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Rapport de la troisième visite de la maison d’arrêt de Tours (Indre-et-Loire)

Rapport de la troisième visite de la maison d’arrêt de Tours (Indre-et-Loire)

Observations du ministère de la justice – Maison d’arrêt de Tours (3e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. 

 

Synthèse

Huit contrôleurs ont effectué une visite annoncée de la maison d’arrêt de Tours (Indre-et-Loire) du 6 au 10 janvier 2020. Cette mission a fait l’objet d’un rapport provisoire adressé le 29 septembre 2020 au chef d’établissement par intérim de cette maison d’arrêt (MA), à la directrice générale du centre hospitalier régional universitaire de Tours, au président du tribunal judiciaire de Tours et au procureur de la République près ce tribunal. Le procureur de la République et le directeur interrégional adjoint des services pénitentiaires de Dijon ont émis des observations, respectivement le 14 octobre et le 16 décembre 2020. Elles ont été intégrées au présent rapport. Il s’agissait d’une troisième visite, après un premier contrôle en 2009 et un second en 2014.

La MA de Tours a été ouverte en 1935. Comptant 145 places, réparties en 119 cellules, elle accueille des personnes de sexe masculin uniquement, mineures et majeures. La détention est divisée en trois quartiers : un quartier maison d’arrêt (QMA), un quartier des mineurs (QM) et un quartier de semi-liberté (QSL) plus récent. La maison d’arrêt est en gestion publique. Le 1er janvier 2020, la MA de Tours accueillait 294 personnes dont quatre mineurs. Le taux d’occupation du site était donc supérieur à 200 % lors de la visite, atteignant 228 % sur le seul QMA. La surpopulation a nettement augmenté par rapport aux deux premières visites (153 % d’occupation au QMA en 2009, et 133 % en 2014). Pour autant, personne ne dort sur un matelas au sol : la plupart des cellules (10,5 m² chacune) compte trois lits. La population hébergée comprend de plus en plus de prévenus (49 % en 2020 contre 30 % lors du précédent contrôle). Sans être généreux, l’effectif du personnel en tenue est suffisant. En revanche, même si la MA de Tours donne l’impression d’être un petit établissement, le nombre de cadres y est trop faible compte-tenu du nombre de personnes réellement hébergées. Lors de la visite, ce constat était amplifié par l’absence du chef d’établissement, gravement malade. Il n’était pas remplacé : son adjoint assurait un long intérim et le dialogue social en pâtissait. L’intéressé est décédé quelques mois après le contrôle et une nouvelle cheffe d’établissement a pris ses fonctions en septembre 2020. Les effectifs sont expérimentés, fidèles à l’établissement et maîtrisent en grande majorité les pratiques professionnelles. Néanmoins la formation continue est très insuffisante. Le budget de l’établissement, en légère baisse par rapport aux années précédentes, permet juste d’assurer le fonctionnement de l’établissement sans possibilité d’y investir. C’est la direction interrégionale qui finance l’ensemble des projets et travaux d’ampleur. Ils sont nombreux, laissant penser que cet établissement s’inscrit dans la durée malgré son apparente vétusté.

Les rapports précédents (2009 et 2014) soulignaient surtout trois difficultés principales : la surpopulation chronique, les conditions de vie déplorables et le sous-effectif du personnel. Seule cette dernière critique n’est plus d’actualité. S’agissant des conditions de détention, elles sont toujours loin d’être satisfaisantes mais respectent davantage la dignité compte-tenu des efforts de l’administration : depuis la dernière visite les réfrigérateurs sont désormais autorisés, l’ensemble des fenêtres de cellule a été changé, les boxes de parloir ont été climatisés, le terrain de sport a été entièrement refait avec du gazon synthétique, etc. Les promenades de l’établissement constituaient un point noir lors de la visite mais une complète reconfiguration de celles-ci est prévue et le financement est acquis : les travaux doivent débuter au premier trimestre 2021. Quant à la surpopulation, la situation s’était aggravée lors de la troisième visite mais a de nouveau évolué à la faveur de la crise sanitaire actuelle. Au 15 décembre 2020, le nombre de personnes détenues était redescendu à 220, soit en moyenne soixante-dix personnes de moins que lors de la visite de janvier. Pour autant, l’établissement est toujours en situation de surpopulation (152 %).

