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Rapport de la deuxième visite du centre hospitalier spécialisé de Jury-lès-Metz (Moselle)

Rapport de deuxième visite du centre hospitalier de Jury-lès-Metz (Moselle)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Huit contrôleurs ont réalisé la visite, annoncée à la direction la semaine précédente, du centre hospitalier de Jury-lès-Metz du 6 au 16 février 2023. Cet établissement avait déjà fait l’objet d’un contrôle en 2012, dont les observations portées au rapport de visite ne seront pas reprises en raison des évolutions législatives et d’organisation interne intervenues depuis lors.

L’établissement, livré en 1972, est situé à neuf kilomètres du centre-ville de Metz, dans un domaine arboré de 60 hectares comprenant les unités d’hospitalisation, des services administratifs et diverses infrastructures à usage des patients : salle de spectacle, cafétéria, équipements sportifs, ateliers intersectoriels ainsi qu’une maison d’accueil spécialisée et la clinique des addictions. Depuis vingt ans, des projets de réhabilitation ou de reconstruction se succèdent sans se concrétiser. Le projet est désormais piloté par le centre hospitalier régional de Metz-Thionville avec une perspective d’ouverture du nouvel hôpital en 2027.

Au moment de la visite, 137 lits de psychiatrie sont répartis en huit unités. Sept unités pour adultes disposent de seize à vingt lits et l’unité pour adolescents et jeunes adultes (12 – 20 ans) comprend neuf places.

Près de la moitié des patients en hospitalisation complète sont en soins sans consentement.

Les contrôleurs ont relevé un nombre important de dysfonctionnements :

Les conditions d’hébergement sont aggravées par la suroccupation de locaux vieillissants.

Les unités pour adultes sont entretenues mais les chambres, souvent triples, ne comportent pas de salle d’eau, de WC, de bouton d’appel ou de verrou de confort. Chaque porte de chambre est percée d’un fenestron donnant, depuis le couloir, une vue sur l’ensemble de la chambre. Un film occultant aurait été apposé suite à la visite.

Le taux d’occupation étant de 108 % au moment du contrôle de sorte que la disposition d’un lit hospitalier n’est pas garantie à chaque patient. Les personnes placées en chambre d’isolement ou en permission de sortir ne conservent pas leur lit. Des changements de lit ou d’unité sont fréquemment organisés, y compris la nuit.

Les soignants travaillent à effectif réduit de sécurité. Les agents de sécurité interviennent hors cadre légal et maîtrisent les patients voire les transportent de force dans leur véhicule. La nuit, ils peuvent être appelés à compléter l’effectif soignant.

Concernant l’accès aux soins psychiatriques, le centre d’accueil et de crise (CAC), situé au CHR et d’une capacité de dix lits, ne prend qu’exceptionnellement en charge des patients en soins sans consentement. Il arrive que des personnes admises au CAC en soins libres soient placées à l’isolement. La validation dans l’heure par un psychiatre n’est pas organisée et le registre de la contention n’est pas tenu.

Au sein des unités, la recherche du consentement est peu mise en œuvre et le tiers de confiance n’est pas systématiquement associé. La prescription « si besoin » est largement utilisée avec une administration par injection qui peut impliquer l’emploi de la force avec l’intervention des agents de sécurité.

La dispensation des médicaments s’effectue sans respect de la confidentialité.

Les ressources humaines concernant les soins somatiques sont adaptées mais les médecins somaticiens ne se déplacent que sur demande et ne participent pas aux réunions cliniques (à l’exception de deux unités) ni aux transmissions. L’éducation à la santé n’est pas réalisée et l’accès aux soins d’addictologie fait défaut.

L’information des patients en soins sans consentement est insuffisamment assurée. Les décisions relevant du directeur et du préfet s’approprient généralement les termes des certificats médicaux qui ne sont pas remis en copie, privant les patients de la connaissance des arguments motivant les soins sous contrainte.

