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Rapport de la deuxième visite de l’établissement public de santé mentale de l’Aisne à Prémontré (Aisne)

Rapport de la deuxième visite de l’établissement public de santé mentale de l’Aisne à Prémontré (Aisne)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de quatre semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

L’établissement public de santé mentale départemental de l’Aisne (EPSMDA) occupe une place prépondérante dans la prise en charge des soins de psychiatrie dans le département de l’Aisne puisqu’il assure les soins des 300 000 habitants de cinq secteurs de psychiatrie adulte sur sept et toute la pédopsychiatrie. Au sein de l’établissement, la psychiatrie adulte intra hospitalière est divisée en trois pôles.

Le pôle Aisne-Nord comporte deux unités d’hospitalisation complète sur le site de Prémontré : l’Accueil et la Verrerie. Trois autres « unités de proximité » se trouvent à Laon, Chauny et Hirson.

Le pôle Aisne-Sud comporte deux unités d’hospitalisation complète, la Nef et les Tilleuls. Deux autres unités de proximité se trouvent à Soissons et Villiers-Saint-Denis.

Le pôle « intra et services spécialisés » comprend, outre le service somatique, le centre psychiatrique d’accueil et d’orientation (CPAO), une unité de réhabilitation temps plein (Tosquelles), deux unités d’accueil spécialisées (UAS Nymphée et la Closerie), l’unité de soins intensifs psychiatriques (USIP) intégrée dans le service médico judiciaire, et l’unité de psychogériatrie.

La pédopsychiatrie comporte quant à elle deux unités d’hospitalisation, une de semaine pour les 3-12 ans et une complète pour les 12-16 ans.

L’EPSMDA dispose au total d’une capacité de 553 lits et places, dont 388 lits d’hospitalisation complète (HC).

L’établissement participe de manière très impliquée dans l’élaboration du projet territorial de santé mentale (PTSM) qui prévoit par exemple le développement de la pair-aidance[1], la réorganisation de centre médico-psychologique (CMP) vers une prise en charge plus rapide et des situations de crise, l’accompagnement vers l’emploi, le développement de l’habitat accompagné et une réponse téléphonique 24h/24 pour patients, familles et professionnels.

Si ces projets sont à même d’améliorer la prise en charge des patients en soins sans consentement, les constats opérés au sein du site de Prémontré restent encore loin de ces objectifs.

1 – Sur l’organisation des soins

Il n’y a aucune organisation des urgences psychiatriques à l’échelle du département et on note l’absence de psychiatre au sein des services d’urgence, même si l’EPSMDA y projette des infirmiers des hôpitaux de proximité et quelques vacations médicales à Soissons. Par ailleurs, l’établissement n’a que très peu développé de prises en charge ambulatoires pour prévenir les hospitalisations. Un CPAO permet une prise en charge en urgence mais ses places et moyens humains sont insuffisants.

Concernant l’établissement à proprement parler, la politique de soins a été abandonnée paralysée par le déficit budgétaire. Les moyens financiers attribués par la tutelle sont insuffisants. Il n’y a ni projet d’établissement ni schéma directeur immobilier projetant les adaptations architecturales nécessaires. Certains services souffrent de l’absence de conceptualisation de la prise en charge, alors que l’élaboration de projet médico-soignant dans chaque service permettrait l’instauration de conditions de travail stabilisées pour les soignants. L’USIP surtout requiert une redéfinition de son projet de service établissant la mission poursuivie, les profils de patients attendus et les modalités concrètes de l’organisation des soins. La prise en charge des personnes détenues en lieu et place de l’UHSA, pose question.

L’organisation des soins devra aussi clarifier la gestion de la suroccupation des lits et le cheminement des patients entre secteurs, qui faute de règles définies, restent source de tension entre services. L’établissement est également confronté au problème de nombreux patients dont les besoins en termes d’accès à la santé sont en inadéquation avec la structure (trente patients ont une orientation vers une structure médico-sociale) ; or l’établissement ne dispose pour ces patients ni d’ergothérapeute, ni de psychomotricien, ni de kinésithérapeute, ni d’éducateur. Le problème est également retrouvé chez les mineurs avec quatre mineurs sur douze chez les adolescents hospitalisés depuis plus de trois ans.

Les contrôleurs notent l’effort réalisé sur les formations initiales des nouveaux arrivants pour l’adaptation à l’emploi et la formation continue des soignants mais regrettent néanmoins l’absence de tutorat et de supervision individuelle et collective régulière. Beaucoup de soignants sont par ailleurs contractuels et non titulaires.

