Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la troisième visite de la maison d’arrêt d’Evreux (Eure)

Rapport de la troisième visite de la maison d’arrêt d’Evreux (Eure)

Observations du ministère de la justice – maison d’arrêt d’Evreux (3e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations.

 

Synthèse

Six contrôleurs ont effectué une visite inopinée de la maison d’arrêt d’Evreux (Eure), du 4 au 8 octobre 2021. Cette mission constituait une troisième visite faisant suite à une première visite effectuée en février 2009 et une deuxième réalisée du 12 au 15 janvier 2015.

A l’issue de ce contrôle, un rapport provisoire a été adressé le 2 mars 2022 au chef d’établissement de la maison d’arrêt, à la présidente et à la procureure de la République du tribunal judiciaire (TJ) d’Evreux, à l’Agence régionale de santé (ARS) de Normandie, à la direction du centre hospitalier (CH) d’Evreux − ayant en charge les soins somatiques dispensés à l’unité sanitaire de la maison d’arrêt − ainsi qu’au centre hospitalier spécialisé (CHS) du nouvel hôpital de Navarre en charge des soins psychiatriques. Seul le chef d’établissement a formulé ses observations en retour, intégrées au présent rapport.

La maison d’arrêt d’Evreux accueille des hommes majeurs prévenus ou condamnés à de courtes peines ou en attente d’être affectés dans un établissement pour peine dont le plus proche est le centre de détention de Val de Reuil. Elle dispose également d’un quartier de semi-liberté, sous utilisé. Sa capacité d’accueil est de 162 places théoriques.

En 2015, lors de la seconde visite du CGLPL, 243 personnes étaient hébergées à la MA. Lors de ce troisième contrôle, 240 personnes étaient incarcérées dont deux au quartier de semi-liberté. Le taux d’occupation (162 %) était donc globalement identique à celui observé en 2015. Ce phénomène de surpopulation avait déjà été signalé à l’issue du second contrôle. Cette question, qui concerne malheureusement de nombreuses maisons d’arrêt, a toujours été dénoncée par le CGLPL comme attentatoire à la dignité des personnes et constituant un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH. Le droit à l’encellulement individuel n’est pas respecté comme le prévoit la loi pénitentiaire de 2009, seuls quinze détenus occupaient une cellule individuelle lors de cette troisième visite. Cette situation est parfaitement connue de l’administration pénitentiaire et des autorités judiciaires.

De même, les conditions d’hébergement ont peu évolué en dépit des recommandations formulées à l’issue de la dernière visite. L’établissement demeure vétuste et la majorité des cellules sont insalubres nonobstant le programme de rénovation annuelle d’une vingtaine d’entre elles. Leur configuration porte atteinte à la dignité : les WC des cellules ne sont équipés que d’une porte battante voire en sont dépourvues, les cellules ne disposent pas de douche et les détenus n’ont pas accès à de l’eau chaude.

En dépit de conditions de vie dégradantes, accentuées par le phénomène de surpopulation, les incidents sont peu nombreux grâce notamment à une gestion rigoureuse de l’établissement. Les procédures sont respectées afin que les détenus ne fassent pas l’objet d’inégalités de traitement pouvant donner lieu à des tensions. En outre, une attention particulière est portée aux personnes considérées comme vulnérables afin de leur éviter d’être exposées à des actes de violence.

Paradoxalement, certaines mesures sécuritaires sont excessives compte tenu du caractère globalement paisible de la détention. Ainsi, les moyens de contrainte utilisés lors des extractions médicales sont souvent disproportionnés et portent atteinte à la dignité des personnes concernées, comme le caractère systématique et l’absence de décisions motivées des mesures de fouille. Ces constats avaient déjà fait l’objet de recommandations lors de la précédente visite.

Néanmoins, ce troisième contrôle a été l’occasion de relever des éléments positifs. Tous les moyens sont mis en œuvre pour accompagner au mieux les détenus tout au long de leur détention, comme en témoignent la qualité de l’accompagnement effectué par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ainsi que le suivi individuel du parcours des condamnés assuré par l’ensemble des services. La volonté de la direction d’ouvrir l’établissement sur l’extérieur mérite également d’être soulignée. Les nombreux partenariats engagés avec des associations et des structures externes permettent aux détenus de maintenir un lien avec l’extérieur grâce à l’offre d’activités culturelles et sportives riche et diversifiée. Ces initiatives pallient l’accès limité au travail en raison du manque de marchés extérieurs.

Ainsi, le suivi individualisé des détenus ainsi que le travail de partenariat avec les services et les structures extérieurs constituent des points forts de cet établissement. Les nombreuses initiatives engagées par la direction témoignent d’une volonté de faire de la réinsertion de la population pénale une priorité. Cependant la suroccupation de l’établissement, les conditions matérielles d’hébergement déplorables, les pratiques liées aux fouilles et le recours excessif aux moyens de contrainte sont attentatoires à la dignité des détenus. L’administration pénitentiaire ne peut plus faire l’impasse sur ces sujets d’importance majeure.