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Rapport de visite du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin)

Rapport de visite du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin)

Observations du ministère de la justice – Centre pénitentiaire de Lutterbach

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. 

 

Synthèse

Neuf contrôleurs ont effectué un premier contrôle du centre pénitentiaire (CP) de Lutterbach (Haut-Rhin), du 30 novembre au 9 décembre 2022. Un rapport provisoire a été adressé le 9 mars 2023 au président du tribunal judiciaire, au procureur de la République près ledit tribunal, au directeur du CP, au directeur général du centre hospitalier de Rouffach, à la directrice du groupe hospitalier de la région de Mulhouse et Sud Alsace (GHR), au directeur général de l’agence régionale de santé (ARS). Le président du tribunal, le procureur de la République, le directeur du CH de Rouffach et la directrice du GHR ont adressé leurs observations qui sont intégrées dans le présent rapport.

Ce CP a ouvert en novembre 2021, simultanément à la fermeture de la maison d’arrêt de Mulhouse et de celle de Colmar. Il est implanté dans une zone rurale, entouré de terres agricoles, et comporte plusieurs quartiers : un quartier d’accueil et d’évaluation (QA), deux quartiers maison d’arrêt (QMA1 et QMA2), un quartier centre de détention (CD), un quartier des femmes (QF), un quartier pour mineurs (QM), un quartier de confiance avec deux parties, prévenus et condamnés (QCFMA/ QCFCD).

Aux 520 places théoriques du site de Lutterbach s’ajoute un quartier de semi-liberté (QSL) de 32 places, situé dans la ville de Mulhouse.

Dès l’ouverture, l’établissement a accueilli des personnes détenues avec une surcapacité de 197 places, sans modification des effectifs de professionnels, avec cependant de fortes disparités entre les différents quartiers.

Les conditions immobilières de l’ensemble du CP sont exceptionnelles, que ce soit au niveau des espaces collectifs ou de l’aménagements des cellules, avec des fenêtres permettant la lumière naturelle et la vue de loin. Les contrôleurs regrettent, concernant ce volet architectural, que le quartier disciplinaire n’ait pas été repensé et que les portes des WC ne soient pas pleines. Toutefois, ces conditions architecturales n’ont pas empêché le développement de prises en charge indignes.

1 – La surpopulation engendre et aggrave une prise en charge indigne.

De nombreux constats ne concernent que les QMA et le CD, moins le QF, QM et le quartier de confiance, qui globalement, prennent en charge les détenus dans le respect des droits fondamentaux. Le QSL, heureusement en voie de rénovation, offre une prise en charge de qualité.

La surpopulation conduit à des conditions indignes de détention tout d’abord au regard de la surface restante dans la cellule et de l’entassement à deux et trois aux QMA dans des cellules individuelles. Le taux d’occupation des deux maisons d’arrêt (MA) atteint 195 % et il y a 32 matelas au sol ; 96 personnes vivent à trois dans des cellules de 10,4 ou 14,7 m² avec un espace disponible individuel inférieur à 3m².

Le flux d’incarcération est tel qu’il en devient ingérable. Le processus arrivant bénéficie certes de cellules adaptées, mais celles-ci sont en grande partie doublées et l’importance des incarcérations conduit à la fois des durées de séjour au QA allant jusqu’à un mois et demi et des passages en détention non préparés aux QMA.

Seuls les détenus transférés pour le CD bénéficient de séjours de courtes durées et de l’encellulement arrivant individuel. Le processus arrivant est également respecté pour les femmes et les mineurs.

Pour les hommes, l’affectation se fait uniquement sur la pression des entrées et du manque de places, sans respect des incompatibilités ou spécificités des publics mélangés. Ces incompatibilités, associées à la promiscuité des personnes entassées ensemble, créent de la violence et accentuent l’indignité.

Cette surpopulation concerne en outre un public marqué par la précarité et les addictions, nécessitant des assistances médicales, psychologiques, sociales importantes ; il y a ainsi 162 indigents, 140 personnes sous traitement de substitution.

Enfin, 29 % (202) des détenus sont de nationalité étrangère sans qu’un système de traduction accessible pour tous les professionnels ne soit organisé de l’arrivée jusqu’à la sortie.

Cette surpopulation de détenus se confronte à une sous-population de professionnels chargés de les prendre en charge. 22 % des postes de surveillants ne sont pas réellement pourvus. Cette pénurie majeure amène la suppression de certains postes comme celui des mouvements ou des activités.

2 – L’indignité de la prise en charge est majorée par la gestion de la détention.

Sauf pour les mineurs, les femmes et les personnes du quartier de confiance, les modalités d’information, si elles sont didactiques, manquent d’explication pédagogique sur le séjour et là aussi les personnes non francophones sont oubliées.