Cette surpopulation est la première atteinte aux droits des personnes qui sont hébergées à la MA de Tours, en ce qu’elle génère, tel un effet « boule de neige » un nombre croissant de difficultés. Les conséquences de cette surpopulation touchent à la fois les conditions de vie des personnes accueillies (accès à la douche, promiscuité en cellule, pressions psychologiques, augmentation des tensions et des violences) mais aussi leur santé psychique (augmentation des troubles adaptatifs et des prescriptions médicamenteuses), les processus de prise en charge (raccourcissement de la durée d’observation au quartier des arrivants, difficultés en matière de cantines, activité disciplinaire plus soutenue et rallongement des délais de procédure, apparition d’une liste d’attente pour intégrer l’école, délai devenu déraisonnable pour une consultation dentaire, etc.) et les mouvements internes et externes (manque de fluidité, taux d’annulation des extractions médicales plus élevé). En outre, en dépit des bonnes volontés manifestes, la surpopulation produit un fort impact sur la charge de travail des professionnels (surcharge pour certains services, augmentation du nombre de suivis affectés à chaque conseiller d’insertion et de probation, impossibilité pour le psychiatre de rencontrer tous les arrivants comme auparavant, etc.) au détriment de sa qualité.

D’autres atteintes aux droits ont été constatées indépendamment de celles liées à la surpopulation. En premier lieu, l’équilibre est rompu entre sécurité et dignité dans de nombreuses pratiques quotidiennes : il subsiste des fouilles intégrales systématiques dans certains cas et les moyens de contrainte ne sont pas individualisés lors du transport des personnes détenues. Ensuite, la tradition orale, encore prédominante à la MA de Tours, ne permet pas d’assurer aux personnes détenues un niveau satisfaisant d’information, de réponse à leurs requêtes, ou de motivation de certaines décisions individuelles. Par ailleurs, le secret médical n’est pas toujours respecté : à la prison, la remise des médicaments ne se fait toujours pas en présence du patient détenu, à l’hôpital le personnel d’escorte reste présent à proximité de lui, même pendant une consultation ou un acte médical. Enfin, le phénomène des projections extérieures, qui constituait déjà une préoccupation lors de la deuxième visite, s’est encore intensifié ces dernières années. Un plan d’action, incluant les partenaires extérieurs (préfecture, police nationale, mairie) doit être rapidement conçu afin de l’endiguer. Il produit des effets délétères : augmentation des trafics et des violences entre personnes détenues, risque d’introduction de produits dangereux, augmentation des fouilles de cellule et crispations subséquentes.

Le constat d’ensemble n’était pas décourageant à l’issue de la visite. Même si l’établissement a stagné par certains aspects, il a beaucoup progressé dans d’autres. Outre les aspects bâtimentaires évoqués plus haut, l’affiliation à la sécurité sociale est désormais possible, des réunions d’expression collective sont régulièrement tenues, les partenariats sont solides.

A l’issue de la phase contradictoire, le bilan est même plutôt encourageant. Sur les cinquante-sept recommandations présentées initialement, huit sont déjà mises en œuvre selon la direction de l’établissement. De nouveaux travaux ont été opérés entre le départ des contrôleurs et la publication du présent rapport : téléphones fixes en cellule, renouvellement complet de la vidéosurveillance. D’autres sont déjà financés, au premier rang desquels la reconfiguration complète des cours de promenade. L’équipe de direction, renouvelée, est désormais au complet. Les contacts entre la nouvelle cheffe d’établissement et les contrôleurs laissent penser que ce rapport constitue pour elle un véritable levier d’action, auprès du personnel qu’elle encadre autant que des partenaires judiciaires qui doivent impérativement être sensibilisés sur les conséquences désastreuses, et parfois méconnues, de la surpopulation carcérale.