Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de deuxième visite de l’unité pour malades difficiles de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime)

Rapport de deuxième visite de l’unité pour malades difficiles de Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Quatre contrôleurs ont effectué une visite de l’unité pour malades difficiles (UMD) située au centre hospitalier du Rouvray (Seine-Maritime) du 2 au 5 mai 2023. Cet établissement de santé hospitalo-universitaire, qui comprend 28 unités d’hospitalisation, a vocation à prendre en charge les patients adultes de dix secteurs de psychiatrie du département de la Seine-Maritime.

L’UMD, ouverte en 2012, est rattachée au pôle de psychiatrie adultes du CH et se situe à l’extrémité du site, entourée d’un mur d’enceinte. L’UMD est un service composé de deux unités dont une est actuellement en travaux de rénovation, ce qui limite le nombre de lits ouverts à 20 depuis août 2021.

Le contrôle a objectivé une remarquable qualité du travail médico-soignant réalisé dans une attention forte portée au respect des droits fondamentaux et à la dignité des personnes. L’humanisation de la prise en charge, permise par une organisation des soins pertinente, s’allie à une haute technicité des soins de psychiatrie, avec l’utilisation de tous les panels thérapeutiques existant et un réel travail universitaire.

Ces éléments sont à mettre en perspective des constats suivants :

 

1 Concernant le droit d’accès à la santé

Ce droit est parfaitement assuré malgré la vacance de poste d’1,5 ETP de médecin (sur 3), actuellement supportable au regard des 20 lits fermés. Il est simplement regretté qu’aucun projet de service médico-soignant ne pérennise, valorise et inscrive de manière conceptualisée, les modalités d’organisation des soins qui pourraient servir de modèle pour d’autres services.

Les soins sont donnés par des professionnels formés, spécialisés et le travail est fortement pluridisciplinaire. Le nombre de professionnels en présence des patients est stable, organisé et permet l’exercice de l’ensemble des missions. De nombreuses bonnes pratiques ont été mises en place comme le développement des sorties thérapeutiques, le partenariat avec de nombreuses associations sportives extérieures, l’insertion rapide des activités thérapeutiques individuelles comme collectives dans les projets de soins. Les soins somatiques sont également assurés avec une IDE spécifiquement attachée au suivi somatique des patients. La sortie du patient fait l’objet d’un suivi à distance par appels téléphoniques protocolisés du service dans lequel est reparti le patient.

 

2 Concernant les restrictions de libertés

Il n’existe pas de définition nationale d’un malade difficile et l’appréciation est portée ici entre le médecin receveur et adresseur, de manière individualisée, en tenant compte de la clinique, de la localisation géographique et de l’environnement familial des personnes ; le public accueilli est ainsi disparate dans le caractère sévère de l’état de santé, d’autant que sont mis ensemble des patients arrivants et d’autres plus stabilisés.

L’UMD se distingue des autres services de psychiatrie en ce que la loi indique que cette unité accueille des patients de France entière relevant de soins psychiatriques sans consentement dont « l’état de santé requiert la mise en œuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières ». L’unité est ainsi fermée mais l’ouverture de la cour extérieure est assurée quasiment toute la journée. De même, l’accès aux chambres n’est pas libre en journée, mais l’organisation des soins compense ce non-accès par le développement de très nombreuses activités individuelles ou collectives. Les contrôleurs ont constaté que les patients, pourtant difficiles à inciter parfois à suivre des activités, étaient pris en charge individuellement de manière adaptée.

Concernant l’enfermement en chambre la nuit, de 20h30 à 8h, il ne s’agit pas là d’un placement en chambre d’isolement (CI) pour une situation de danger imminent, mais d’un enfermement de sécurité pouvant répondre au décret relatif aux UMP au titre des mesures particulières de sécurité. Pour autant, et si cet enfermement doit néanmoins être prescrit par le médecin et tracé dans le dossier médical, il doit ne correspondre qu’à une fermeture de chambre contractualisée avec le patient qui doit à tout moment, par appel aux soignants, pouvoir demander à sortir. L’organisation des soins de nuit doit ainsi prévoir les modalités de respect de cette possibilité.

Concernant la pratique de l’isolement et de la contention, l’UMD dispose de CI propices à la gestion de la crise avec accès permanent aux toilettes et à l’eau ; il manque un fauteuil mousse, la possibilité d’allumer et d’éteindre la lumière et d’aérer la pièce de manière autonome. Il est regretté qu’il n’y ait pas de table et de banc pour le repas, d’autant qu’une pièce annexe le permettrait. Le port systématique du pyjama bleu en isolement est à proscrire, d’autant qu’il ne constitue aucunement une prévention du suicide.

