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Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Beauvais (Oise)

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Beauvais (Oise)

Observations du ministère de la justice – CP de Beauvais (2e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. 

 

Synthèse

La Contrôleure générale, accompagnée de sept contrôleurs et d’une stagiaire, a visité le centre pénitentiaire de Beauvais (Oise) du 3 au 11 décembre 2020.

L’établissement avait déjà été contrôlé en 2017. Un nombre important de signalements reçus par le CGLPL a justifié une nouvelle visite qui n’a pas été annoncée. Ces signalements portaient principalement sur trois thèmes : la fréquence et les modalités des fouilles intégrales, les violences psychologiques et physiques du personnel à l’encontre des détenus et les défaillances de la prise en charge sanitaire.

Le centre pénitentiaire de Beauvais, construit sous la forme d’un partenariat public-privé (PPP), a ouvert en 2015. Il s’agit d’un grand établissement moderne et fonctionnel, non soumis à la surpopulation lors de la visite des contrôleurs. Il est composé de trois quartiers maison d’arrêt pour hommes (dont un en régime Respect, dont les portes ont toutefois été refermées depuis le début de la crise sanitaire), d’un quartier maison d’arrêt pour femmes avec un petit espace nurserie et d’un quartier de semi-liberté pour hommes (QSL).

En premier lieu, il ressort de la visite que les recommandations de 2017 n’ont pas fait l’objet de prise en compte particulière. Sur cinquante-deux recommandations rédigées en 2017, seules douze ont été prises en compte au moins partiellement. Lors de la phase contradictoire du précédent rapport, ni le directeur alors en poste, ni la garde des sceaux de l’époque n’avait formulé d’observations. Lors de la visite, beaucoup d’interlocuteurs présents en 2017 ont indiqué ne pas avoir lu le rapport publié à la suite de la mission.

Par ailleurs, alors même qu’elles portent sur des sujets importants, vingt-deux des cinquante-deux recommandations émises dans le rapport de 2017 pourraient être reproduites à l’identique dans le présent rapport.

Le personnel reste peu expérimenté, peu contrôlé et peu évalué.

Les personnes détenues au QSL n’ont toujours accès à aucune activité et demeurent soumises à l’interdiction de conserver leur téléphone.

Des pratiques de fouille portant atteinte à la dignité et génératrices de violences tant pour le personnel que pour les personnes détenues sont toujours à déplorer, de même que le menottage systématique des personnes détenues, même au niveau d’escorte le plus faible.

La persistance de la lecture du courrier par d’autres personnes que le vaguemestre, de déficiences dans le traitement des requêtes et leur traçabilité, de l’irrespect du droit d’expression collective, de l’absence d’éducation à la santé, de l’exclusion de principe de tout travail au service général pour les détenus en procédure criminelle, de la rémunération en-deçà des minima légaux aux ateliers ou encore de l’insuffisance de la préparation à la sortie, indique un manque d’investissement pour remédier aux problèmes soulevés en 2017.

En sus des préoccupations déjà mises en lumière en 2017, l’attention des contrôleurs a été retenue sur cinq sujets :

  • les projections se développent de manière exponentielle. Selon les chiffres transmis aux contrôleurs, 5 172 colis ont été projetés entre le 1er janvier 2020 et le 11 décembre 2020. Le chiffre doublerait chaque année. Les effets induits sont nombreux : risques accrus pour le personnel et les détenus, fouilles à l’issue des promenades à chaque projection, dans des conditions proches de l’abattage et ravivant les tensions, fouilles de cellules fréquentes, extorsions ou violences entre détenus, etc. ;
  • les fouilles à corps ne sont pas efficacement tracées et pas toujours motivées. Les différents régimes de fouilles prévus par l’article 57 du code de procédure pénale ne sont pas maîtrisés par les agents et par l’encadrement ;
  • l’activité disciplinaire est particulièrement intense. Elle est nettement plus importante que celle pratiquée dans des établissements accueillant une population pénale analogue en nombre et en profil. Le stock d’affaires disciplinaires non traitées est par conséquent trop important, conduisant à des passages en commission de discipline quatre à cinq mois après les faits et à une inégalité de traitement, certains détenus étant libérés avant de comparaître alors que d’autres ne le sont pas. Par ailleurs, la sanction de placement en cellule disciplinaire, avec ou sans sursis, constitue l’essentiel de la réponse disciplinaire. Les autres sanctions légalement possibles ne sont pratiquement jamais prononcées. Sur ce point, la pression syndicale semble opérer, la direction étant régulièrement exposée aux critiques de sanctions « trop faibles » ;
  • la politique d’application des peines n’est pas proactive. La jurisprudence des juges de l’application des peines est très restrictive et fondée sur des critères qui semblent automatiques, tels que le placement en bâtiment Respect ou le passage en commission de discipline ;
  • la confidentialité des soins et de la mesure privative de liberté dont les personnes détenues font l’objet n’est pas garantie lors des hospitalisations ou consultations externes. Par ailleurs, les contrôleurs ont fait état de la nécessité de renforcer les effectifs de psychiatres au sein de l’unité sanitaire. Le CGLPL a par la suite été informé du recrutement, début 2021, d’un psychiatre et d’une infirmière spécialisée en santé mentale ;
  • enfin, certaines mesures de restrictions sanitaires vont au-delà des notes du directeur de l’administration pénitentiaire. Les enfants ont été exclus des parloirs dès le 17 mars 2020. Ils ont pu les réintégrer dans des conditions très restrictives entre le 29 septembre et le 2 novembre 2020, date à laquelle, les enfants ont été de nouveau interdits d’accès aux parloirs. Lors de la mission du 3 au 11 décembre 2020, l’interdiction perdurait.

