a parallèlement été adressé le 21 décembre 2023 au directeur général de l’établissement, au préfet du département de la Gironde , au président du tribunal judiciaire de Bordeaux et au procureur de la République près ledit tribunal, ainsi qu’au directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine.

Seul le directeur délégué par interim de l’établissement de santé a adressé des observations en date du 30 janvier 2024. Les parties de ces observations répondant à certaines recommandations ont été insérées dans le présent rapport ; celles confirmant les constats des contrôleurs sans y apporter de réponses n’ont pas été reprises. L’ensemble des réponses du directeur du CH aux constats alarmants du CGLPL témoigne d’une non prise en compte de la gravité de la situation et confirme la nécessité d’une assistance appuyée des autorités de tutelle sur cet établissement.