Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Avis relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales

Cellule individuelle occupée par trois personnes dans une maison d’arrêt (©CGLPL)

14 septembre 2023

 

Au Journal officiel du 14 septembre 2023, le Contrôleur général a publié un avis relatif à la surpopulation et à la régulation carcérale. Cet avis a été transmis aux ministres de la justice et de la santé pour qu’ils puissent formuler des observations. Le ministre de la justice a apporté ses observations, également publiées au Journal officiel.

Lire l’avis et les observations du ministre de la justice

Lire les observations du ministre de la santé

 

Avec 74 237 détenus pour 60 629 places opérationnelles au 1er août 2023, la population carcérale atteint des niveaux record. Les constats récurrents du CGLPL et d’autres acteurs de terrain démontrent l’inefficacité des mesures indirectement destinées à réduire la surpopulation.  L’augmentation du nombre de places de prison ne permet pas de réduire la pression carcérale, et les alternatives à l’incarcération, de même que les nouvelles modalités d’aménagement des peines, manquent leur objectif.

Dans cet avis, le CGLPL rappelle l’ensemble de ses recommandations relatives aux causes et conséquences de la surpopulation carcérale, qui doit cesser d’être appréhendée comme une problématique essentiellement pénitentiaire et devenir l‘objet d’une véritable politique publique, dotée de moyens propres et pérennes. Elle doit s’accompagner d’un questionnement sur la place de l’emprisonnement dans le système pénal et d’un recours accru aux peines alternatives à l’incarcération.

L’inscription dans la loi d’un mécanisme contraignant de régulation carcérale, géré localement par tous les acteurs de la chaine pénale sous la responsabilité de l’autorité judiciaire, doit permettre, dans un délai fixé par la loi, de résorber la surpopulation des maisons d’arrêt et de respecter le droit à l’encellulement individuel. Quant aux matelas posés à terre, ils doivent être immédiatement proscrits.

Pour les professionnels, le constat unanime que la situation ne peut plus durer

Ces derniers mois, le CGLPL a réuni un nombre important d’acteurs intervenant en détention (organisations et syndicats de magistrats, du personnel pénitentiaire de direction ainsi que d’insertion et de probation, de médecins, d’avocats et associations œuvrant pour les droits des personnes détenues), aux fins d’échanges et de partages d’expériences sur les effets de la surpopulation carcérale et les moyens de la maitriser.

Chacun constate la dégradation des conditions de détention, l’épuisement du personnel, la détérioration générale et accélérée de l’immobilier et la saturation de l’ensemble des services. L’incapacité du système pénitentiaire à remplir sa mission de réinsertion, à garantir le respect de la dignité et des droits des détenus ainsi que leur sécurité et celles des agents chargés de les garder est également identifiée par tous.

Si certains divergent sur les solutions à mettre en place, tous les participants s’accordent sur l’impossibilité de laisser se poursuivre une telle désagrégation d’un service public. Dans leur grande majorité, ces acteurs du monde carcéral prônent, comme le CGLPL, l’inscription dans la loi d’un dispositif permettant de maitriser la surpopulation carcérale. Il s’agit de rendre son sens à la peine et son efficacité à l’incarcération, de donner ses chances à la réinsertion, en même temps que d’assurer des conditions dignes de détention et de travail.

La lutte contre la surpopulation carcérale, une recommandation pressante et ancienne du CGLPL

Dès 2012, le CGLPL soulignait dans un avis relatif au nombre de personnes détenues la nécessité de diversifier les mesures d’aménagement de peines et de s’emparer des formes non carcérales de sanctions pénales. Alertant sur l’urgence de remédier à une situation déjà inquiétante à l’époque, il proposait au Parlement, de réfléchir à une loi d’amnistie spécifique ou, à tout le moins, à une exécution de peine alternative à l’incarcération.

En 2018, le CGLPL analysait dans un nouveau rapport (Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale) les causes de la surpopulation et ses conséquences sur la prise en charge des personnes détenues. L’ensemble des constats alors exposés restent d’actualité. La surpopulation gangrène toute la vie de la prison. Elle impose une promiscuité portant atteinte à la dignité des personnes détenues, mettant à mal leur intimité, entravant leur accès à l’hygiène et aux soins. Elle rend inopérants les objectifs de réinsertion, les services d’insertion et de probation, saturés, ne peuvent pas assurer un suivi utile des dossiers, l’enseignement et la formation professionnelle sont trop rares, les activités insuffisantes, en particulier l’offre de travail rémunéré. L’incarcération est à l’origine de ruptures sociales graves (perte du travail, du logement, voire de liens affectifs, possible développement de troubles psychiques sévères) et rien de ce que prévoit la loi favoriser un retour paisible du détenu dans la communauté n’est effectif. Ces circonstances sont susceptibles d’accroître le risque de récidive et donc la défiance des citoyens envers la justice.

