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Rapport de visite du pôle de psychiatrie de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille (Bouches-du-Rhône)

Rapport de visite du pôle de psychiatrie de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille (Bouches-du-Rhône)

Observations du ministère de la santé – Pôle de psychiatrie de l’assistance publique des hôpitaux de Marseille

 

Synthèse

Six contrôleurs ont visité en janvier 2020, le pôle de psychiatrie de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) qui constitue le 3ème CHU de France avec 3 288 lits et places, dont 418 lits et places de psychiatrie (13 %). Il s’agissait de la première visite de cet établissement.

A l’issue, et dans le cadre d’une procédure contradictoire, un rapport provisoire a été adressé au directeur général de l’AP-HM, au directeur de la délégation de l’ARS des Bouches-du-Rhône ainsi qu’autorités judiciaires et administratives du département. Les observations formulées par le directeur général de l’AP-HM et le directeur général de l’agence régionale de santé ont été intégrées dans le présent rapport définitif.

Parallèlement, au regard de la gravité des constats effectués dans une des unités, la ministre des solidarités et de la santé a été saisie par courrier le 3 février 2020.

Depuis 2016, l’AP-HM est l’établissement support du groupement hospitalier de territoire (GHT) des Bouches-du-Rhône qui regroupe les treize établissements publics de santé du département et un établissement du service de santé des Armées. Il comporte ainsi trois centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie : l’AP-HM, le centre hospitalier (CH) de Valvert et le CH Édouard-Toulouse. Ce GHT couvre près de 2 millions d’habitants avec 9 490 lits et places.

Concernant la psychiatrie, l’AP-HM gère trois secteurs de psychiatrie sur le site de Sainte Marguerite (ou « Sud », 239 lits et places), trois secteurs sur le site de La Conception (179 lits et places) et les urgences psychiatriques (CAP 48, 10 lits) sur le site de la Timone.

Il y avait jusqu’en 2015, deux pôles de psychiatrie qui ont fusionné : le pôle dit universitaire à Sud et le « non universitaire » à la Conception. Un autre pôle est spécifique à la médecine et psychiatrie en détention et ne fait pas l’objet du présent contrôle. Le pôle de psychiatrie couvre ainsi les 4ème, 5ème ,6ème, 7ème ,8ème ,9ème et 10ème arrondissements de Marseille.

Le contrôle a concerné sur les onze unités d’hospitalisation complète du pôle ainsi que sur l’unité des urgences psychiatriques. Le constat des contrôleurs a porté majoritairement sur trois grands points.

1 – Tout d’abord, la notion de patient sujet de droit méritera incontestablement une attention particulière car elle constitue une faiblesse importante de l’établissement.

Le point important du constat des contrôleurs a concerné l’unité Cassiopée dans laquelle la dignité des personnes n’était pas respectée. La qualité des soins psychiatriques par les soignants et les médecins n’est pas en cause et il a été observé le professionnalisme et la bienveillance des soignants. Malheureusement, ceux-ci sont placés dans des conditions d’exercice anormales de leur mission, au sein d’une organisation inadéquate de la filière de soins de psychiatrie sur le site de Sainte-Marguerite.

En effet, cette unité n’est qu’un assemblage de onze chambres d’isolement, qui étaient encore toutes fermées la nuit quatre mois avant le contrôle et encore au moment du contrôle pour les patients détenus, sans que cela ne soit enregistré dans le logiciel Cimaise et même décidé par un médecin. Les chambres, utilisées fermées comme CI, sont impropres à l’apaisement d’une crise : un sas qui empêche l’accès à l’eau et aux toilettes et aux commandes électriques, des fenêtres non occultables, pas d’aération, pas d’action sur la lumière, pas d’horloge. De plus elles sont quasi toutes insalubres avec des sols décollés, des fenêtres qui ne s’ouvrent plus, des fils électriques apparents et interrupteurs cassés. Les chambres sont sans meuble, avec uniquement un lit métallique au centre de la pièce fixé au sol. Les pratiques d’isolement (porte de chambre fermée) n’y sont pas analysées par les équipes.

Enfin les conditions hôtelières accentuent l’indignité : le service ne dispose pas de serviette pour les patients sans famille ou indigents ; les familles doivent déposer leurs affaires personnelles (sacs, téléphone) avant de rentrer dans l’unité ; cinq caméras se trouvent dans l’unité de soins et filment en permanence les patients, les écrans étant visionnés par des vigiles privés. Un pyjama stigmatisant est obligatoire les vingt-quatre premières heures sans raison médicale. L’accès au patio extérieur n’est possible qu’accompagné. Le tabac est contingenté arbitrairement par les soignants.

