6 juillet 2021
Au Journal officiel du 6 juillet 2021, le Contrôleur général a publié un avis relatif à la prise en charge des personnes transgenres dans les lieux de privation de liberté. Cet avis a été transmis aux ministres de la justice, de la santé et de l’intérieur pour qu’ils puissent formuler des observations. Les observations des ministres de la justice et de la santé, parvenues au CGLPL après la publication, sont accessibles ci-dessous.
Lire l’avis dans son intégralité
Lire les observations du ministre de la justice
Lire les observations du ministre des solidarités et de la santé
Lire les observations du ministre de l’intérieur
Dans le cadre de l’élaboration de cet avis, le contrôle général a notamment réalisé des vérifications sur place à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, aux centres pénitentiaires de Caen et de Toulouse-Seysses, ainsi qu’au commissariat central de Toulouse. Ces enquêtes ont donné lieu à la rédaction de rapports, également publiés. Lire les rapports d’enquête
Cet avis est également disponible en anglais et en espagnol. Le CGLPL remercie l’Association pour la prévention de la torture (APT) d’avoir réalisé ces traductions.
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De nombreuses difficultés rencontrées par les personnes transgenres privées de liberté révèlent les problèmes plus généraux auxquels les autorités peinent à faire face : protéger les personnes vulnérables sans faire peser sur ces dernières des contraintes additionnelles, garantir la sécurité des personnes dans des établissements surpeuplés, prévenir les risques suicidaires, penser la mixité dans les établissements dans un contexte où la question de la sexualité est rarement abordée autrement que sous l’angle des risques d’agression.
Les recommandations du présent avis visent à garantir le plein respect de la dignité et des droits des personnes transgenres privées de liberté, notamment leurs droits à l’autodétermination, à la libre disposition de leur corps, à l’accès aux soins, à l’intimité et à la vie privée. Leur application permettrait également de répondre à un enjeu essentiel : la préservation de l’intégrité physique et psychique de ces personnes, appréhendée sous l’angle des violences interpersonnelles mais également sous celui, souvent négligé, des risques d’auto-agression.
Comprendre les difficultés spécifiques des personnes transgenres pour mettre en œuvre des normes respectueuses de leurs droits fondamentaux
- Mener des études sur une population aujourd’hui largement méconnue
Le parcours des personnes transgenres a fait l’objet de nombreuses études démontrant qu’en raison des discriminations subies, elles sont surreprésentées parmi les populations exposées aux troubles dépressifs, aux conduites addictives, au sans-abrisme et aux mesures de privation de liberté. En France, il n’existe cependant aucune donnée publique concernant le nombre de personnes transgenres enfermées sur décision administrative ou judiciaire et les études sur les difficultés particulières auxquelles elles sont exposées sont embryonnaires. Des recherches sur la situation des personnes transgenres privées de liberté devraient être financées et diligentées par les pouvoirs publics.
- Adapter le cadre juridique actuellement obsolète et contradictoire
Les normes internationales évoluent de manière constante vers une plus grande reconnaissance de l’accès aux droits fondamentaux pour les personnes transgenres. En France, depuis la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, la modification de la mention du sexe à l’état civil n’est plus subordonnée à une transition médicale. Mais aucune disposition normative n’est venue compléter celles régissant la prise en charge des personnes privées de liberté. Les modalités de fouille ou d’affectation des personnes dont le sexe d’état civil ne correspond pas au sexe anatomique ne sont à ce jour pas définies par les textes.
Face à ce cadre juridique incertain les directions des lieux de privation de liberté sont en difficulté dans la prise en charge des personnes transgenres. Si des protocoles ont parfois été formalisés au niveau local, ils n’ont cependant pas été validés par les autorités hiérarchiques ou sont tombés en désuétude avec le départ de leurs auteurs.
Des modifications législatives et réglementaires doivent intervenir dans les plus brefs délais pour tirer toutes les conséquences des changements opérés par la loi du 18 novembre 2016. De nouvelles dispositions claires doivent être adoptées en faveur du respect de l’identité de genre des personnes privées de liberté, de l’accompagnement dans leurs démarches de transition et de la prise en compte de leurs besoins spécifiques.
