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Rapport de visite de l’établissement public de santé Alsace-Nord à Brumath (Bas-Rhin)

Rapport de visite de l’établissement public de santé Alsace-Nord à Brumath (Bas-Rhin)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

Suivi des recommandations à 3 ans – Etablissement public de santé Alsace-Nord à Brumath

 

Synthèse

Dix contrôleurs ont effectué une visite de l’établissement public de santé Alsace Nord (EPSAN) du 4 au 14 novembre 2019. La visite a été annoncée à la direction la semaine précédente. Le rapport provisoire rédigé à l’issue de cette visite a été envoyé le 1er juillet 2020 au directeur de l’EPSAN, au président du tribunal judiciaire de Strasbourg ainsi qu’au procureur de la République près ce tribunal, à la délégation départementale du Bas-Rhin de l’agence régionale de santé du Grand-Est et au préfet du Bas-Rhin. Par courrier du 14 août 2020, le président et le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Strasbourg ont fait savoir que le rapport n’appelait aucune observation de leur part ; par lettre du 9 septembre 2020, la déléguée territoriale du Bas-Rhin a indiqué prendre note des points d’amélioration relevés par le rapport. Les précisions et observations présentées par le directeur de l’EPSAN dans sa réponse du 24 août 2020 ont été prises en compte dans le présent rapport définitif.

L’EPSAN couvre les huit secteurs du Nord du Haut-Rhin, les autres secteurs du département étant pris en charge par l’EPSM d’Erstein et le CHU de Strasbourg. Il compte près de 300 lits répartis dans dix-huit unités installées sur deux sites : l’un – historique – situé à Brumath (distant de 20 km de Strasbourg) héberge quatorze unités, comprenant trois unités intersectorielles fermées pour patients à pathologies complexes et deux unités intersectorielles de gérontopsychiatrie dont l’une est fermée. L’autre site, ouvert en mai 2019 et installé dans des locaux neufs à Cronenbourg, quartier Nord-Est de Strasbourg, accueille les patients des quatre secteurs de l’Eurométropole de Strasbourg dans six unités dont deux unités intersectorielles de vingt lits, l’une, ouverte, de réhabilitation et l’autre, fermée, de gérontopsychiatrie.

Chaque secteur offre des services extra hospitaliers dont le maillage répond aux besoins de la population : dix-neuf centres médico-psychologiques (CMP) pour adultes, enfants et adolescents, vingt-six hôpitaux de jour dont six de gérontopsychiatrie et sept pour enfants et adolescents, des centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), des ateliers thérapeutiques, une équipe mobile de psychiatrie précarité, une équipe mobile de réhabilitation.

Ce dispositif de prises en charge psychiatriques est complété par une unité de soins de longue durée de soixante-douze lits, une maison d’accueil spécialisée (MAS) de vingt-quatre places, un foyer d’accueil médicalisé (FAM) de quarante places et un centre de ressources autisme. Le souci du respect de la personne du patient, largement partagé par l’ensemble des catégories de personnels – soignants ou non – et ressentie par les patients eux-mêmes, constitue l’élément essentiel du constat : cette valeur dominante fédère et motive des agents dont tous également ont témoigné leur satisfaction de travailler dans l’établissement. De nombreux points positifs ne dissimulent cependant pas quelques faiblesses.

  1. Les locaux d’hébergement sont d’une qualité inégale

Les bâtiments de Cronenbourg sont confortables et agréables – toutes les chambres sont individuelles avec salle d’eau et porte palière qui rassure très clairement les patients – à ceci près que les vitrages des chambres permettent une vue sur l’intérieur, le passant dans la rue voisine peut voir qu’une personne de sa connaissance déambule dans les couloirs et donc y est hospitalisée.

En revanche, si certaines unités de Brumath offrent des chambres individuelles avec salle d’eau, d’autres sont dans des états déplorables : chambres doubles voire triples, sans douche, et même une chambre-bureau sans point d’eau. Mais, le site dispose de nombreux locaux et un plan de rénovation devrait mettre fin à cette disparité.

Les locaux collectifs sont de bonne qualité : cafétérias bien aménagées, salle de balnéothérapie, salle et terrain de sport, amphithéâtre.

  1. Le souci de ce respect des libertés des patients est perceptible dans des pratiques déjà anciennement ancrées à l‘EPSAN.

Les restrictions sont très limitées dans la gestion de la vie quotidienne : accès libre au téléphone, au tabac, prohibition du port du pyjama, fourniture de wifi et possibilité de détenir un ordinateur, ce qui se traduit par l’absence de « règles de vie » dans les unités. Même les plus anciens des soignants ne se souviennent pas qu’il en est jamais été autrement, ce qui est plutôt rare.

De même, aucun lien n’est établi entre statut légal d’admission et affectation en unité fermée, ce qui est correct pour les patients en soins sans consentement.

Les personnes détenues ne sont pas nécessairement placées en chambre d’isolement mais néanmoins toujours en unité fermée.

  1. La qualité de l’information fournie aux patients en soins sans consentement (SSC) est très hétérogène, notamment sur les documents remis.

Les décisions d’admission en SSC sont souvent prises relativement tard par rapport à l’arrivée, un décalage d’au moins une journée voire plus pour les entrées le vendredi ; la notification de cette décision et des droits des patients est faite dans des délais encore plus lointains. Le document unique de notification des droits est incomplet. Les soignants n’ont pas une formation suffisante à la loi de 2011 et se montrent parfois embarrassés pour répondre aux questions des patients. Dans sa réponse au rapport provisoire, le directeur de l’établissement a indiqué que ces documents étaient en cours de modification, que le plan de formation 2021 intégrerait cet aspect du droit des patients et qu’une expérimentation d’astreinte était en cours pour raccourcir les délais d’édiction des décisions.