La construction de nouvelles places de prison ne saurait constituer une réponse efficace au problème de la surpopulation carcérale. En une trentaine d’années, le nombre de places a doublé, passant d’environ 30 000 aux 60 500 actuelles ; pour autant, la surpopulation carcérale n’a cessé de progresser, et de plus en plus vite. Le CGLPL rappelait dans son rapport de 2018 le principe du droit à l’encellulement individuel, appelait à l’interdiction de recourir à des matelas au sol, et soulignait la nécessité de ne pas appréhender la surpopulation sous l’angle essentiellement pénitentiaire, en faisant de la lutte contre ce fléau une véritable politique publique.

Le CGLPL exhorte régulièrement à une meilleure prise en compte, par l’autorité judiciaire amenée à prononcer une peine privative de liberté, d’éléments objectifs sur la situation des prisons, ainsi qu’à une baisse du recours à des procédures accélérées telle que la comparution immédiate, principales pourvoyeuses d’incarcération, et surtout à la mise en place d’un mécanisme législatif de régulation carcérale avec l’objectif qu’aucun établissement ne dépasse un taux d’occupation de 100%, en modulant à la fois les flux d’entrées et de sorties sous la responsabilité des magistrats.

Depuis 2018, des évolutions législatives dont l’efficacité n’est pas démontrée

Quelques expérimentations locales de régulation carcérale ont vu le jour, mais ces tentatives, aux objectifs toujours modestes, n’ont pas rencontré le succès, faute de caractère contraignant. Leur échec n’a démontré que l’impossibilité d’une régulation carcérale seulement facultative, « locale et à bas bruit ».

La France a été condamnée par la CEDH (arrêt JMB et autres c. France du 30 janvier 2020) du fait de conditions de détention constitutives d’un traitement inhumain et dégradant et pour absence de recours préventif effectif. La Cour a recommandé à la France de prendre des mesures de portée générale tendant à mettre un terme à la surpopulation carcérale et à améliorer les conditions de détention. Si des dispositions prévoyant un recours contre des conditions indignes de détention ont été introduites dans le code de procédure pénale, aucune suite sérieuse n’a été donnée aux autres demandes de la Cour.

La crise sanitaire de 2020 a été l’occasion d’une évolution spectaculaire, avec une baisse du nombre des détenus de plus de 12 000 personnes : en quelques mois, le taux d’occupation global des prisons françaises est brièvement tombé en dessous de 100 % (sauf dans les maisons d’arrêt). L’efficacité de ces mesures et l’immédiateté de leurs effets sur les conditions de détention démontrent qu’il est possible de réduire rapidement et significativement la pression carcérale, et que l’argument du « coût politique » de cette approche n’est pas fondé, puisqu’il n’y a eu ni recrudescence de la délinquance, ni rejet de la part de l’opinion publique. Mais par la suite, le retour au statu quo ante a ramené la population carcérale à son niveau antérieur à la crise sanitaire.

Toujours accompagnées d’un discours optimiste sur leur effet régulateur, diverses mesures législatives de nature à influencer le niveau de la population carcérale sont intervenues, mais elles restent impuissantes à enrayer sa croissance continue. Ainsi, des dispositions censées éviter les courtes peines ou de la création d’un nouvel aménagement de peine pour les détenus en ayant déjà purgé les deux tiers. Enfin, le remplacement des réductions de peine « automatiques » par d‘autres, obtenues au mérite ou pour bonne conduite n’a fait qu’aggraver la situation, dans un contexte de surpopulation carcérale où, faute d’activités et d’accès à un suivi psychiatrique, les efforts que les détenus sont censés faire pour les obtenir sont quasi impossibles à fournir. En l’absence de mesures contraignantes pour les acteurs de la chaine pénale, le Gouvernement continue à faire peser sur eux la responsabilité qui lui incombe en matière de réduction de la pression carcérale.

Au-delà des chiffres, une dégradation globale de la condition pénitentiaire.

Depuis 2021, pas moins de cinq visites d’établissements pénitentiaires ont donné lieu à des recommandations en urgence du CGLPL. Depuis 2022, le CGLPL a réalisé 17 visites exclusivement consacrées à la dignité des conditions de détention en maison d’arrêt, les descriptions et recommandations auxquelles elles donnent lieu sont désespérément comparables.