- Former les professionnels intervenant dans les lieux de privation de liberté
Rares sont les professionnels ayant reçu durant leur formation initiale ou continue un enseignement relatif à la transidentité. Le CGLPL a constaté que le personnel des lieux de privation de liberté se forme généralement comme il le peut, en menant ses propres recherches. Si l’approche du personnel se veut empreinte de bon sens et respectueuse des règles, la prise en charge qu’il dispense aux personnes transgenres est en réalité souvent attentatoire à leurs droits fondamentaux, notamment du fait de leur affectation dans un quartier ne correspondant pas à leur genre auto-identifié, du mégenrage que cela induit et des nombreuses difficultés qu’elles rencontrent dans le cadre des démarches liées à leur transition, auxquels s’ajoutent parfois des actes ou propos dépréciatifs, voire ouvertement transphobes. Ces atteintes répétées à la dignité et aux droits des personnes transgenres peuvent avoir des conséquences délétères sur leur santé mentale, allant jusqu’au suicide.
La formation initiale des professionnels doit inclure des modules approfondis relatifs aux discriminations subies par les minorités de genre. Tous les professionnels doivent être sensibilisés au risque de passage à l’acte auto-agressif auquel les personnes transgenres sont particulièrement exposées et formés à la prévention structurelle du suicide. La parole des personnes transgenres, premières expertes s’agissant de leur situation et de leurs besoins, doit être considérée comme une ressource mobilisable.
Respecter au quotidien l’identité de genre des personnes privées de liberté
- Consulter les personnes transgenres dès l’arrivée afin de les associer à leur prise en charge et ne pas nier leur civilité d’usage
Toute personne arrivant dans un lieu de privation de liberté doit être invitée à s’exprimer sur les craintes qu’elle pourrait nourrir pour sa sécurité ou le respect de sa dignité, notamment en raison de son identité de genre. Les personnes transgenres doivent être libres de dévoiler ou non leur transidentité. Les fouilles par palpation ou à nu menées dans le but d’identifier le sexe anatomique doivent être proscrites.
Dans les locaux de la gendarmerie, en l’absence d’autres directives, les personnes sont seulement placées en cellule individuelle alors que dans les locaux de police la consigne est également donnée de respecter la civilité et le prénom sous lesquels les personnes se présentent. En pratique pourtant, le mégenrage est fréquent, y compris à l’encontre de personnes dont l’expression de genre n’est pas ambivalente. En prison, la prise en charge est quasi-exclusivement fondée sur l’état civil : choix de l’établissement ou du quartier (hommes ou femmes), mentions portées sur les registres et procédures d’écrou, genre utilisé pour s’adresser à la personne, etc.
Lorsqu’une personne transgenre est identifiée, elle doit être placée en cellule individuelle dès son arrivée dans un lieu de privation de liberté. Elle doit être invitée à indiquer la civilité et le prénom selon lesquels elle désire être désignée, en sus des informations figurant à l’état civil. Les personnes arrivant dans un lieu de privation de liberté doivent être questionnées sur les catégories de professionnels auxquelles elles souhaitent faire part de leur transidentité, qui ne doit jamais être révélée sans leur accord.
- Adapter les modalités de fouille pour respecter la dignité des personnes transgenres
En matière de fouille, le respect scrupuleux des règles déontologiques et de la dignité est d’autant plus important pour les personnes transgenres que leurs parcours de vie les ont souvent exposées à des discriminations et actes attentatoires à leur dignité. Les articles 63-7 et R. 57-7-81 du code de procédure pénale prévoient que la fouille doit être effectuée par un agent « du même sexe » que celui de la personne fouillée, sans autre précision.
La police fait en principe primer la notion de genre sur celle de sexe anatomique, de manière que chaque personne soit fouillée conformément à son genre. Le respect de cette consigne est toutefois inégal, que ce soit dans les locaux de garde à vue, les centres de rétention administrative ou les zones d’attente. En gendarmerie, les fouilles sont effectuées par un militaire du même sexe que celui qui figure sur les documents d’état civil de la personne gardée à vue. L’administration pénitentiaire n’a pas émis de consigne à ce sujet et, dans la très grande majorité des cas, la fouille est exécutée par un agent du même sexe anatomique que celui de la personne fouillée, indépendamment du sexe inscrit à l’état civil. Certains établissements diminuent la fréquence des fouilles et privilégient l’usage du magnétomètre aux fouilles par palpation.
