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Rapport relatif à la dignité des conditions de détention au quartier maison d’arrêt des hommes de la maison d’arrêt de Saintes (Charente-Maritime)

Rapport relatif à la dignité des conditions de détention au quartier maison d’arrêt des hommes de la maison d’arrêt de Saintes (Charente-Maritime)

Observations du ministère de la justice – Dignité des conditions de détention – Maison d’arrêt de Saintes

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. 

 

SYNTHÈSE

La maison d’arrêt (MA) de Saintes (Charente-Maritime) relève de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux (Gironde) et située sur le ressort du tribunal judiciaire de Saintes (TJ). Elle offre 74 places opérationnelles au quartier maison d’arrêt selon l’établissement, 72 en réalité en se référant aux surfaces sur plan, 5 places au quartier maison d’arrêt des femmes et 2 places au quartier de semi-liberté. Mise en service en 1831 et située au cœur de la ville, le bâtiment de la MA Saintes est labyrinthique et peu fonctionnel, offrant peu de possibilités de restructurations. L’établissement a longtemps fait l’objet d’un projet de relocalisation mais cela n’est plus à l’ordre du jour depuis plusieurs années. Quatre contrôleurs ont examiné les conditions de la prise en charge au quartier maison d’arrêt des hommes (QMAH) du 4 au 9 décembre 2022. Au premier jour du contrôle, 129 détenus étaient hébergés soit un taux d’occupation de 179 %.

1. La maison d’arrêt des hommes connaît une surpopulation massive

1.1 La suroccupation chronique perturbe fortement les possibilités d’affectation en cellule

La capacité opérationnelle de la maison d’arrêt des hommes est, selon la superficie réelle des cellules, de 72 places et non de 74, comme annoncé par l’établissement, ce qui conduit à sous-estimer la suroccupation. Cette modification de la capacité opérationnelle de 74 à 72 places doit être prise en compte par la direction interrégionale (DISP) de Bordeaux et la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) au plus vite.

La suroccupation constatée au QMAH est donc de 179,19 %.

La séparation des détenus prévenus et condamnés et des détenus fumeurs et non-fumeurs est impossible et 83 % des prévenus cohabitent avec un ou plusieurs condamnés.

Un quart des cellules est occupé par au moins 5 personnes.

1.2 Près de la moitié des personnes écrouées sont prévenues pour une durée moyenne de séjour qui dépasse à peine les 6 mois

Le président et le procureur du TJ de Saintes indiquent dans leur réponse au rapport provisoire qu' »ils ont conscience et sont préoccupés de l’état de surpopulation de la MA Saintes et qu’ils essayent chaque fois que possible de reporter la mise à l’écrou ou de saisir le JAP pour un nouvel aménagement de peine afin de ne pas encombrer davantage l’établissement.

De même, les autorités judiciaires sont systématiquement favorables aux demandes de transfert aux fins de désencombrement formulées par la direction de l’établissement.

Lors des CAP et des débats contradictoires, le JAP et le parquet s’informent de l’état de la détention (…). Il leur semble que les conditions de dignité de l’établissement ne pourront être améliorées qu’au prix d’un programme de rénovation immobilière d’ampleur du site à défaut de la création d’un nouvel établissement sur le département. »

2. Les relations avec la population pénale ne sont pas tendues malgré un déficit d’encadrement

Dans sa réponse au rapport provisoire, le chef d’établissement (CE) indique : « effectivement depuis des années, la structure fonctionnait ainsi, pour le quartier des femmes de 8h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00, lors de ma prise de fonction et dès le premier comité technique spécial organisé avec l’ensemble des organisations syndicales, j’ai proposé une organisation de service en « longues journées » de douze heures pour la gestion de ce quartier avec une réflexion sur le service de nuit. Lors du dernier comité social d’administration en mars, elle a été actée à compter du 1er avril 2023. »

3. Les conditions d’hébergement sont d’un autre âge

3.1 L’espace individuel en cellule, extrêmement réduit, relève de l’indignité

57 % des personnes détenues dans les cellules visitées sont hébergées dans des conditions indignes selon les standards retenus par la CEDH qui établit à 3m² l’espace vital individuel minimal. En outre, une fois retirée l’emprise au sol du mobilier, l’espace réellement disponible est systématiquement inférieur à 3m² dans 100 % de cellules visitées. 43 % des personnes disposent même de moins de 1m² pour se mouvoir.

