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Rapport de deuxième visite du centre hospitalier Bélair à Charleville-Mézières (Ardennes)

Rapport de deuxième visite du centre hospitalier Bélair à Charleville-Mézières (Ardennes)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la santé et de la justice auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Cinq contrôleurs ont visité pour la deuxième fois, entre les 28 mars et 7 avril 2022, le centre hospitalier (CH) Bélair situé sur les hauteurs de Charleville-Mézières (Ardennes) depuis sa mise en service en 1969. Le précédent contrôle s’était déroulé en octobre 2011.

Il s’agit du seul établissement de santé mentale du département des Ardennes, qui compte environ 267 000 habitants marqués par la précarité sociale et la prévalence des troubles mentaux alors que la densité médicale est faible, l’âge moyen des médecins est élevé et le nombre de psychiatres inférieur à celui constaté ailleurs en France et même dans la région Grand-Est. Le CH Bélair est associé au centre hospitalier intercommunal Nord-Ardennes (CHINA) dans le groupement hospitalier de territoire (GHT) Nord-Ardenne depuis 2016. Il dispose de :

  • une filière sanitaire organisée dans un unique pôle de psychiatrie pour adultes et enfants qui dispense les soins en extra hospitalier sur l’ensemble du territoire départemental et en intra hospitalier dans neuf unités d’hospitalisation à temps complet totalisant 193 lits (dont une unité pour les personnes âgées, une pour les mineurs, une pour les soins en addictologie) situées rue Pierre Hallali à Charleville-Mézières ;
  • une filière médico-sociale constituée d’une maison d’accueil spécialisé (MAS) et d’un foyer d’accueil médicalisé (MAS).

Les urgences sanitaires psychiatriques sont prises en charge au CHINA, où le CH Bélair n’affecte du personnel spécialisé en psychiatrie qu’en journée s’agissant des infirmiers et que deux demi-journées par semaine s’agissant de psychiatres.

Un plan d’attractivité médicale, récent, qui exclut le recours à des intérimaires afin de préserver la capacité d’investissement immobilier, n’a pas encore porté ses fruits. La pénurie médicale est très sensible : la moitié des trente-deux médecins qui interviennent sur l’ensemble du CH sont contractuels ; parmi les onze psychiatres seulement qui exercent en intra et en extra hospitalier, sept sont dits « de plein exercice » et se partagent les activités relatives aux soins sans consentement (SSC), notamment celles de certification et d’isolement-contention. En cas de congés d’un psychiatre, le remplacement de son temps d’intervention dans les services n’est pas assuré efficacement. Aucun gérontopsychiatre n’intervient. Des médecins généralistes ont été placés à la tête de services de psychiatrie. Parallèlement, l’affectation d’internes en psychiatrie n’est plus garantie, malgré la persistance de l’agrément, depuis que l’activité de santé mentale n’est plus assurée par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims (Marne) mais par l’établissement public de santé mentale (EPSM) de la Marne sis à Châlons-en-Champagne (Marne).

Les pavillons dans lesquels sont implantés les unités d’hospitalisation sont apparus vétustes du point de vue des matériaux comme de la conception, mais ils sont entretenus et des travaux d’envergure sont projetés en vue de moderniser les conditions matérielles d’accueil des patients. L’absence de verrous de confort aux portes des chambres et l’aménagement insuffisant des cours sont discutés. Des placards dans les chambres ou des casiers dans les salles communes permettent aux patients de sécuriser la conservation de leurs effets personnels mais ils ont trop rarement la libre disposition de la clé pour les ouvrir. La prestation de restauration est critiquée tant en quantité qu’en qualité.

Depuis la précédente visite, en 2011, un effort considérable a été fait en matière de communication. Grâce à un affichage harmonieux et efficace précédé d’un travail d’harmonisation dans un sens libéral des règles de vie dans les unités ou encore à l’aide de prospectus accessibles, l’information générale des patients, de leurs proches et des professionnels, s’agissant des conditions d’hospitalisation, est de qualité. L’information concrète des professionnels est assurée par la mise à disposition de liasses de certificats types pour les hospitalisations en SSC et d’imprimés facilitant la mise en œuvre de la dernière réforme juridique des pratiques d’isolement et de contention.