  1. La qualité de prise en charge est tout autant perceptible dans l’organisation des soins.

Une forte présente des psychiatres (un médecin est présent chaque jour dans chaque unité), les réunions cliniques hebdomadaires sont riches en échanges, une liberté de parole dont tous se félicitent. Des moyens confortables, matériels et humains, sont données pour les activités, notamment par la présence d’un infirmier de journée qui les conduit.

La distribution des médicaments respecte parfaitement le secret médical et l’intimité du patient.

Une Individualisation de la prise en charge est assurée pour les patients souffrant de pathologies complexes.

  1. La suroccupation constante et importante détermine toute la politique de l’établissement, notamment l’organisation de la liberté d’aller et venir.

L’EPSAN a obtenu la validation de son projet d’installation du site de Cronenbourg en contrepartie de la fermeture de soixante-cinq lits, dont vingt restent tout de même actifs à titre transitoire. Alors qu’auparavant, une seule des unités était ouverte, le projet visait à limiter le nombre des unités fermées en organisant une intersectorialité de celles-ci, les autres unités des secteurs pouvant rester ouvertes. Le résultat n’est pas à la hauteur des espérances, ce en raison d’une suroccupation constante des unités fermées ; elle oblige à héberger un patient jugé devoir être pris en charge en unité fermée, dans une unité ouverte qui est alors fermée pour lui et donc pour tous les autres patients.

La suroccupation pèse sur les conditions de prise en charge des patients et surtout sur leurs droits, aux soins, à la préparation de la sortie, à la liberté d’aller et venir : la gestion des lits conduit à ce que des patients ne conservent pas leur lit quand ils sont en isolement et parfois la sortie de l’isolement consiste seulement à ouvrir la porte de la CI. Des patients en permission ne retrouvent pas leur chambre, voire pas leur unité, les équipes sont donc parfois réticentes à une « permission » de sortie sur une durée de plus de douze heures. Ces restrictions ralentissent les possibilités d’évaluation de l’autonomie du patient et donc la pertinence de la sortie définitive. L’élaboration des projets de sortie est plus difficile pour les patients hospitalisés en dehors de leur unité de secteur et ayant besoin d’une orientation médico-sociale. A l’inverse on constate des sorties prématurées pour les personnes n’ayant pas de difficulté de logement. D’où des réhospitalisations rapides alimentant en partie la suroccupation. Les soignants et médecins sont accaparés par la recherche de lits et la gestion du turn-over des patients, les infirmiers d’activité peuvent être utilisés à ces tâches, mettant de côté l’organisation des activités.

Cette situation ne laisse pas la direction indifférente et des mesures ont été prises pour y remédier : dans les deux années à venir, ouverture de structures d’accueil et d’hébergement pour faciliter les sorties ; amélioration de la prise en charge dans les services d’urgence et prévention des crises (ouverture étendue des CMP et équipes mobiles) pour limiter les entrées évitables.

  1. Les pratiques d’isolement sont préoccupantes.

Une grande attention est portée au contrôle des renouvellements de décision d’isolement et de contention et à la réévaluation des mesures. Cependant, les locaux d’isolement ne respectent pas la dignité de l’occupant : problèmes d‘accès à des sanitaires, à un point d’eau, préservation de l’intimité. La sécurité n’est pas suffisamment assurée : Les boutons d’appel sont rares, certaines chambres d’isolement n’ont pas de double entrée. Des pratiques sont attentatoires à la dignité comme la mise à nu des patients suicidaires ou le recours aux agents de sécurité qui se tiennent à proximité lors de certains actes comme la douche.

Le registre d’isolement et de contention n’est pas fiable, notamment avec des doubles inscriptions ou à l’inverse avec des omissions, il ne peut donc constituer un outil fiable pour l’analyse du recours à l’isolement et à la contention.

Enfin, aucun travail institutionnel n’est formalisé sur le recours à l’isolement et à la contention.

Cependant, dans sa réponse au rapport, la direction de l’établissement a indiqué qu’à la suite de la visite des contrôleurs, l’ensemble des chambres d’isolement avait été mis en conformité avec les recommandations et que les erreurs d’enregistrement des mesures avaient été corrigées.

L’EPSAN conscient de ses faiblesses et de ses difficultés s’est donné les moyens matériels de les surmonter. Les divergences de pratiques médicales, notamment sur l’enfermement et la gestion de l’isolement, doivent être discutées institutionnellement, l’élaboration en cours du projet d’établissement devrait en être l’occasion, favorisée aussi par la nomination par le directeur – dans cet objectif – de chefs de pôle investis dans les changements et décidés à la réflexion. L’intérêt qu’a pris l’ensemble des interlocuteurs à la visite du CGLPL devait y contribuer. Le dynamisme de l’établissement s’est encore manifesté par sa réactivité remarquable aux recommandations formulées sur place et dans le rapport provisoire.

Les projets conduits par l’établissement pour multiplier les solutions de sortie devraient, s’ils sont soutenus par les autorités de tutelle, remédier en partie à la suroccupation. Il demeure que le nombre de lits de psychiatrie générale est actuellement insuffisant compte tenu de la « maturité » des dispositifs ambulatoires d’amont et d’aval de prise en charge. Les autorisations d’activité de soins de psychiatrie par l’ouverture de lits données au secteur privé, après la fermeture de soixante-six lits imposée à l’EPSAN en 2014, risquent, si elles devaient être mises en œuvre, de décourager sa détermination et de modérer son dynamisme.