Au premier jour de la visite, 9 personnes détenues dormaient sur un matelas à même le sol, soit près de 8 %.

3.2 Le mobilier des cellules n’est pas en adéquation avec le nombre d’occupants

                Le mobilier n’est jamais adapté à la suroccupation de la cellule (il manque dans presque toutes les cellules du mobilier par rapport au nombre d’occupants réels) mais la superficie des cellules rend impossible que chaque détenu dispose d’un lit, d’une armoire, d’une table et d’une chaise. Cela participe des mauvaises conditions d’hébergement.

3.3 L’établissement est propre

La structure bâtimentaire est globalement saine et la détention bien entretenue (propre, évacuation journalière des déchets sauf le dimanche), les contrôleurs du CGLPL n’ont pas constaté ni été alertés sur la présence de nuisibles. Des traces de moisissures ont été observées dans quelques cellules (n° 9 et 17 par exemple).

Seules 6 cellules sur 35 sont dotées de douches, et les locaux de douches collectives sont en bon état (néanmoins l’accès y est limité à 3 fois par semaine).

Les cellules sont, pour la plupart d’entre elles, très sombres, situation aggravée par le fait que les personnes détenues masquent fréquemment les fenêtres et les luminaires, souvent par nécessité pour faire sécher leur linge ou protéger leur intimité.

4. Dans le cadre d’un régime porte fermée, l’essentiel du temps passé hors cellule est constitué par la promenade

4.1 Tous les détenus sont en régime portes fermées

4.2 Malgré l’offre d’activité, la majorité du temps passé hors de la cellule est du temps passé en promenade

Dans sa réponse au rapport provisoire, le CE indique : »les activités sont très diversifiées au sein de notre structure grâce à l’action menée par la coordinatrice culturelle. Malheureusement s’agissant du travail, l’un des concessionnaires s’est rétracté récemment, en compensation plus de poste de travail ont dû être ouverts au service général (actuellement cinq détenus et l’auxiliaire bibliothèque vont bénéficier d’un contrat de travail et être rémunérés). Concernant les promenades, les personnes détenues qui travaillent ne sont pas privées de leur promenade. »

Dans sa réponse au rapport provisoire, le département des politiques d’insertion et de probation et de prévention de la récidive indique que : « pour développer les activités rémunérées, la DISP de Bordeaux a recruté en décembre 2022 une responsable de la relation aux entreprises. Elle a pour mission d’analyser les possibilités d’implantation d’activités dans les établissements et d’engager un travail de prospection commerciale. »

5. La qualité de la prise en charge sanitaire participe de la protection de l’intégrité physique des personnes détenues mais l’intimité n’est pas respectée

5.1 L’intégrité physique est globalement préservée, les détenus ne faisant pas état de sentiment d’insécurité

L’obsolescence du dispositif de vidéosurveillance – dont la couverture est incomplète et les capacités d’enregistrement réduites – ne permet pas d’identifier et de poursuivre d’éventuels agresseurs et de garantir l’intégrité physique des personnes détenues.

L’interphonie est présente et opérationnelle sur l’ensemble de l’établissement même si des dysfonctionnements ponctuels sont signalés et appellent une vigilance renforcée s’agissant de la maintenance.

5.2 L’intimité n’est pas toujours assurée dans les espaces sanitaires

La promiscuité en cellule interdit toute intimité, a fortiori lorsque les espaces sanitaires (WC et douches lorsqu’il y en a) ne sont pas totalement clos.

Les fouilles à corps n’ont pas toujours lieu dans les 2 locaux prévus à cet effet, mais parfois dans un local d’attente ou dans les douches.

Si aucune fouille non-individualisée ne semble avoir été entreprise, ou n’est en tout cas tracée depuis avril 2022, celles l’ayant été début 2022 n’ont donné lieu à aucun rapport au procureur de la République. Globalement, la pratique des fouilles à corps n’est ni excessive ni problématique, en revanche elles sont tracées de façon très aléatoire ce qui empêche tout décompte fiable et exhaustif.