L’indignité de cette prise en charge est accentuée par des locaux structurellement inadaptés à l’exercice de la psychiatrie : pas de bureau d’entretien garantissant la confidentialité et la sérénité d’une consultation, pas de salle d’activité, pas d’espaces d’apaisement et d’hypostimulation différenciés, pas de salon famille. Cette indignité n’est, par ailleurs, pas atténuée par les activités (occupationnelles et thérapeutiques) qui sont réduites à peu de chose. Elles ne sont pas organisées et intégrées dans le projet de soins.

Les restrictions de liberté sont systématiques pour tous les patients sans rapport avec la clinique ; retrait du téléphone et de toutes les affaires personnelles à l’exception des vêtements qu’il porte.

Ces constats ont fait l’objet d’une lettre au Ministre de la Santé lui demandant de mettre un terme à cette prise en charge indigne. L’établissement a rapidement réagi et s’est engagé à transformer les modalités d’hospitalisation au sein de l’unité Cassiopée dans l’attente d’une fermeture définitive de ce service.

Toujours sur le sujet du patient sujet de droit, l’information donnée aux patients sur leurs droits est insuffisante, informelle et parfois inexacte : les livrets d’accueil, non spécifiques à la psychiatrie, sont rarement remis, les règles de vie peu écrites. Par ailleurs, la personne de confiance est globalement peu intégrée dans la prise en charge. La notification des droits des patients en soins sans consentement est faite mais les copies signées ne sont pas partout données ; les certificats médicaux sources des décisions du directeur aux arrêts du préfet ne sont pas joints à la notification. Enfin, les décisions ne sont pas prises en temps réel et sont notifiées avec retard. Tous ces points ont été pris en compte par l’établissement qui les a corrigés.

Enfin, le registre de la loi ne permet pas de contrôler le déroulement de la procédure, difficilement consultable, et avec des informations et pièces manquantes. Quant aux audiences du juge des libertés et de la détention, elles devraient se tenir au sein de l’établissement.

Une recommandation a été émise dans le cadre du respect plus global de la dignité et du respect des droits fondamentaux, de faire en sorte qu’un comité d’éthique spécifique à la psychiatrie se mette en place et cette recommandation a été suivie.

2 – Concernant l’organisation de la prise en charge, l’AP-HM dispose d’un projet d’établissement 2017-2021 qui fixe les orientations stratégiques sur la base d’un projet médical se déclinant en cinq axes stratégiques dont la thématisation hospitalo-universitaire des sites, de nouvelles organisations avec les professionnels de ville et le secteur médico-social dans le cadre des parcours de soins, enfin une dimension d’innovation et de recherche avec le développement des neurosciences.

Concernant plus spécifiquement la psychiatrie, plusieurs ébauches de projet médical ou médico-soignant ont été écrites depuis 2016 par les responsables médicaux. Ces projets se sont toutefois souvent limités à des compilations de plusieurs idées assorties de demandes de financements spécifiques et il n’y avait pas encore eu d’accord sur un projet de pôle unique ni même sur une organisation de la filière de psychiatrie intra et extra hospitalière, entre les différents médecins du pôle. La recommandation du CGLPL d’établir un tel projet de pôle définissant les stratégies et modalités de prise en charge des patients de psychiatrie, y compris les patients en soins sans consentement a accéléré les réflexions en cours et un projet médical 2020-2024 annexé aux observations du directeur général se structure désormais autour de cinq sous filières : les soins de proximité hospitaliers, les soins de proximité ambulatoires, les soins de recours ambulatoires, les soins de recours hospitaliers et les soins non programmés avec l’interface somatique ; ce projet prend en compte les droits des patients dans une refonte de la prise en charge des personnes en soins sans consentement dès les moments de crise à domicile et dans un esprit de filière de soins globale et de restriction minimale des libertés. La direction de l’AP-HM indique cependant qu’il reste aux acteurs du pôle à détailler les propositions d’organisation en fiches thématisées chiffrées et ordonnancées. Ce travail sera achevé sur le second semestre 2020. Il sera soumis à concertation puis validation. Est notamment attendu l’impact des projets en matière immobilière, sociale et financière.

