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Rapport de visite du pôle de psychiatrie du centre hospitalier universitaire de Nîmes (Gard)

Rapport de visite du centre hospitalier universitaire de Nîmes (Gard)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Six contrôleurs accompagnés d’une stagiaire de l’Ecole nationale de la magistrature ont effectué une visite du pôle de psychiatrie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nîmes (Gard), du 1er au 9 avril 2021. Le rapport provisoire rédigé à l’issue de cette visite a été communiqué le 3 juin 2021 au directeur général du CHU, à la présidente du tribunal judiciaire de Nîmes et au procureur de la République près ce tribunal, à la délégation départementale du Gard de l’agence régionale de santé de l’Occitanie et à la préfète du Gard. Seul le directeur général du CHU a, par courrier du 25 juin, présenté des observations. Celles-ci ont été prises en compte dans le présent rapport de visite.

Le site principal de l’établissement, Carémeau, situé au Sud-Ouest de la ville, regroupe sur ses 60 hectares la majeure partie des activités : le siège de la direction générale et de l’administration, les services des urgences, de court et moyen séjour, l’essentiel du plateau technique et les activités hospitalières et les consultations du pôle de psychiatrie.

Le département du Gard comprend sept secteurs de psychiatrie adulte et deux intersecteurs de pédopsychiatrie. Trois secteurs ainsi qu’un intersecteur de pédopsychiatrie relèvent du centre hospitalier spécialisé du Mas Careiron, à Uzès, le centre hospitalier d’Alès gère deux secteurs. Les deux autres secteurs sont rattachés au CHU de Nîmes ainsi que l’autre intersecteur de pédopsychiatrie mais tous les lits d’hospitalisation complète pour les mineurs sont localisés au pôle psychiatrique du CHU. Les secteurs du ressort du CHU regroupent près de la moitié des habitants du Gard (340 000 sur le total de 735 000) et couvrent le Sud du département, de Beaucaire au Vigan. La moitié de la quarantaine de psychiatres libéraux du Gard est installée dans ces deux derniers secteurs. L’offre globale d’hospitalisation départementale est complétée par trois cliniques et doit tenir compte également d’une offre privée importante dans le département voisin de l’Hérault.

Le CHU est pilote du projet départemental de santé mentale.

L’organisation du pôle de psychiatrie est hospitalo-centrée ce que traduit la répartition de ses 120 lits dans les unités qui s’affranchit totalement de la logique de secteur. Les six unités, dénommées « cliniques » ont chacune une spécificité qui tient à l’âge, au mode légal d’entrée ou à la pathologie de ses patients. Leur capacité varie de trente lits et deux chambres d’isolement (CI) pour l’unité d’entrée des patients admis en soins sans consentement (unité de soins intensifs psychiatriques – USIP), à dix lits et une chambre d’isolement pour l’unité pour adolescents. Les quatre autres unités (psychiatrie polyvalente, jeunes adultes – 16 à 25 ans – , sujets âgés et patients atteints de troubles thymiques) ont chacune vingt lits et une chambre d’isolement, hormis la dernière.

Les moyens alloués au pôle sont plutôt bien adaptés à la prise en charge de patients de psychiatrie et les soins sont à la hauteur de ce qu’on peut attendre en CHU.

Les locaux sont confortables, propres, correctement entretenus avec des chambres individuelles équipées de salle d’eau, des espaces d’activités, des patios-jardins agréables pour des unités en étage.

Les moyens humains affectés au pôle sont corrects au regard de ce que l’on voit souvent ailleurs.

Selon les interlocuteurs rencontrés, le pôle de psychiatrie est plutôt bien doté en personnel médical, affirmation que les contrôleurs n’ont pas été mis en mesure d’apprécier par eux-mêmes faute d’avoir obtenu les éléments chiffrés sur la dotation médicale et la répartition des postes qu’ils avaient demandés.

Ils ont néanmoins constaté que la présence médicale était correctement assurée dans chaque unité et que l’organisation de la ligne de garde ne posait pas trop de difficulté. Tous les psychiatres intervenants, y compris pendant la garde, sont habilités à signer des certificats médicaux de la procédure de soins sans consentement. La qualité des soins somatiques est garantie par la présence d’un spécialiste en médecine générale à plein temps et l’adossement au plateau technique du CHU. Le personnel (infirmiers, aides-soignants, psychologues, ergothérapeutes, assistants de service social) est plutôt bien formé, formations facilitées par un absentéisme faible. Il apparaît satisfait de ses conditions de travail. Aucun poste n’est vacant, médical comme paramédical.

Deux infirmières, formées aux dispositions juridiques relatives aux soins sans consentement, sont spécifiquement chargées de la notification des droits et de l’information juridique du patient admis sous ce régime, ce qui garantit la bonne compréhension par le patient de son statut et son accès effectif à ses droits. Les procédures sont conduites dans une bonne vigilance de leur régularité.

Après l’admission en unité, les soins sont correctement assurés par des psychiatres très présents, avec un entretien dès l’arrivée (psychiatre de garde 24h/24) et au moins deux fois par semaine. En revanche, aucun projet de soins individualisés qui fasse référence tant pour les soignants que pour les patients n’est formalisé, aucun entretien infirmier n’est prévu, même si, en pratique, de tels entretiens sont conduits à la demande et si la tension monte. Hormis à l’USIP, de activités thérapeutiques sont organisées, même en période de crise sanitaire.

