27 octobre 2022
Au Journal Officiel du 27 octobre 2022 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives à l’établissement public de santé mentale de Vendée à La-Roche-sur-Yon (Vendée).
L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au CGLPL, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.
Le ministre des solidarités et de la santé ainsi que le ministre de la justice ont été destinataires de ces recommandations, un délai de huit semaines leur a été donné pour répondre.
Lire les recommandations du CGLPL accompagnées des observations du ministre de la santé
La visite de l’établissement public de santé mentale (EPSM) de Vendée – centre hospitalier Georges Mazurelle de La Roche-sur-Yon – effectuée par six contrôleurs du 27 juin au 6 juillet 2022 a donné lieu au constat d’un nombre important de dysfonctionnements graves portant atteinte à la dignité des patients et à leurs droits fondamentaux.
L’établissement dispose des moyens budgétaires et immobiliers suffisants pour assurer la prise en charge des patients dans des conditions matérielles dignes mais n’est pas épargné par de très graves difficultés de ressources humaines. Les médecins sont insuffisamment présents dans les unités ; les patients sont souvent vus de façon expéditive au cours d’entretiens dont la durée peut être inférieure à cinq minutes.
Des atteintes graves et généralisées aux droits fondamentaux
Les patients, même admis en soins libres, ne peuvent aller et venir librement. Les portes de cinq des douze unités d’hospitalisation sont fermées alors que toutes accueillent indifféremment des patients admis en soins libres et en soins sans consentement. Dans les unités fermées, l’accès au parc est conditionné à la disponibilité des soignants pour ouvrir la porte, à des restrictions temporelles, à des conditions d’accompagnement et peut même faire l’objet d’interdictions totales de sortie, y compris pour des patients en soins libres. Dans les unités ouvertes, la liberté d’aller et venir n’est pas davantage garantie et les mêmes restrictions ou interdictions sont imposées aux patients, quel que soit leur statut d’hospitalisation.
La protection de l’intégrité physique et de l’intimité des patients n’est pas assurée. Dans les trois unités de gérontopsychiatrie, les patients ne peuvent fermer à clé ni leur chambre ni leur espace sanitaire. Toutes les portes des chambres sont percées d’une ouverture non occultable permettant d’observer, depuis le couloir, l’intérieur de la chambre. L’intimité des patients n’est pas respectée et leur tranquillité ne l’est pas davantage. Plusieurs personnes hospitalisées, se sont plaintes de l’intrusion d’autres patients dans leur chambre et ont exprimé un sentiment d’insécurité. Au cours d’une mesure d’isolement, des patients peuvent être privés d’accès aux toilettes, situation indigne et dangereuse.
Des mesures d’isolement et de contention nombreuses, durables et souvent illégales
Les décisions d’isolement sont trop souvent infondées et leurs motifs illégaux. De nombreuses décisions d’isolement sont prises pour 24 heures, alors que la loi limite à 12 heures la durée initiale de la mesure. Les décisions d’isolement ou de contention ne sont pas toujours prises par un psychiatre, notamment la nuit. Quand les soignants mettent en œuvre des mesures conservatoires en urgence, ils doivent prévenir immédiatement le psychiatre, afin qu’il examine le patient et décide ou non de son placement à l’isolement ou sous contention. En réalité, tel n’est pas toujours le cas.
L’article L 3222-5-1 du code de la santé publique définit l’isolement et la contention comme des pratiques de dernier recours uniquement mises en œuvre pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui. Or, les motifs qui justifient le recours à ces mesures ne remplissent pas toujours ces conditions (par exemple « isolement intégré dans un programme thérapeutique » ou « risque de rupture thérapeutique »). Les décisions d’isolement « si besoin » sont très fréquentes dans l’établissement. L’usage de « temps fermé en chambre de moins de deux heures », qui constitue un isolement, n’est jamais tracé comme tel. Les plans de soins prévoient des mesures d’isolement « si besoin » s’apparentant à des sanctions disciplinaires.