En second lieu, les contrôleurs se sont inquiétés de pratiques professionnelles irrespectueuses de la dignité et des droits fondamentaux des personnes détenues. De très nombreux détenus ont témoigné de modalités de fouille dégradantes, telles que des ordres du personnel de surveillance de « faire des squats », de prendre la position « du pantin désarticulé », de soulever les testicules ou encore de s’écarter fortement le pli fessier pendant les fouilles. Des images de vidéosurveillance faisant apparaître des surveillants accroupis, regardant longuement l’anus de la personne détenue fouillée ont été visionnés par les contrôleurs. Les fouilles sont réalisées devant plusieurs surveillants, jusqu’à six, parfois hors des salles de fouille alors que l’établissement pénitentiaire en est richement pourvu.

Par ailleurs, le personnel de surveillance pratique rarement la désescalade dans ses contacts quotidiens avec les détenus, cédant facilement à la provocation, voire l’alimentant. Selon certains détenus et certains cadres, ce sont régulièrement les surveillants eux-mêmes qui commencent à insulter les détenus, souvent la nuit ou à travers les portes. Des montées en tension et des remarques désobligeantes sur les motifs d’écrou, l’orientation sexuelle et la couleur de peau sont fréquentes. Les contrôleurs ont reçu plusieurs témoignages de personnes très affectées par ces tensions, qu’il s’agisse de détenus ou d’agents pénitentiaires. De nombreuses situations aboutissent à l’usage de la force. En témoigne le nombre très important de mises en prévention : plus de 50 % des détenus qui ont été sanctionnés par un placement en cellule disciplinaire y ont été placés en prévention alors que ce taux s’élève en moyenne à 25 % dans les établissements pénitentiaires.

Le recours à la force s’effectue souvent par des gestes inadaptés et insécures, tant pour les détenus qui les subissent que pour les surveillants qui les pratiquent. Les agents sont mal formés ; certains n’ont reçu aucune formation initiale à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) du fait de la crise sanitaire. Nombreuses sont les situations dans lesquelles une force disproportionnée est utilisée. Les contrôleurs ont visionné de nombreuses images de vidéosurveillance confirmant les témoignages des personnes détenues en même temps que les soupçons déjà émis par le CGLPL dans le rapport de 2017.

Enfin, plusieurs personnes détenues et membres du personnel de surveillance ont fait part de violences volontaires fréquentes de la part des agents. Cela corrobore les nombreux signalements reçus par le CGLPL dans les mois précédant la visite. Si la directrice de l’établissement a déclaré ne pas être étonnée de ces témoignages, les contrôleurs ont pu déplorer l’absence de signalement au procureur de la République en application de l’article 40 du code de procédure pénale depuis 2018. Trois signalements émanaient de la direction du SPIP. Y compris lorsque les blessures du détenu ont été constatées médicalement, ces situations sont évacuées par l’ouverture de procédures disciplinaires à l’encontre des agents, lesquelles sont finalement classées, après que la parole du détenu a été confrontée à celle des agents. Les contrôleurs ont procédé à de nombreuses vérifications sur place (lecture des écrits professionnels, visionnage des images de vidéosurveillance, photographie des blessures des détenus), chaque fois que des détenus faisaient état de violences récentes. Pour trois incidents récents (1er, 4 et 6 décembre), les contrôleurs ont effectué un signalement à la procureure de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. Un nouveau signalement a été réalisé dans les jours qui ont suivi la visite pour trois affaires détectées postérieurement. Si aucun fait de violences volontaires n’a été constaté par les contrôleurs lors de la visite, une vidéo de septembre en atteste et de nombreux signaux faibles le laissent penser : temps d’intervention en cellule, hors caméra, très longs ; écrits professionnels très souvent lacunaires et parfois manquants ; procédures disciplinaires avec des éléments non creusés, toujours à l’avantage de l’administration ; sanctions qui, souvent, ne correspondent qu’au temps passé en prévention.

Sur tous ces aspects, les contrôleurs ont recommandé aux autorités en charge de l’établissement de renforcer la formation, de développer l’analyse des pratiques et la supervision, et d’obliger le personnel d’encadrement à se rendre dans les coursives pour soutenir, accompagner et évaluer le personnel de surveillance et prévenir les incidents. Un grand nombre de mesures a été cité par les contrôleurs pour identifier plus efficacement les quelques agents fautifs qui ternissent l’image de cet établissement et mieux entendre la voix des personnes détenues dans ces affaires, le tout afin de sortir de l’omerta. A l’issue de la visite, la directrice interrégionale ainsi que le garde des sceaux ont été informés de la gravité de la situation. Ils ont alors informé le CGLPL de plusieurs engagements pris en matière de formation et d’encadrement du personnel du centre pénitentiaire de Beauvais, afin que la situation évolue positivement. Le CGLPL rappelle l’urgence de traiter la question de manière institutionnelle et sans banalisation.