Les difficultés des mouvements limitent l’accès aux activités et le temps passé en dehors de la cellule. Outre les promenades, les détenus ont théoriquement accès à plusieurs activités mais qui concernent trop peu d’entre eux. Les listes d’attente n’ont plus de sens et les inscriptions deviennent aléatoires et arbitraires. Seul l’accès aux sports est bien développé et permet 400 passages par semaine.

L’accès aux soins est impossible pour certains besoins, même si les locaux sont très adaptés. Les détenus sont confrontés à des délais d’accès au kinésithérapeute et au chirurgien-dentiste trop longs pour être pertinents puisqu’ils dépassent deux mois. Il n’y a plus d’accès à un opticien. L’accès aux soins psychiatriques est carentiel puisque seules trois demi-journées de psychiatre sont offertes aux consultations et le délai pour un primo rendez-vous avec un psychologue atteint six mois. L’accès aux soins est également perturbé par les difficultés de mouvements et les patients sont parfois entassés dans les petites salles d’attente pendant plus de trois heures. Ces difficultés d’accès aux soins psychiques ont été prises en compte par les juges d’application des peines à la suite du rapport provisoire, pour ne pas pénaliser les détenus condamnés à une peine de suivi socio-judiciaire.

L’accès aux examens spécialisés est contrarié par la présence d’un surveillant d’escortes dans les salles de consultation ou d’examen lors des extractions au centre hospitalier de Mulhouse.

Concernant les cantines, leur gestion est source de très nombreuses réclamations vis-à-vis du prestataire ; des produits manquent ou ne sont pas livrés mais sont facturés et non remboursés.

3 – Les mesures d’ordre et de sécurité ne sont pas respectueuses des droits des détenus.

La gestion des incidents tend au développement de l’infra-disciplinaire. Ainsi, sur les 1700 comptes rendus d’incident (CRI) établis depuis l’ouverture, 552 ne sont pas traités depuis juin 2022 et aucune enquête n’est faite. Malgré cela, ces CRI « en attente » sont cités lors des commissions décidant des affectations au travail par exemple et sont produits dans les informations fournies aux magistrats dans le cadre des réductions, aménagements ou suspensions de peine.

Enfin, les contrôleurs attirent l’attention sur une pratique constatée de confinement pseudo-disciplinaire en cellule ordinaire, faisant suite à des incidents, avec promenade séparée, hors de tout cadre légal puisque ces mises en confinement en cellule ne sont pas décidées formellement ; leur durée est indéterminée et parfois longue.

Les moyens de contrainte et les fouilles sont excessifs. En effet, 93 % des détenus sont classés en niveau 2 et 49 sont en niveau 1. Le menottage est systématique pour les extractions. Il n’y a pas de réévaluation régulière de ces niveaux d’escortes en cours de détention et de nombreux détenus sont soumis à des niveaux disproportionnés.

Le nombre des fouilles intégrales est élevé alors même que moins de la moitié des fouilles effectuées sont tracées dans GENESIS. Des fouilles systématiques relevant de l’article 225-2 du code pénitentiaire (ex 57 alinéa 1 et 2 de la loi pénitentiaire) sont faites sans être décidées ni tracées ni notifiées.

4 – L’attention portée aux droits des détenus n’est pas suffisante.

Le SPIP connaît un manque de personnel et une souffrance au travail qui empêche les CPIP de participer utilement à toutes les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) et risque de grever à terme le suivi des détenus. L’établissement a mis en place un réel parcours d’exécution des peines pour 45 détenus.

L’accès aux droits de la défense est carentiel. De nombreuses notifications de leurs droits aux détenus sont faites par du personnel mal formé, sans explication et peu de confidentialité, non traduites pour les étrangers. Certaines décisions ne sont même pas formalisées et par conséquent pas notifiées. Au décours de la visite des contrôleurs, les JAP ont organisé des séances d’information par groupes de détenus, sur leurs attentes comme sur les droits des détenus, en y intégrant la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2023.

Les requêtes ne sont pas toutes tracées et restent souvent sans réponse.

Les consultations du point-justice sont insuffisantes, de même que les interventions de la Cimade au regard des besoins d’aide aux étrangers.

Des audiences sont encore largement tenues en visioconférence alors que les règles sanitaires de distanciation sociale ne le justifient plus et les avocats ne se tiennent pas aux côtés de leur client, seul et démuni face à un écran.

Enfin, les renouvellements à trois mois des placements au QI ne font pas systématiquement l’objet d’un débat contradictoire ; les stratégies de sortie de ce QI ne peuvent ainsi être débattues avec le juge et l’administration pénitentiaire puisqu’il n’y a pas de débat contradictoire lors du placement.