Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de visite de la clinique San Ornello à Borgo (Haute-Corse)

Rapport de visite de la clinique San Ornello à Borgo (Haute-Corse)

Observations du ministère de l’intérieur – Clinique San Ornello à Borgo

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la santé, de la justice et de l’intérieur auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. 

 

Synthèse

Cinq contrôleurs ont visité la clinique psychiatrique San Ornello de Borgo (Haute-Corse) du 29 juin au 3 juillet 2020.

Le rapport provisoire rédigé à l’issue de ce contrôle a été adressé le 1er décembre 2020 au directeur de la clinique ainsi qu’aux chefs de juridiction du tribunal judiciaire de Bastia, au préfet de Haute-Corse et au directeur de l’agence régionale de santé de Corse. Le président-directeur-général (PDG) de la clinique a fait valoir ses observations par courrier 10 février 2021, le préfet de Haute-Corse a communiqué les siennes dans un courriel du 22 mars 2021. L’ensemble de ces observations, ainsi que les éléments des nombreux documents fournis à leur appui par l’établissement, ont été pris en compte dans le présent rapport de visite.

Le département de Haute-Corse compte, pour ses 180 000 habitants, deux secteurs de psychiatrie adulte, tous deux rattachés au centre hospitalier de Bastia, et un intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile. En juillet 2020, l’offre de soins psychiatriques en hospitalisation complète est constituée par l’hôpital de Bastia, établissement public, avec deux unités de dix-neuf lits chacune qui accueillent exclusivement des patients adultes en soins libres, et par deux établissements privés à but lucratif : la clinique San Ornello (CSO) située à Borgo qui dispose de quatre-vingt-dix-sept lits dont cinq de pédopsychiatrie et la clinique du Cap implantée à Luri dans le Cap Corse, à 32 km au Nord de Bastia qui offre quarante-huit lits pour des patients en soins libres.

Ces deux cliniques sont exploitées par deux sociétés juridiquement indépendantes mais toutes deux détenues par le même groupe familial présidé par Charles Zuccarelli, le fils du fondateur. Socialement, la patientèle des deux cliniques est identique et représentative de l’ensemble de la population du département.

La clinique San Ornello est donc le seul établissement du département habilité à l’accueil de patients en soins sans consentement quel que soit le mode d’admission, notamment les personnes détenues admises sur décision du représentant de l’Etat en application des dispositions de l’article D. 398 du code de procédure pénale, situation unique sur le territoire français.

Par ailleurs, l’offre en établissements médico-sociaux pouvant constituer une solution de sortie pour les patients dépourvus de prise en charge familiale se résume aux vingt-huit places de l’unique maison d’accueil spécialisée (MAS) et à cinquante-six places réparties à parts égales dans deux foyers d’accueil médicalisé (FAM).

Une suroccupation chronique accroît la dégradation des conditions matérielles d’accueil.

Les locaux de la clinique sont séparés en trois « services » : le service fermé pour adultes situé au premier étage comporte quinze lits et une zone spécifique regroupant les cinq chambres d’isolement ; le service de pédopsychiatrie, lui aussi fermé, occupe une partie du deuxième étage ; et le service ouvert, constitué des autres chambres, est réparti sur les trois étages. Le rez-de-chaussée ne comporte que des locaux collectifs, administratifs ou techniques.

Les conditions d’hébergement ont été conçues pour être confortables, avec des salles d’eau attenantes à chaque chambre. Cependant, elles sont devenues médiocres en raison d’un nombre important de chambres collectives, doubles ou triples, d’un sureffectif de patients qui augmente encore l’occupation des chambres par des lits ajoutés, pouvant porter jusqu’à cinq patients l’occupation d’une chambre, et d’un niveau de maintenance qui n’est pas à la hauteur de l’usure et des dégradations. L’odeur de tabac est omniprésente. Le parc, vaste et arboré est insuffisamment équipé pour être investi par les patients.

Les locaux collectifs ne sont pas assez nombreux pour permettre la réalisation d’une partie des actes de la prise en charge psychiatrique, notamment les entretiens médicaux et infirmiers ainsi que des activités thérapeutiques, en nombre insuffisant pour l’ensemble des patients.

La suroccupation chronique – le taux d’occupation annuel est de l’ordre de 106 % – est avivée par la faiblesse de l’offre de structures d’aval. Mais la prise en charge en sortie est compliquée sans doute aussi par la situation de cet établissement dans l’organisation territoriale : alors que la clinique prend en hospitalisation complète tous les patients en soins sans consentement des deux secteurs, ses liens avec les structures extra hospitalières de ceux-ci, qui assurent une prise en charge ambulatoire en sortie, n’ont qu’un caractère contingent, reposant sur les relations interpersonnelles qui ont pu se nouer entre les divers intervenants. La politique d’aval n’est donc pas institutionnalisée, même si le service de pédopsychiatrie travaille de façon intense et coordonnée avec les structures de prise en charge des adolescents dans leur sens le plus large : scolaire, social, médical.