Si la traçabilité de toutes les mesures est garantie sur Cortexte, aucune exploitation de cette base de données ne permet d’en extraire une analyse des pratiques tous les trois mois par les soignants de manière pluridisciplinaire. Les contrôleurs ont néanmoins pu, manuellement, connaitre la pratique sur l’année 2022 ; sur une file active de 33 patients, 25 (soit 75%) ont eu une phase d’isolement dont 8 (soit 24%) avec un moment de contention associée. Ces mesures devraient pouvoir être réduites davantage au strict nécessaire car, par exemple, l’unique contention d’un patient opérée sur les trois derniers mois est une contention de prévention de chute. En revanche les durées sont plus courtes que la moyenne des établissements contrôlés : 41 heures pour l’isolement et 24 heures pour la contention. Le rapport annuel de l’isolement contention de l’établissement ne donne que des données macro peu interprétables et la mise en place d’un registre d’isolement contention opérationnel est préconisée à l’échelle de l’établissement.

Concernant les autres restrictions de liberté, l’accès au tabac est bien géré tout en développant une éducation à la santé. En revanche l’accès au téléphone portable est interdit pour tous les patients, sans individualisation ni motivation. De plus, la cabine téléphonique est peu confidentielle et ne permet pas un confort pendant les communications.

 

3 – Concernant la prise en compte du patient sujet de droit

L’information des patients sur les règles de vie et leurs droits est réalisée de manière appropriée, répétée par les soignants. Le livret d’accueil n’est cependant pas à jour et l’information des familles est lacunaire.

Concernant la notification des décisions, celles-ci sont réalisées systématiquement par les soignants alors même que certaines décisions pourraient être annoncées et expliquées par le juge. Les soignants se font aider si nécessaire par l’avocat du patient et un interprète pour cette notification.

La saisine du JLD pour les placements en isolement ou contention a fait l’objet de la mise en place de documents spécifiques à l’intention du juge mais le classement au bureau des entrées ne permet pas la traçabilité opérationnelle de ces saisines ; de même, il est rapporté aux contrôleurs des notions d’isolement séquentiel ou sanitaire qui n’existent pas dans la réglementation. Quelques patients n’ont ainsi pas fait l’objet d’une saisie du JLD alors même que les situations le nécessitaient.

 

4 – concernant les conditions matérielles de prise en charge

Les modalités d’entrée au sein de l’UMD sont disproportionnées au regard de ce qui est pratiqué dans un service hospitalier classique. Si le contrôle de l’identité des personnes venant rencontrer un patient détenu s’entend, il n’est pas autorisé pour les familles de patients non détenus. Au surplus, la conservation voire la copie des titres d’identité n’est pas prévue par les textes.

De même, le contrôle de la non-possession d’objet dangereux par un passage au portique de sécurité à l‘instar des parloirs des prisons ou des UHSA, ne peut être imposé à toutes les familles venant rencontrer des patients hospitalisés, fussent-ils en UMD, sauf à ce que le médecin procède à une prescription individuelle, motivée et expliquée au patient. Enfin, la fouille des véhicules entrants est également légalement impossible sans réquisition du procureur de la République.

Concernant les locaux, ils sont parfaitement adaptés à l’exercice des missions d’une UMD, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des bâtiments. Il est regretté que la cour en accès libre soit totalement goudronnée. En revanche, les œilletons installés dans toutes les salles d’eau ne respectent pas l’intimité des personnes aux toilettes ou sous la douche. De même et d’autant plus que les patients n’ont plus leur portable, des horloges devront permettre aux patients de se repérer dans le temps au sein de l’ensemble des bâtiments.

Une association « Regain » apporte une aide financière aux patients démunis, permettant même de faire des avances et d’offrir des consommations à la cafétéria.

Enfin, les fouilles de coffres à code, prévues la nuit, sans le consentement ni la présence du patient, sont prohibées et devront cesser.

Dans ses observations du 26 juillet 2023, le directeur général de l’agence régionale de santé Normandie indique : « de manière générale et contrairement au rapport établi en 2019, il ressort de cette visite de l’UMD des conclusions beaucoup plus favorables comprenant notamment et c’est à souligner, cinq bonnes pratiques identifiées et retenues par les contrôleurs. En effet, cette structure s’est engagée dans une réelle démarche d’amélioration de son fonctionnement visant à garantir le respect des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. Il en est de même concernant la prise en charge en soins. L’équipe médico-soignante s’emploie à mettre en œuvre une organisation des soins psychiatriques pertinente et des outils thérapeutiques diversifiés et adaptés. La conjugaison de ces démarches concourt à la qualité de l’accompagnement porté aux patients de l’UMD. »

Suite au rapport provisoire, la structure ainsi que les autorités concernées ont très sérieusement pris la mesure, tant de la qualité de la prise en charge au sein de l’UMD, que des pistes d’amélioration.