Les patients ne savent pas qu’ils peuvent saisir le juge des libertés et de la détention hors les échéances obligatoires des 12 jours et six mois.

Le registre de la loi est incomplet et n’est pas visé par les autorités. La commission départementale des soins psychiatriques n’a plus rendu compte de son activité depuis 2019.

Les pratiques d’isolement et de contention sont mises en œuvre dans toutes les unités (à l’exception de l’unité ouverte n’accueillant que des personnes en soins libres), dans des proportions supérieures à la moyenne nationale, en chambre d’isolement ou en chambre hospitalière, sans évaluation médicale régulière et avec transmission au juge des libertés et de la détention de documents ambigus ne permettant pas un contrôle effectif.

Les personnes isolées en chambre hospitalière se voient attribuer une chaise percée et sont parfois attachées. Lors du contrôle, elles étaient visibles depuis le couloir par le fenestron de la porte de chambre qui aurait, depuis, été occulté d’un film plastique opaque.

Les sept chambres d’isolement officielles sont indignes, en l’absence des équipements nécessaires à la préservation de l’intégrité et de la dignité de la personne.

Alors qu’un audit réalisé courant 2022 relevait divers dysfonctionnements, les documents produits par le centre hospitalier n’ont pas été revus et laissent penser que l’isolement peut correspondre à une démarche thérapeutique à laquelle il est largement recouru.

Une seule unité dispose d’une chambre d’apaisement. Les alternatives à l’isolement ne sont pas réellement recherchées et ne sont aucunement tracées.

Les contrôleurs ont également constaté des pratiques d’enfermement non enregistrées dans le registre de l’isolement. Elles concernent essentiellement une unité accueillant des personnes en soins libres et résultent de la décision d’un médecin généraliste autorisant « si besoin » une fermeture en chambre par quarts d’heure. L’examen de ces pratiques montre qu’il ne s’agit pas de protéger le patient mais de le sanctionner.

L’unité pour adolescents et jeunes adultes dispose de locaux adaptés.

Dans la vie quotidienne, les enfants (et les majeurs jusque 20 ans) subissent des privations systématiques de liberté telles le retrait du téléphone portable – avec remise sur des plages horaires particulièrement restreintes, des ordinateurs ou encore l’interdiction totale du tabac sans réelle mise en œuvre d’une éducation à la santé.

L’accès à l’enseignement n’est plus assuré.

Alors que les mineurs sont accueillis sous le statut des soins libres, des isolements et contentions sont pratiqués pour des durées conséquentes, sans réflexion institutionnelle suffisante.

Malgré ces dysfonctionnements, l’établissement compte des professionnels mobilisés. Des soignants, des assistants de service social et des éducateurs tentent de maintenir le lien social en accompagnant les patients dans des activités ou lors de sorties. Des psychiatres s’impliquent également pour déployer de nouveaux dispositifs : équipe psychiatrique de soins intensifs à domicile, famille gouvernante, famille d’accueil thérapeutique ou partenariats avec les bailleurs sociaux.

Le manque de pilotage, de formation et d’accompagnement des équipes est évident et le comité d’éthique, dont la réactivation est annoncée depuis des années, devait être constitué au printemps 2023. Les professionnels ne peuvent pas être laissés sans soutien dans l’attente d’un projet immobilier espéré depuis 20 ans.

Les autorités de tutelle doivent prendre la mesure de la suroccupation des lieux et proposer de nouvelles orientations.

Un plan d’action détaillé doit être défini afin d’organiser la transition vers des pratiques respectueuses de la dignité et du statut des patients.

Le 20 juin 2023, un rapport provisoire a été adressé au directeur du centre hospitalier ainsi qu’au président et au procureur de la République du tribunal judiciaire de Metz, au préfet de Moselle et à l’agence régionale de santé Grand-Est.

Les observations du 21 juillet 2023 du directeur du centre hospitalier et de la directrice adjointe ont été intégrées au présent rapport.