L’information des patients en SSC souffre encore de l’absence de remise systématique des documents écrits relatifs à leurs droits, à l’admission ou à la prolongation de l’hospitalisation, à leur état de santé tel que décrit dans les certificats médicaux élaborés au fur et à mesure de l’hospitalisation. Insuffisamment considérés comme acteurs de leur prise en charge, les patients n’accèdent pas à un projet de soin formalisé, ne bénéficient pas de pair-aidance, ne rédigent pas de directives anticipées incitatives en psychiatrie (DAIP).

Hors situation épidémique particulière, le droit à la liberté d’aller et venir de patients en soins libres (SL) est encore entravé dans au moins trois unités. Si les patients en SSC bénéficient, selon l’autorité à l’origine de la mesure, d’une décision du préfet ou du directeur de l’établissement pour une sortie de courte durée en ville, il n’est pas acceptable que les accords médicaux soient revus à la baisse ou assortis de conditions par la direction avant de signer la décision de sortie temporaire. Surtout, la fréquentation du parc de l’hôpital par les patients en SSC ne doit pas être conditionnée à une autorisation écrite de la direction de l’établissement.

L’engagement de l’équipe de la pharmacie sert la qualité du soin médicamenteux. Faute de présence de psychologues organisée dans les unités, aucune psychothérapie ne peut être engagée ou poursuivie pendant l’hospitalisation. Un espace d’activités thérapeutiques est ouvert à tous les services d’hospitalisation ainsi qu’à des services ambulatoires ; doté de moyens de qualité, peu de patients y sont adressés par les médecins. L’éducation thérapeutique ‒ de qualité ‒ est accessible à trop peu de patients et ne concerne pas les besoins somatiques.

Les patients âgés de moins de dix-huit ans, en principe accueillis dans l’unité départementale d’hospitalisation en pédopsychiatrie (UDHP), le sont parfois dans des unités pour adultes. Les moyens humains de l’UDHP sont apparus insuffisants à assurer une prise en charge en adéquation avec l’âge des enfants accueillis (il manque notamment un intervenant de l’Education nationale) et à faire face à des situations complexes que l’impossible levée d’hospitalisation, du fait de l’absence d’hébergement, transforme en des séjours sans aucune perspective, marqués par le recours à la contrainte à travers des mesures d’isolement et de contention mises en œuvre à l’égard d’enfants sans aucune des garanties prévues par le législateur pour les adultes.

Quant aux détenus de la maison d’arrêt de Charleville-Mézières, ils sont accueillis dans de mauvaises conditions en raison de l’insuffisance des moyens médicaux et infirmiers spécialisés en psychiatrie accessibles dans l’établissement pénitentiaire, en raison de l’absence de transmission à la fois d’éléments cliniques permettant de mettre en œuvre des soins et d’éléments matériels (vêtements, argent, tabac, droit de visite et de communication) leur permettant d’accéder à leurs droits. Ils sont soumis à de l’isolement pendant toute la durée de leur séjour.

Concernant l’isolement et la contention des patients, l’établissement s’est engagé dès 2016 dans une politique de recours à des alternatives à ce type de mesures, à travers un foisonnement d’initiatives qui couvrent aussi l’accompagnement des évolutions législatives. A ce stade, le développement de chambres d’apaisement n’était pas encore accompagné d’un protocole d’utilisation. Le vocabulaire des professionnels est encore trop souvent empreint de la recherche d’une contrainte ou d’un soin. La pénurie médicale conduit à faire prendre des décisions par des médecins qui n’en ont pas la compétence juridique. Le registre des mesures et le rapport annuel qui s’en suit sont non seulement encore incomplets mais sont aussi insuffisamment communiqués aux professionnels des unités pour pouvoir constituer un levier d’évolution de leurs pratiques.

Les représentants des usagers sont activement associés au fonctionnement de l’hôpital. En lien avec la direction de l’établissement, le juge des libertés et de la détention (JLD) a investi les champs du contrôle juridictionnel dévolus par la loi, tant concernant les mesures de SSC que les mesures d’isolement et de contention, à l’exception toutefois de la situation des mineurs, hospitalisés en soins libres sur demande d’un représentant légal et qui sont soumis à des mesures d’isolement et de contention en dehors de tout contrôle. L’action de la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) est apparue insuffisante.