Les personnes détenues restent souvent plus de 20 heures sur 24 dans des cellules surpeuplées, où l’espace dont chacun dispose pour se mouvoir est inférieur à un mètre carré ; les bâtiments sont vétustes et insalubres faute de pouvoir être entretenus ; saturés, les réseaux électriques, d’eau et de chauffage tombent en panne ; l’humidité dégrade les cellules ; les fenêtres ne sont pas étanches ; les rats, puces et punaises prolifèrent ; des mesures de contrôle et de sécurité portant atteinte à la dignité se généralisent ; la sécurité des personnes détenues n’est assurée, ni au regard des violences engendrées par la promiscuité et le désœuvrement, ni face aux risques d’incendie ; et les  soins ne sont pas garantis, faute de moyens. Dans ce contexte, la participation à des activités ou le fait d’être accompagné dans sa préparation à la sortie deviennent d’inaccessibles privilèges.

Les professionnels qui interviennent en détention font fréquemment état de leur désarroi et le CGLPL est régulièrement confronté à l’expression de leur souffrance, voire de leur détresse au travail. Leur nombre est insuffisant, par l’effet de plusieurs facteurs : la très faible attractivité des fonctions explique les sous-effectifs, qui entraînent une surcharge de travail, laquelle est à l’origine d’un fort taux d’absentéisme, qui, lui-même, alimente le manque chronique d’effectifs. Les agents de l’administration pénitentiaire sont, comme les détenus, exposés aux risques sanitaires liés à l’insalubrité des locaux et à ceux de violence induits par la surpopulation. Les soignants, confrontés à la surcharge de travail et aux contraintes, notamment sécuritaires, qui limitent leur marge de manœuvre sont gagnés par la lassitude.

Le personnel fait manifestement ce qu’il peut pour pallier les multiples difficultés auxquelles il est confronté, mais dans nombre d’établissements, un fonctionnement dégradé se pérennise et finit par devenir la norme. Il en résulte un climat de tension qui alimente la peur et entraîne une surenchère de mesures sécuritaires qui ne parvient jamais à apaiser les troubles : les fouilles intégrales se multiplient, les pratiques infra-disciplinaires se développent.

Une prise en compte insuffisante des préconisations des Etats-généraux de la justice

Le comité des Etats généraux de la justice a constaté qu’« une réponse purement immobilière par l’enchaînement de programmes  de construction d’établissements pénitentiaires, ne [peut] en l’espèce constituer une réponse suffisante » à la surpopulation carcérale et a souligné la nécessité d’y remédier « par une réduction des courtes peines et un mécanisme de régulation ». La régulation préconisée est ainsi décrite : « Le comité considère qu’il n’est ni envisageable, ni opportun de fixer un numerus clausus par établissement pénitentiaire, la politique d’exécution des peines relevant du seul procureur de la République et ne pouvant lui être imposée par les contingences de l’administration pénitentiaire. Il souscrit en revanche à la proposition du groupe de travail préconisant la définition d’un seuil de criticité pour chaque établissement pénitentiaire. […] Le dépassement de ce seuil entraînerait la réunion des différents acteurs de la chaîne pénale, qui pourraient alors envisager certaines mesures de régulation. »

L’objectif ainsi défini est modeste, qui consiste à définir un « seuil de criticité » une fois dépassée la capacité d’accueil des établissements, en vue de l’organisation, non contraignante, d’une réunion. Les quelques expérimentations en cours ne portent guère plus de fruits que celles qui furent développées auparavant. Ainsi, à Bordeaux-Gradignan, établissement particulièrement dysfonctionnel, au taux de surpopulation record, malgré un taux de criticité fixé à 190 %, un « stop-écrou » n’a été décidé qu’une fois atteint un taux d’occupation de 230 %.

Le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, qui a fait suite aux Etats-généraux de la justice, ne comporte aucune disposition relative à la régulation carcérale et fort peu de mesures concernant l’administration pénitentiaire, à l’exception de promesses de constructions immobilières. Forts de la conviction que toute mesure de régulation carcérale ne reposant pas sur une contrainte législative est vouée à l’échec, des parlementaires ont pourtant proposé des amendements visant à l’instaurer.

Une mission d’information a été menée à l’Assemblée nationale sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation. Le rapport issu de ces travaux  contient de nombreuses recommandations tendant à prévenir la délinquance et à refonder l’échelle des peines, mais également à renforcer l’efficacité et la crédibilité de la prise en charge en milieu ouvert, et à dynamiser l’aménagement des peines afin de rendre plus efficaces les actions d’insertion et de probation. La mission recommande d’« atteindre 100 % de densité carcérale à l’horizon 2027, date prévue d’achèvement du plan immobilier carcéral de 15 000 places et fin du moratoire sur le respect de l’encellulement individuel », ainsi que de « mettre en œuvre un mécanisme progressif de régulation carcérale afin de résorber durablement la surpopulation carcérale ».