Ainsi au moment du contrôle, l’organisation des soins au quotidien dans les services n’est pas conçue selon les besoins de soins des patients. Les effectifs d’infirmiers et d’aides-soignants ne font pas l’objet d’une définition du besoin intra et extrahospitalier ; il n’y a pas d’effectif de sécurité et parfois plus de soignants auprès des patients la nuit que le jour, sur des considérations sécuritaires peu argumentées.

Les dotations allouées par les tutelles pour le fonctionnement de la psychiatrie, intra comme extra hospitalière, ne sont pas affectées à une prise en charge normale des patients de psychiatrie depuis leur domicile jusqu’à leur retour dans le droit commun. Dans la mesure où la qualité des soins est ce jour dégradée au regard des nombreux points évoqués par le contrôle, il sera demandé la réaffectation aux soins de psychiatrie des crédits non utilisés par la psychiatrie (six millions par an) au profit de sa remise à niveau.

Par ailleurs, les soignants devront bénéficier de formations sur les sujets des droits des patients, de l’isolement, et de la prise en charge des violences. La consolidation des savoirs pour les nouveaux infirmiers a le mérite d’exister mais n’est pas systématiquement proposée ; et une période de doublure s’effectue sur quelques jours à un mois sans être réellement un tutorat labellisé. Il n’y a plus de supervision. Sur ces points l’établissement a répondu favorablement aux recommandations du CGLPL.

L’accès au somaticien devra être mis en place sur l’ensemble des trois sites, par la présence régulière d’un médecin généraliste examinant toutes les admissions et les patients en isolement. L’établissement a indiqué être en recherche de candidat sur le poste désormais ouvert.

Concernant les soins psychiatriques à proprement parler, ils sont très bien organisés : il y a toujours un médecin sénior dans les services, les relèves et réunions cliniques et de synthèse, pluridisciplinaires, sont faites régulièrement ; les entretiens médico-infirmiers et infirmiers sont fréquents ; le projet de soins est ainsi analysé et suivi de manière professionnelle. Quelques services développent plus que d’autres les réunions de coordination intra/extra. Il sera demandée une meilleure intégration des activités dans le projet de soin des patients de Sainte-Marguerite. De même, il y a encore peu de réunions soignants – soignés mais le développement de médiateurs santé-pairs apporte une plus-value incontestable.

3 – Enfin, les conditions de prise en charge sont marquées, sauf à l’unité Cassiopée, par un respect de la liberté d’aller et venir et à la limitation des restrictions de liberté. Toutes les unités sont ouvertes, l’accès aux chambres, aux activités, aux espaces extérieurs, est libre.

Les restrictions de liberté sont peu nombreuses que ce soit en lien avec le tabac, les visites de familles, le téléphone. On peut regretter encore quelques usages du pyjama en prévention des fugues.

Concernant les locaux, les chambres sont propices à la prise en charge : lumineuses, spacieuses, individuelles, disposant toutes d’une salle d’eau ; les portes disposent d’un verrou de confort permettant de se protéger, les placards disposent d’un système de fermeture pour y ranger ses affaires. Quelques unités permettent également d’entreposer dans un réfrigérateur spécifique des denrées apportées pour les patients.

En revanche, d’autres conditions de prise en charge sont dégradées : certaines douches n’ont plus d’eau chaude. Les repas sont servis dans des barquettes en plastique, avec des couverts en plastique, même si les patients peuvent avoir des suppléments et manger dans leur chambre. Il n’y a souvent plus de goûter et la tisane du soir n’est plus généralisée.

Concernant l’hygiène et même si les locaux d’hospitalisation sont globalement propres, certains services n’ont plus de machine à laver ; il n’y a pas de flexible de douche pour les patients qui le nécessiteraient. Il n’y a aucun stock de serviettes permettant aux patients démunis ou sans famille, de s’essuyer après la douche.

Concernant l’isolement et la contention, l’établissement n’utilise que rarement la contention. La pratique de l’isolement est modérée mais il est dommage de n’avoir fait aucune analyse des pratiques dans la mesure où l’unité Cassiopée prend en charge une partie de ces isolements. Beaucoup de chambres d’isolement ne sont pas propices à l’apaisement à des degrés divers entre celle de Sud et celles de La Conception.

Suite aux recommandations émises par le CGLPL ainsi que l’alerte faite au ministre de la Santé, les autorités médicales ont pris la mesure de l’impact de l’organisation des soins actuelle vis à vis du respect des droits des patients et ont mis en place un projet médical pertinent que l’établissement devra s’efforcer d’accompagner dans les meilleurs délais, s’appuyant sur le suivi particulier du rapport mis en place par l’agence régionale de santé.