2 – Sur le droit d’accès aux soins

De nombreux postes de médecins psychiatres sont vacants (10 sur 59) et beaucoup de médecins n’ont pas la plénitude d’exercice (un tiers des postes occupés). Mais surtout, l’organisation de l’accès aux médecins n’est pas satisfaisante et les médecins sont trop peu présents dans les services et peu disponibles pour les soignants. Dans au moins deux services, il n’y a pas d’examen d’admission parfois avant plusieurs jours.

Pour autant, les contrôleurs ont observé la tenue de réunions cliniques régulières associant l’extrahospitalier, des réunions de synthèse associant en tant que de besoin les mandataires judiciaires et les patients concernés, quelques réunions soignants-soignés. Les activités sont presque partout intégrées au projet de soins et développées. La prise en charge somatique est totalement assurée.

La prise en charge est néanmoins entachée de procédés illégaux et non respectueux des droits des patients. Tout d’abord, la pratique des injections de traitements « si besoin » sans recherche du consentement du patient est quasi généralisée. Par ailleurs, les pratiques d’isolement et de contention sont, surtout à l’USIP, abusives ou d’habitude. En outre, de nombreux patients en soins libres sont placés en isolement sans que la mesure ne soient régularisée lors des prolongements.

Les modalités de décisions ne sont pas réglementaires de manière fréquentes, prise par des infirmiers ou des médecins sans plénitude d’exercice et sans régularisation par des médecins psychiatres titulaires. Certaines mesures sont prises ou renouvelées par simple accord téléphonique. Le transfert de patients dans d’autres services pour utiliser leur chambre d’isolement est également fréquent.

On relève une méconnaissance du patient en tant que sujet de droit dans les décisions de soins à la demande d’un tiers (SDT) antidatées par la direction de l’établissement (prises le lundi pour le week-end), également dans l’insuffisante recherche du consentement que ce soit pour des transferts vers des établissements médico-sociaux, dans l’administration de traitements non consentis ou dans la mise en place de mesures d’isolement ; enfin, l’information sur l’accès au juge est freinée par de mauvaises procédures d’information.

Pour autant des améliorations sensibles ont été apportées depuis le précédent contrôle, que ce soit à travers les formations aux droits des patients, la réalisation effective des notifications des droits par les soignants, la délivrance des livrets d’accueil et l’établissement de règles de vie presque partout, enfin, la réalisation d’un set de table sur les droits des patients.

 3 – Sur la prise en charge générale des patients et le respect des libertés

La liberté d’aller et venir a certes été améliorée récemment par l’ouverture de quatre unités, mais toutes les autres restent fermées, y compris celles accueillant des personnes en soins libres.

Outre les portes des unités, la liberté d’aller et venir est entravée dans l’accès aux chambres durant la journée, dans trois unités organisées sur deux niveaux. En revanche, la généralisation des verrous de sécurité apporte incontestablement un outil de sécurisation appréciable pour les patients. Par ailleurs, les contrôleurs relèvent une nette amélioration quant aux restrictions concernant la vie quotidienne souvent limitées à ce qui est nécessaire, comme l’absence d’usage de pyjama sauf pour les détenus à l’unité de soins intensifs psychiatriques (USIP), l’accès au tabac, à la télévision, aux visites, au téléphone (sauf à l’USIP). L’installation d’allume-cigarettes mériterait d’être généralisée aux services qui n’en disposent pas encore.

La prochaine installation d’ordinateurs connectés à Internet facilitera encore davantage l’accès à la communication extérieure et à l’information. Seul le service des adolescents adopte encore des restrictions fortes sur le téléphone et impose la médiatisation systématique des communications téléphoniques.

L’hygiène, la gestion des biens des patients et les repas ne posent pas de difficulté avec même un dispositif innovant en matière de suivi nutritionnel des patients par les diététiciennes et médecins somaticiens.

Au regard des réponses apportées à ces constats, il apparaît que l’établissement n’a pas encore pris la réelle mesure de ses faiblesses vis-à-vis du respect des droits fondamentaux des personnes. Il nécessite un accompagnement appuyé des tutelles et devra faire l’objet d’une nouvelle visite rapprochée.

[1] « L’approche par les pairs s’inscrit dans une dynamique d’intervention fondée sur la ressemblance entre l’individu portant le rôle d’intervention et celui portant le rôle de bénéficiaire. », in E. Baillergeau et C. Bellot (dir.) Les transformations de l’intervention sociale. Entre innovation et gestion des nouvelles vulnérabilités?, Presses de l’Université du Québec, 2007, p. 175.