Les mesures d’isolement et de contention se déroulent régulièrement dans des espaces non dédiés et hors de tout cadre légal, pour les mineurs et les majeurs. L’établissement dispose de onze chambres d’isolement, appelées localement « chambres de soins intensifs ». Néanmoins, de nombreux patients sont enfermés dans des chambres dites « sécurisées », « d’observation » ou « d’apaisement » et qui sont de fait utilisées comme chambres d’isolement. Les chambres hôtelières sont également utilisées pour des isolements. Alors que l’isolement et la contention ne peuvent être légalement mis en œuvre que dans le cadre de soins sans consentement et sous des conditions strictes, les contrôleurs ont constaté que des personnes en soins libres étaient régulièrement isolées, sans modification de leur régime d’hospitalisation. La loi limitant les mesures d’isolement et de contention aux patients en soins sans consentement, l’établissement n’en déduit pas qu’elles sont illégales pour les patients en soins libre mais que les procédures encadrant leur usage ne leur sont pas applicables, qu’il s’agisse de personnes majeures ou mineures.
Les outils d’observation des pratiques d’isolement et de contention et la politique de l’établissement en vue d’en limiter le recours sont très insuffisants. Les systèmes d’enregistrement mis en place sont inadaptés, rudimentaires, multiples, souvent mal maitrisés par les utilisateurs et, en conséquence, mal renseignés. Certains isolements ne sont pas enregistrés, dans des proportions qui ne sont pas quantifiables. En toute hypothèse, compte tenu du sous enregistrement des mesures, leur nombre réel est nécessairement supérieur à celui, déjà important, qui figure dans les documents de l’établissement. Aucune politique de diminution du recours à l’isolement et à la contention n’est mise en œuvre, aucun dispositif d’analyse des pratiques n’est mis en place, la formation se limite à la gestion de la violence mais n’est imposée qu’aux soignants arrivants et n’est pas réactualisée.
L’accès au droit des personnes hospitalisées sans consentement n’est pas garanti
L’information due aux patients en soins sans consentement est incomplète et tardive. À l’annonce de l’arrivée des contrôleurs, le livret d’accueil n’était pas disponible depuis plus d’un an. La mission de contrôle semble avoir précipité la réimpression sans mise à jour et la distribution d’exemplaires du livret d’accueil dans plusieurs unités. À leur arrivée, les personnes en soins sans consentement ne reçoivent aucun document les informant de leur situation juridique, de leurs droits, des voies de recours qui leur sont ouvertes et des garanties offertes. Un grand nombre de soignants déplorent ne pas être suffisamment formés pour assurer l’information des patients. Les notifications des décisions sont une condition de la régularité de la mesure de soins sans consentement. Il est pourtant fréquent de ne pas en retrouver trace dans les dossiers des patients. Lorsqu’elles s’y trouvent, elles sont souvent tardives. Les médecins et soignants ne sauraient alléguer, comme certains le font, un prétendu « intérêt du patient », exciper que celui-ci « ne va rien comprendre » ou encore invoquer la crainte d’un impact clinique négatif pour justifier la privation du patient de ses droits à l’information.
Le cadre juridique des soins sans consentement n’est pas respecté. Les décisions d’admission ou de maintien en hospitalisation complète du directeur sont préparées par les agents du bureau des usagers. Lorsque le patient arrive en dehors des horaires de fonctionnement de ce bureau, les décisions sont rédigées à sa réouverture, au mieux le lendemain matin pour un patient admis après 17h en semaine, voire trois jours plus tard lorsque l’admission a lieu un vendredi soir. La décision est alors antidatée pour couvrir ces défaillances. Dans de nombreuses situations, les termes des certificats médicaux mensuels sur lesquels s’appuient les décisions de privation de liberté sont de purs et simples copiés-collés – parfois sur de très longues périodes – des libellés précédents.
L’accès des patients au juge n’est pas assuré. De très nombreux patients hospitalisés sans consentement ne comparaissent pas à l’audience du juge des libertés et de la détention (JLD). Entre le 1er janvier et le 21 juin 2022, 103 certificats médicaux de non-présentation ont été rédigés pour 330 convocations devant le JLD (31%) ; malgré ce taux élevé, aucune analyse des situations d’incompatibilité ne semble être réalisée. Les certificats médicaux attestant de l’incompatibilité de l’état de certains patients avec leur audition par le JLD sont des documents types non motivés, souvent rédigés plusieurs jours avant l’audience. Dans le cadre du contrôle du JLD relatif aux renouvellements des mesures d’isolement et de contention, les avis médicaux précisent systématiquement que l’état de santé du patient « ne lui permet pas d’être entendu par le juge des libertés et de la détention », sans argument clinique. Les ordonnances du JLD sont parfois notifiées tardivement aux patients, compromettant l’exercice d’un recours ; l’unique décision de mainlevée prononcée en 2022 n’a pas été notifiée au patient qui n’en a eu connaissance qu’au cours de la procédure d’appel interjeté le lendemain par l’établissement.