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Rapport de visite des pôles de psychiatrie du centre hospitalier de Gonesse (Val-d’Oise)

Rapport de visite des pôles de psychiatrie du centre hospitalier de Gonesse (Val-d’Oise)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Cinq contrôleurs ont visité en juillet 2021, six unités des pôles de psychiatrie du centre hospitalier de Gonesse. Ce centre hospitalier général dispose de spécialités de type médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) et assure les soins de trois secteurs de psychiatrie adulte et d’un secteur de psychiatrie infanto-juvénile. Il dispose au total de 954 lits et places dont 105 pour la psychiatrie. L’établissement a terminé récemment la reconstruction de toute la partie MCO dans un immense ensemble moderne, en face du bâtiment de psychiatrie situé de l’autre côté de la route présentant des caractéristiques de vétusté.

  • Le contrôle ayant mis en évidence une atteinte à la dignité sur plusieurs aspects de la prise en charge, une saisine du ministre de la Santé a précédé l’envoi du rapport provisoire.

L’atteinte à la dignité concerne les trois unités fermées de psychiatrie. En leur sein, les contrôleurs ont constaté de nombreuses restrictions de liberté imposées aux patients de manière systématique, comme le retrait du téléphone portable, l’accès limité au tabac, aux biens et aux vêtements. Le port du pyjama y est également imposé sans justification médicale ni scientifique, y compris pour se rendre devant le juge des libertés et de la détention.

Surtout, l’enfermement en chambre d’isolement est pratiqué comme nulle part ailleurs et les contentions sont trois fois supérieures à la moyenne des établissements contrôlés. L’établissement dispose, de fait, en psychiatrie adulte, de vingt-et-une chambres d’isolement (CI) pour soixante-quinze lits (cent cinq en intégrant l’unité Winnicott). Une partie de ces chambres dites fermables disposent d’un hublot sur la porte permettant de voir les personnes attachées sur leur lit depuis le couloir. Aucune chambre utilisée pour l’isolement ne répond aux obligations attendues et l’accès à l’eau et aux toilettes n’est pas partout possible librement. Certaines CI comportent un seau hygiénique. Les modalités légales de placement en CI ne sont pas respectées dans la mesure où la majorité des décisions sont prises et renouvelées par des médecins sans plénitude d’exercice. L’absence d’informatisation de ces décisions amène un travail fastidieux de compilation manuelle par les secrétariats, l’ensemble des données collectées ne permettant cependant pas d’établir un registre de l’isolement et de la contention tel que prévu par la loi.

L’importance et les enjeux médico-légaux des mentions inhérentes à ces décisions d’isolement sont méconnus des médecins, les différentes cases de la fiche de décision des mesures étant parfois cochées sans lien avec la réalité, voire avec établissement de faux antidatés.

Les alternatives à l’isolement ne sont pas recherchées et donc pas tracées. Certaines mesures sont prises de manière irrégulière sans décision médicale écrite et signée. L’analyse des décisions par les contrôleurs montre une pratique d’isolement et de contention très élevée avec un taux de personnes prises en charge dans les services d’hospitalisation et ayant au moins une mesure d’isolement de 70 % et un taux de contention de cette file active de 11 %. Les données concernant les durées d’isolement et de contention, les statuts initiaux et modalités de régularisation du mode légal, ne sont pas exploitables en l’état, et il n’y a aucune information du juge des libertés et de la détention passées quarante-huit heures. Il n’y a ainsi actuellement pas de registre analysable et analysé par les soignants de manière régulière.

Enfin, la lecture de nombreuses décisions d’isolement montre des motivations cliniques irrecevables comme des « risques de fugues », des « idées suicidaires » ou des « bizarreries du comportement » ; la rencontre par les contrôleurs de nombreuses personnes isolées permet également de considérer que l’isolement n’est pas ici une pratique de dernier recours.

En pédopsychiatrie, même s’il n’y a pas d’indignité, les restrictions de liberté pour les mineurs sont là aussi trop systématiques pour l’accès au téléphone et aux biens.

Le consentement aux soins n’est pas toujours recherché : la pratique des prescriptions « si besoin » est généralisée, que ce soit pour des traitements injectables ou des mises en isolement ou des contentions, sans rechercher le consentement du patient. L’établissement ne développe pas par ailleurs les directives anticipées pour les situations de crise, ni l’association de la personne de confiance aux soins. La distribution des médicaments est effectuée dans les unités sans confidentialité et même parfois dans le réfectoire.

L’enfermement dans les unités reste fréquent, que ce soit pour les soins libres comme pour les soins sans consentement, et sans que les critères d’ouverture et de fermeture soient clairement établis.