5.3 L’accès aux soins est globalement assuré au sein de l’unité sanitaire, en dépit de difficultés persistantes pour certains soins spécialisés et de certaines pratiques inadaptées s’agissant des extractions médicales

Le médecin de l’unité de soins (US) indique : »lors de la venue du CGLPL, il y avait 129 détenus et depuis mars il n’y en a pas moins de 140. Notre inquiétude principale est liée au fait que cet effectif ne permet pas de séparer les personnes détenues par motif d’incarcération. Récemment un détenu a été agressé par ses codétenus, de ce fait, avec des séquelles lourdes. Nous faisons face chaque jour à l’agacement des détenus et à des demandes de traitement psychotropes pour les aider à supporter ces conditions de vie.

Nous sommes en difficulté à l’US du fait du départ d’une infirmière. Nous peinons à maintenir des prises en charges adaptées et de qualité.

J’ai pu rencontrer la direction de l’hôpital concernant des difficultés d’accès aux soins soit d’un temps de spécialiste non assuré soit du fait du refus de certains spécialistes de recevoir des détenus. Une discussion entre la direction de l’hôpital, le président de la commission médicale et les spécialistes est en cours. »

6. Le maintien des liens avec l’extérieur est obéré par les conditions d’accueil des familles aux parloirs et par un accès à ces derniers anormalement réduit

6.1 La configuration des parloirs est indigne

Dans sa réponse au rapport provisoire, le CE indique : « un projet d’étude concernant les parloirs avait été lancé par mon prédécesseur, un bureau d’étude a été mandaté, des plans et devis ont été actés, sous la période de la Covid-19 ces travaux ont été repoussés, des propositions ont été formulées au début de l’année 2023. »

Dans sa réponse au rapport provisoire, le chef du département des affaires immobilières indique : »l’étude de faisabilité a été rendue par le maître d’œuvre le 22 juin 2021 mais la déclinaison en phase opérationnelle de travaux, de ce dernier gros projet pour la MA Saintes (…)est prévu en phase opérationnelle sur le budget 2024 mais avec des risques de décalage compte-tenu des autres nombreux sujets immobiliers à décliner et susceptibles de modifier une nouvelle fois l’ordre de priorisation(…). »

6.2 Les possibilités légales de sorties sont restreintes

Dans sa réponse au rapport provisoire, le chef d’établissement indique que : »le reliquat exigé et pris en compte pour ouvrir un dossier d’orientation est passé à 12 mois. »

7. La mise à l’écart ne concerne que l’encellulement disciplinaire

7.1 Il est proposé deux promenades quotidiennes aux personnes punies d’encellulement disciplinaire

Dans sa réponse au rapport provisoire, le CE indique : « l’expression « mise à l’écart » n’est pas usitée par l’administration pénitentiaire. Le projet, de création d’une autre cellule disciplinaire, ne vous paraît pas justifié. Mais la cellule actuelle est inadaptée, l’établissement ne dispose pas véritablement de quartier disciplinaire (QD), seulement deux cellules dites « ordinaires ». Une réflexion est donc menée qui conduira à transformer les deux cellules adjacentes ; l’une en une cellule disciplinaire et l’autre en vestiaire équipé d’une douche. Actuellement, les mouvements de détention doivent être bloqués lorsqu’une personne détenue doit être conduite aux douches qui ne se trouvent pas à proximité du QD. »

8.Les autorités connaissent bien l’état dégradé des conditions d’hébergement

8.1 Les autorités visitent régulièrement la maison d’arrêt de Saintes

8.2 Les personnes détenues ne connaissent pas le recours pour conditions de détention indignes

Le recours prévu à l’article 803-8 du CPP n’a encore jamais été utilisé par les détenus malgré les conditions de détention indignes de la maison d’arrêt de Saintes, aggravées par la surpopulation. Il a été constaté que l’information des personnes détenues quant au recours offert par l’article 803-8 du CPP se limitait à un affichage à moitié recouvert et positionné en un lieu où les détenus ne passent pas quotidiennement (près du bureau des surveillants) et à une mention peu claire et noyée dans la documentation nombreuse mais non ordonnée fournie dans la pochette remise aux arrivants. De ce fait, la quasi-totalité des personnes rencontrées ignorait l’existence de ce recours.