La clinique n’a pas rigoureusement intégré dans son fonctionnement les dispositions législatives relatives aux patients en soins sans consentement

Les efforts destinés à permettre aux patients admis en soins sans consentement de connaître et d’exercer leurs droits ne produisent pas encore de résultats satisfaisants : les informations qui leur sont fournies sont inexactes ou lacunaires – motif de la décision, erreurs dans le livret d’accueil, etc. Les patients ne disposent pas non plus d’une information correcte relative aux organes de contrôle (CDSP/CDU), lesquels n’ont pas une remontée d’informations suffisante (plaintes, requêtes non tracées et essentiellement verbales) pour exercer leur mission.

Le registre de la loi prévu par la réglementation, qui doit être visé par la CDSP et les autorités dont le code de la santé publique prévoit qu’elles assurent une visite annuelle au moins, n’est pas correctement mis en place ; des patients en programmes de soins sont hospitalisés pour des périodes dépassant une ou deux nuitées ; les audiences judiciaires sont toujours tenues au tribunal judiciaire de Bastia, occasionnant des trajets qui rebutent autant les patients que les soignants qui doivent les accompagner.

La plupart des patients connaissent peu de restrictions dans le déroulement de leur séjour mais également une prise en charge thérapeutique de faible intensité

Les restrictions imposées aux patients hébergés dans le service ouvert, admis en soins sans consentement comme en soins libres, sont inexistantes. Ainsi, à juste titre, le statut d’admission est sans incidence sur les contraintes imposées à la plupart des patients pris en charge. Il demeure que ceux d’entre eux, tous en soins sans consentement, qui sont hébergés dans le service fermé subissent des conditions de séjour portant une atteinte injustifiée à leur liberté d’aller et venir, à leur droit à un accès à l’air libre ou à celui de communiquer sans restriction avec leurs proches puisque leur téléphone leur est enlevé.

Si la situation des patients détenus à la clinique est, à certains égard, préférable à celle qu’ils connaissent au centre pénitentiaire, les modalités de leur prise en charge induisent des atteintes à leurs droits injustifiées pour certaines, illégales pour d’autres : régime préfectoral des permis de visite fondé sur une lecture anormalement extensive d’un texte aujourd’hui modifié, impossibilité d’accès à un espace extérieur, défaut d’information sur leur statut, impossibilité de recevoir des soins somatiques en milieu ouvert sans repasser par le centre pénitentiaire. L’établissement s’émeut légitimement de ces atteintes aux droits des personnes détenues et a proposé un projet d’hébergement qui pourrait mettre fin à certaines d’entre elles. Si celui-ci aboutit, il devra, corrélativement, se traduire par une réforme profonde du fonctionnement actuel du secteur fermé.

Par ailleurs, l’autorité préfectorale, qui doit motiver ses décisions de refus d’autorisation de sortie, ne peut se borner à refuser indéfiniment toute autorisation aux irresponsables pénaux, sans en justifier les raisons.

La prise en charge thérapeutique pâtit d’un effectif soignant particulièrement faible et faiblement étayé

La présence médicale est intense, grâce à l’exercice privé sur place des praticiens ; elle permet un entretien médical dès les premiers moments de la prise en charge d’un arrivant. Mais ensuite, les patients ne voient leur psychiatre que quelques minutes lors du « tour » collectif du matin – et à condition qu’ils soient dans leur chambre – alors qu’une consultation médicale est facturée chaque jour pour chaque patient. Par ailleurs, à chaque roulement, deux infirmiers et un aide-soignant ou un aide médico-psychologique (AMP), ont la charge de quarante-cinq patients en moyenne. Ce ratio ne permet ni entretiens infirmiers ni une offre d’activité suffisante, d’où l’ennui visible des patients, ce qu’ils confirment eux-mêmes.

Le recours à l’isolement est important et réalisé dans des espaces dont l’organisation porte atteinte à l’intimité de l’occupant. Il en est de même pour la sécurité du patient puisque sa surveillance est souvent exercée par un agent de sécurité au détriment d’une approche soignante de la sécurité du patient. Par ailleurs, le registre d’isolement et de contention exhaustif et opérationnel requis par la loi n’est pas mis en place. La réflexion institutionnelle sur ce sujet n’est pas engagée.

A l’inverse, la prise en charge des patients mineurs, hormis leurs conditions d’hébergement qui n’offrent aucun accès libre à un espace extérieur, montre un dynamisme et une solidité remarquables dont il est à espérer qu’ils se diffusent au plus vite aux patients adultes.

Il convient de préciser qu’à la suite du rapport provisoire qui lui a été adressé, la clinique a pris des mesures correctives qui devraient rendre une partie de ces constats obsolètes, s’agissant du respect des droits des patients en soins sans consentement. Il demeure que la tutelle devrait accorder une attention accrue à la prise en charge de ces patients qui s’opère dans des conditions de gestion et de financement particulières, et exceptionnelles s’agissant des patients détenus.