Enfin, les conditions d’hébergement sont indignes, notamment par l’absence de respect de l’intimité des personnes, que ce soit par les hublots permettant de voir les personnes dans leur chambre, la disposition de CI donnant directement sur l’espace de vie, l’absence de verrou de confort dans les chambres permettant aux personnes de s’y enfermer, l’absence de libre accès normal aux placards de sa chambre.

Pour toutes ces raisons, les contrôleurs recommandent que le comité d’éthique s’empare de ces sujets éthiques et déontologiques et accompagne de manière appuyée les réorganisations à venir.

  • Sur la prise en charge des patients

On note tout d’abord l’absence de toute organisation de soins formalisée dans un projet médico-soignant déclinant la prise en charge concrète, les modalités de respect des droits fondamentaux, les modalités de détermination du projet de soin individualisé et sa mise en œuvre. Ce projet devra prendre en compte la situation exceptionnellement dégradée des ressources médicales.

Concernant les soins psychiatriques à proprement parler, les contrôleurs notent positivement l’existence de réunions cliniques régulières, y compris avec le secteur ambulatoire, la présence des médecins tous les jours et des entretiens médicaux effectués en binôme avec un infirmier. Néanmoins, les services souffrent de l’absence de médecins titulaires en nombre suffisant pour former et encadrer les médecins en formation ou n’ayant pas la plénitude d’exercice.

Les contrôleurs notent également des difficultés liées aux effectifs soignants qui sont, à la lecture des plannings, très majoritairement à l’effectif de sécurité, ce qui indique que le mode dégradé devient le mode de fonctionnement normal des services ; s’ajoutent à cela, le glissement de tâches pour des parties de ménage vers les aides-soignants, la mobilisation de vacataires et intérimaires pas forcément formés à la psychiatrie et l’insuffisance de formation à la prévention de la violence, aux droits des patients, à l’isolement et la contention.

Concernant la gestion de la filière, les modalités de prise en charge des situations de crise et d’urgence sont bien organisées aux urgences générales comme aux urgences psychiatriques ; une convention devra pérenniser les modalités de travail entre urgentistes et psychiatres ainsi que les modalités de décisions des isolements et contentions. Néanmoins, aucune structure ambulatoire ne permet de diminuer les hospitalisations et soins sans consentement par des prises en charge plus adaptées pour certains patients. Les préparations à la sortie des patients sont bien investies par les soignants mais fortement freinées par le manque de structures d’accueil.

Les soins somatiques sont, en ce qui les concernent, bien assurés.

Les usagers et les familles ne sont pas suffisamment associés au processus de soins. Il n’y a aucune association d’usagers en lien avec la psychiatrie présente au sein de l’établissement ; l’accès aux familles est freiné par des mesures non proportionnées aux risques que ce soit en nombre, en horaire ou en locaux.

Les activités pour les patients sont peu développées, sauf à l’unité Winnicott, et les contrôleurs regrettent l’absence d’organisation de la scolarité pour les mineurs.

  • Sur les conditions de prise en charge plus générales

Les locaux sont inadaptés pour les soins de psychiatrie, pour les adultes comme pour les mineurs. Il n’y a pas de jardin ou d’espace extérieur librement accessible aux patients. Les locaux sont vétustes et présentent de nombreux dysfonctionnements. Les chambres fermables disposent des toilettes inox généralement installées dans les centres pénitentiaires en quartier disciplinaire, sans abattant ni point d’eau pour se laver les mains. Le mobilier de base est manquant dans beaucoup de chambres, que ce soit les chaises, table et table de chevet. Il existe encore des chambres à trois lits.

Il n’y a aucun bouton d’appel en état de marche dans les chambres.

Enfin, les chambres de pédopsychiatrie ne disposent pas de WC ni de douche individuelle.

L’hygiène n’est pas totalement prise en compte : on note dans les services des difficultés d’accès aux points d’eau et aux toilettes qui sont manquantes en chambre pour certains, fermées à clé et non accessibles librement pour les autres. Les douches collectives ne sont pas en libre accès. Enfin, il n’y a pas de réflexion sur l’accès aux vêtements des publics précaires, ni de questionnement sur l’hygiène vestimentaire des patients.

Au regard de ces constats, la direction de l’établissement et la communauté médicale et soignante ont pris la mesure des points à corriger et ont répondu à de nombreuses recommandations par des actions déjà mises en œuvre. L’ampleur des travaux et des changements de pratiques à opérer amènera le Contrôleur général des lieux de privation de liberté à évaluer dans un délai de deux ans le chemin parcouru.