La situation est différente dans les autres unités où, malgré la pandémie de Covid-19, des activités sont organisées.

Mais les choix organisationnels ont des effets très négatifs sur le respect des droits des patients en soins sans consentement.

Le parcours des patients en soins sans consentement passe par des phases particulièrement attentatoires à leur dignité et au respect de leurs droits. La politique du pôle impose systématiquement à ces patients un séjour d’une durée variable dans l’unité de soins intensifs en psychiatrie (USIP) au début de leur hospitalisation. L’USIP est une unité fermée, fermeture instituée au motif que n’y séjournent que des patients admis en soins sans consentement ce qui constitue une méprise sur l’effet juridique de ce mode d’admission. Le motif est, au demeurant, d’autant moins pertinent que ces patients peuvent par la suite être transférés dans une unité ouverte, sans que leur statut d’admission soit toujours modifié. La liberté d’aller et venir y est totalement méconnue. Une aile comporte sept chambres aménagées comme des chambres d’isolement, à ceci près que chacune ne comporte qu’un seul accès, dépourvues de tout meuble. Cette aile servait lors de la visite pour « confiner » les patients entrants, privés de leurs vêtements et effets personnels, aussi longtemps qu’ils pouvaient être contagieux à la Covid-19 ; en pratique, ils sont alors enfermés dans leur chambre sans que cet enfermement réunisse les conditions prévues pour une mesure d’isolement par l’article L.3222-5-1 du code de la santé publique.

Par ailleurs, le régime de fonctionnement de cette unité est quasi carcéral. Les règles de vie restrictives, sans corrélation avec la clinique, contredisent toute individualisation des prises en charge : retrait des ceintures et lacets, obligeant certains patients à revêtir le pyjama institutionnel faute de pouvoir retenir leur pantalon, du tabac – avec consommation limitée et horodatée –, retrait des téléphones personnels, accès interdit aux espaces collectifs notamment à la cour grillagée et surplombée d’un filet métallique pour empêcher les fugues. La justification thérapeutique des restrictions est difficilement crédible dès lors que ces contraintes sont imposées à tous les patients. Les visiteurs des patients doivent laisser leurs effets dans un casier puis passer sous un portique de détection des métaux avant de pouvoir entrer dans l’unité, pratique non seulement attentatoire à la dignité des visiteurs mais également illégale.

Le fonctionnement des autres unités, au regard des contraintes imposées aux patients est très disparate, variant d’un constant souci de les limiter et de respecter les droits des patients en gérontopsychiatrie, à des restrictions plus importantes (pas de téléphone portable chez les jeunes adultes, par exemple).

Les pratiques sécuritaires y sont bien moindres mais les chambres – qui ne disposent ni de verrous de confort ni de placard fermant à clef – sont tout de même fouillées chaque jour, éventuellement hors de la présence des patients, fouilles qui ne sont pas tracées. Si le patient, présent, s’y oppose, des agents de sécurité peuvent être appelés en appui.

L’argument d’une dangerosité exceptionnelle, prétendue unique sur le territoire, des patients et familles du Gard, outre qu’elle n’est pas vérifiée par des données sociologiques pertinentes n’est même pas constatée par l’ensemble des soignants.

Les mesures d’isolement sont réalisées dans des chambres ad hoc à l’aménagement correct, laissant libre l’accès à l’eau et aux toilettes mais un fenestron donne vue sur les toilettes, atteinte à la dignité et l’intimité qui n’est pourtant pas considérée comme telle par les responsables locaux. La loi de 2020 aurait conduit à une baisse du nombre de mesures mais faute de présentation du registre des années antérieures, il a été impossible de le vérifier. L’isolement et la contention sont pratiqués à grande échelle à l’USIP et à l’unité pour adolescent, et aucune démarche institutionnelle n’est engagée au niveau du pôle de psychiatrie pour limiter ces pratiques de dernier recours, alors que les initiatives de réduction dans les autres unités portent leurs fruits et pourraient être source d’inspiration pour le pôle tout entier.

La diversité des atteintes à la dignité et aux droits des patients constatées – liberté d’aller et venir, accès aux objets personnels, au téléphone, préservation de l’intimité – montre une réflexion sur les pratiques inégalement animée, voire proscrite, selon les unités.

Pourtant, les modalités de prise en charge appellent une réflexion sur leur aspect légal, éthique et thérapeutique par leur effet négatif sur l’appropriation de son parcours de soin par le patient, parcours trop faiblement relayé par un dispositif ambulatoire peu développé. Une réflexion institutionnelle est tout autant indispensable pour les soignants auxquels est imposé l’inconfort éthique de devoir concilier, voire faire prévaloir, une fonction sécuritaire sur leur mission soignante. Il est à espérer de l’ouverture de la communauté médicale notamment vers la recherche, avec l’entrée de praticiens universitaires, une inflexion portée par une acception différente de la relation de soin et des droits des patients.