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Rapport relatif à la dignité des conditions de détention au quartier des hommes de la maison d’arrêt de Bonneville (Haute-Savoie)

Rapport relatif à la dignité des conditions de détention au quartier des hommes de la maison d’arrêt de Bonneville (Haute-Savoie)

Observations du ministère de la justice – Dignité des conditions de détention – Maison d’arrêt de Bonneville

Ce rapport a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations.

 

Synthèse

Construite en 1969 pour une capacité de 90 places, la maison d’arrêt de Bonneville a connu une réhabilitation et une extension de 2009 à 2013 portant la capacité à 187 places.

Des travaux de changement de l’ensemble des canalisations d’eau ont débuté en octobre 2021 et doivent se terminer en septembre 2022. Les multiples fuites et un manque de pression ne permettent pas de fournir toutes les cellules en eau chaude. Toutes les six semaines, une division est condamnée pour travaux. Au moment du contrôle, les dix-sept cellules de la division 1 étaient ainsi en chantier et l’occupation des six divisions modifiée portant la capacité opérationnelle à 133 pour le quartier maison d’arrêt des hommes (QMAH) pour 201 détenus au 29 mars 2022 (211 en moyenne en 2021) soit un taux d’occupation de 151% au QMAH.

L’analyse des entrées en détention montre un fort prononcé de peines d’emprisonnement de moins de six mois, essentiellement par la voie des comparutions immédiates émanant de trois juridictions différentes (Bonneville, Annecy et Thonon-les-Bains).

Une politique de désencombrement et d’affectation rapide en établissement pour peines est déployée. Le dossier d’orientation et de transfert est ouvert pour un reliquat de peines de quatre mois et concerne quatre-vingt-dix-huit détenus au moment du contrôle. Ainsi, trente personnes sont transférées en moyenne chaque mois, empêchant un investissement durable et créant une nouvelle rupture dans la prise en charge.

La durée moyenne de séjour est de 4 mois et 11 jours. Vingt-quatre écrous liberté sont décomptés chaque semaine depuis le 1er janvier 2022, compliquant le travail des intervenants qui voient les effectifs sans cesse renouvelés.

Si les espaces communs sont convenablement entretenus, le contraste est saisissant avec les cellules qui, pour la très large majorité, sont dans un état dégradé : peinture écaillée, traces de moisissure dans les sanitaires, fenêtres assurant difficilement l’isolation. Le mobilier est insuffisant et dégradé. L’espace comprenant les WC n’est pas entièrement cloisonné et l’intimité de chacun n’est pas respectée. La taille des tables et réfrigérateurs est insuffisante pour le nombre de personnes placées en cellule. Les matelas sont extrêmement sales et abimés.

La majeure partie des détenus ne disposent pas d’un espace de vie digne et 156 détenus disposent d’un espace de moins de 3 m². Seuls 15 détenus bénéficient d’un encellulement individuel.  22 dorment sur un matelas au sol.

Le maintien des liens familiaux est assuré. Les détenus disposent d’un téléphone en cellule et d’un nombre de parloirs suffisant.

L’accès aux soins est entravé par l’insuffisance des professionnels soignants affectés et une absence préoccupante de médecins. Le centre hospitalier Alpes Léman (CHAL) et l’EPSM74 ont toutefois annoncé avoir engagé différentes actions proactives pour assurer la continuité des prises en charge. 16 % des extractions médicales sont annulées à l’initiative de l’administration pénitentiaire. Le CHAL a clarifié la procédure d’accueil des patients détenus afin de prendre en compte le respect du secret médical.

En rapport avec ces conditions de détention, le temps passé en cellule est élevé : 20 heures par jour au regard des possibilités proposées. Il convient toutefois de souligner que les hommes et les femmes détenus peuvent partager des activités et que le travail effectué sur la citoyenneté a permis à soixante-douze détenus de voter lors des élections présidentielles.

Les fouilles intégrales sont très nombreuses pour un résultat très limité. Elles ne respectent pas le caractère exceptionnel lié à la recherche d’objet dangereux.

Les cours de promenade sont propres et équipées, à l’exception d’un urinoir. Elles sont sous surveillance vidéo comprenant des angles morts et sans surveillance visuelle directe. De nombreux détenus se plaignent de subir des pressions voire des violences. Certains évoquent des lynchages dans les cours de promenade et des délais d’intervention longs voire l’absence d’intervention. De ce fait, certains ne sortent jamais en promenade.

Le quartier disciplinaire (QD) et le quartier d’isolement (QI) sont gérés par une équipe fixe ayant le souci de dialoguer et d’apaiser les situations.

Malgré des conditions de travail difficiles, les contrôleurs soulignent l’investissement des professionnels et la coopération qu’ils mettent en œuvre afin de proposer des accompagnements et de nouveaux projets. Des binômes de conseillers d’insertion et de probation (CPIP) et de surveillants assurent des interventions et formations afin de prévenir la violence. Le SPIP, particulièrement impliqué, maintient une régularité dans les entretiens, développe des programmes collectifs et des partenariats. La direction de la détention pose un cadre et assume avec équilibre un rôle de sécurité et de soutien à la réinsertion.

A partir de mars 2020, lors de la crise sanitaire du coronavirus, la mobilisation de tous, en lien avec l’autorité judiciaire, avait permis la diminution rapide du nombre des détenus hébergés.

Les outils judiciaires permettant la réduction de la population carcérale doivent, encore aujourd’hui, être plus fortement mis en œuvre : de nombreuses peines de moins de six mois sont exécutées en détention, les libérations sous contrainte sont utilisées mais leur nombre pourrait être supérieur et les conversions de peine peuvent être pratiquées, y compris avec un préalable de suspension de peine. Le sous dimensionnement du quartier de semi-liberté (QSL) et l’inadaptation de ses locaux ne permettent pas de développer cet aménagement de peine. L’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) n’est pas pratiquée alors que la moitié des détenus est en détention provisoire.

Le CGLPL recommande la mise en place d’un mécanisme de régulation carcérale, seul à même de permettre la coordination entre les trois juridictions pourvoyeuses de détentions provisoires et de courtes peines.

Finalement l’atteinte à la dignité, telle que définie par les règles nationales, européennes et internationales, est objectivée par le présent contrôle pour 156 détenus du quartier maison d’arrêt homme.

Pour les autres détenus, l’atteinte à la dignité doit être appréciée en fonction de la situation individuelle des détenus mais elle est bien réelle au regard de l’état des cellules, de l’absence d’intimité et du temps passé en cellule.