Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite du centre éducatif fermé de Doudeville (Seine-Maritime)

Rapport de la deuxième visite du centre éducatif fermé de Doudeville (Seine-Maritime)

Observations du ministère de la justice – CEF de Doudeville (2e visite)

Suivi des recommandations à 3 ans – CEF de Doudeville (2e visite)

 

Synthèse

En application de la loi du 30 octobre 2007 qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), trois contrôleurs ont effectué une visite inopinée du centre éducatif fermé (CEF) de Doudeville (Seine-Maritime) du 8 au 10 juillet 2019.

Cette mission constituait une deuxième visite, la première étant intervenue en juillet 2010.

L’ensemble des documents demandés a été mis à la disposition de l’équipe. Les contrôleurs ont visité tous les locaux recevant des mineures. Ils ont pu s’entretenir avec les mineures présentes, les salariés du CEF et d’autres personnes exerçant sur le site. En fin de visite, une réunion s’est tenue avec le directeur adjoint, l’assistante du directeur, la psychologue du CEF et l’assistante de la directrice générale de la fondation Les Nids dont dépend le CEF.

Le présent rapport a été adressé le 3 mars 2020 au directeur adjoint chef de site du CEF, au directeur général de la Fondation Les Nids, au président et au procureur de la République du tribunal de grande instance (TGI) de Rouen et au directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse (DTPJJ) de la Seine-Maritime et de l’Eure en vue de recueillir leurs observations. Le CGLPL n’a pas reçu de courrier en réponse.

La fondation Les Nids gère actuellement deux CEF dans le département de la Seine-Maritime dont celui de Doudeville qui accueille exclusivement des adolescentes. Les deux CEF, éloignés de 70 km, sont dirigés par un même directeur assisté d’un adjoint, chef de site, dans chaque CEF. Le CEF de Doudeville a ouvert le 12 avril 2007. Sa capacité d’accueil est de dix places de mineures de 15 à 18 ans. Les mineures proviennent de toute la France, outre-mer comprise. Chaque année, le CEF reçoit une centaine de demandes d’admission. Le taux d’occupation attendu du CEF est de 85 % ; le taux annuel effectif d’activité est de l’ordre de 80 %. Depuis octobre 2016, une des chambres est réservée à une mineure radicalisée. Des membres du personnel ont reçu des formations en 2016 et 2017 sur la radicalisation.

Un audit de cet établissement a été conduit en 2014 par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

L’association est propriétaire du terrain et des locaux qui ont été construits pour répondre à l’activité spécifique du CEF. Les sept bâtiments composant l’établissement sont répartis sur une parcelle d’un hectare, l’ensemble est clos, sécurisé et maintenu en excellent état.

Le CEF est situé à environ 2 km du centre de la commune de Doudeville, en milieu rural. En l’absence de transports en commun, l’accès ne peut se faire qu’en voiture.

Le nombre de postes prévus à l’organigramme fixé par la PJJ est de 27 ETP et en pratique, le CEF de Doudeville s’appuie sur 26,5 ETP et un professeur des écoles.

Le personnel est réparti en deux équipes. Le directeur adjoint, chef du centre, pilote l’équipe médico-psychologique ainsi que le personnel administratif et d’entretien. Le « chef de service » pilote l’équipe éducative et l’équipe pédagogique.

Le personnel de l’équipe de direction, celui de l’équipe pédagogique comme celui de l’équipe médico-psychologique détient globalement les diplômes requis par la réglementation.

Le CEF compte douze éducateurs en contrat à durée indéterminée (CDI) dont trois sont titulaires d’une des certifications requises règlementairement. Pendant la visite, cinq de ces éducateurs étaient en arrêt de travail (maladie ou accident) ; ils étaient remplacés par des éducateurs en contrat à durée déterminée (CDD) dont aucun ne disposait de l’un des diplômes requis.

Au moment de la visite, huit mineures étaient placées ; une d’entre elles était en fugue.

Des installations de qualité et un encadrement manifestement assuré permettent de voir des mineures occupées et bien suivies. La recherche de la participation des familles n’est pas une formalité, même si les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des efforts engagés – l’éloignement des familles n’étant pas une explication, d’ailleurs récusée par la direction.

Le projet éducatif est cohérent et mis en œuvre par une équipe bien coordonnée, dont l’organisation du travail encourage les communications entre ses divers groupes. La solidité qui en résulte est favorable à la mise en confiance des adolescentes.

Ce projet vise et réussit, selon le constat établi lors de la visite, à redonner aux mineures une image sereine d’elles-mêmes. Cependant ce succès semble obtenu au détriment de l’acquisition de l’autonomie ; en effet la progressivité de la confrontation au monde extérieur est apparue très voire trop douce, comme pourrait le démontrer le faible nombre d’incidents, dont les fugues, et les maintiens au CEF au-delà des six mois prévus. En outre l’absence, trop fréquente, de solution d’hébergement en sortie est de nature à compromettre le travail accompli : la PJJ doit assumer sa mission sur ce point sans laisser à la Fondation Les Nids l’entière responsabilité de la recherche.

Les contrôles, à travers les différents comités de pilotage, sont nombreux. Cependant, les DIPC sont incomplets et de qualité variable, les efforts de formation ne semblent pas à la hauteur des besoins ; le mode d’organisation du travail des éducateurs en CDI conduit à augmenter leur taux de présence dans l’encadrement mais n’est pas mis à profit pour les aider à mieux rédiger les DIPC. Un effort de formation – à tout le moins une assistance – doit être également conduit à destination des éducateurs en CDD qui représentaient lors de la visite près de la moitié du personnel de l’équipe éducative.

Cet appel important à des contractuels n’a cependant pas conduit la direction du CEF à formaliser un référentiel indicatif de sanctions. Les éducateurs, théoriquement contraints à prendre de façon collégiale des décisions de sanction, agissent dans l’arbitraire et alimentent un sentiment d’injustice chez les mineures. En parallèle, l’absence de formation et de directive sur le recours aux gestes d’apaisement et d’enveloppement ont pour effet d’en augmenter l’usage, de façon incontrôlée, même si cela reste limité.

Cette deuxième visite du CEF de Doudeville a permis de constater qu’un grand nombre de recommandations énoncées en 2010 ont été prises en compte, même si demeurent préoccupants le recours à la contention et l’imprécise traçabilité des incidents. Il demeure que les faiblesses du CEF, faiblesses au demeurant très relatives comparées à celles que connaissent ses homologues s’agissant des ressources humaines, ne doivent pas éclipser, dans l’appréciation générale de son fonctionnement, la qualité d’une prise en charge étayante, finement individualisée grâce notamment, à la bonne cohérence de l’ensemble des équipes éducative, pédagogique et logistique.