L’adaptation des règles et des pratiques de fouille aux personnes transgenres ne constitue pas un droit supplémentaire ou exorbitant, mais simplement l’adaptation du principe général d’égal respect de la dignité à la situation particulière de ces personnes. Cela nécessite de se traduire concrètement dans la mise en œuvre de moyens garantissant la neutralité des regards portés sur les corps exposés.
L’usage du magnétomètre, moins intrusif et susceptible d’être utilisé par des agents des deux sexes, doit être privilégié à tout autre mode de fouille. Les personnes transgenres doivent être invitées à exprimer leur préférence quant au genre des agents par lesquels elles seront fouillées.
- Respecter les souhaits d’affectation des personnes transgenres et permettre une libre expression de genre
Les conditions de vie dans les lieux de privation de liberté sont propices aux discriminations et aux violences. Les personnes transgenres y font figure de cible privilégiée. Dans les lieux où l’hébergement n’est pas mixte, la question de leur affectation dans des locaux pour hommes ou pour femmes est primordiale. En outre, elle marque la reconnaissance – ou la négation – de leur identité de genre et conditionne leur vie quotidienne.
Confrontés aux enjeux d’affectation, de nombreux professionnels s’interrogent sur l’étape à partir de laquelle une personne doit être considérée comme transgenre et faire l’objet d’une prise en charge particulière. Or, la transidentité se présente comme une autodétermination, qui, à l’issue d’une démarche personnelle, ne s’accompagne pas systématiquement de transformations physiques ou d’une modification d’état civil.
Dans les centres de rétention administrative, si le placement des personnes transgenres dans le secteur correspondant à leur sexe anatomique ou en chambre de mise à l’écart a longtemps été la norme, elles sont désormais généralement affectées dans le quartier correspondant à leur genre ou dans les zones « familles ».
Dans les établissements pénitentiaires, seules les personnes transgenres qui ont bénéficié d’un changement d’état civil et d’une opération de réassignation génitale sont assurées d’être affectées dans un secteur conforme à leur genre. L’affectation est très majoritairement déterminée en fonction du sexe inscrit à l’état civil, bien que certaines directions se fondent plutôt sur le sexe anatomique.
Dans leur immense majorité, les personnes transgenres sont incarcérées dans des quartiers qui ne correspondent pas à leur identité de genre. L’administration pénitentiaire tente de les protéger du risque d’agression et prend, pour ce faire, des dispositions qui les invisibilisent. Elles sont souvent placées au quartier d’isolement, ce qui réduit voire supprime leurs possibilités de contacts humains et d’accès au travail, à l’activité physique, à des soins adaptés, etc. Des personnes transgenres peuvent être affectées en détention ordinaire mais leur capacité d’expression dans leur genre est alors restreinte voire annihilée. De plus, la préservation de leur sécurité leur incombe presqu’exclusivement.
Les personnes transgenres privées de liberté ne doivent pas être isolées au seul motif de leur transidentité, hormis s’il s’agit d’une mesure brève et de dernier recours répondant à un caractère d’urgence. Comme toute autre personne susceptible d’être victime de violence, les personnes transgenres peuvent faire l’objet d’une prise en charge spécifique. A ce titre, elles doivent pouvoir être affectées dans un quartier destiné aux personnes en situation de vulnérabilité si elles en font la demande ou à la suite d’une évaluation des risques auxquels elles sont individuellement exposées en secteur ordinaire. La transidentité seule ne doit pas entrainer un placement d’office dans un quartier protégé.
L’accès à des produits communément associés à l’un ou l’autre des genres puis leur utilisation sont difficiles car conditionnés au secteur d’affectation. Ainsi les objets considérés comme féminins sont-ils le plus souvent interdits en détention pour hommes. Parfois, ils sont admis en cellule, sur autorisation expresse et sous certaines conditions. Les règles établies par les chefs d’établissement et leur application évoluent au gré des agents en poste et de ce qui leur paraît relever du bon sens en matière d’égalité de traitement entre détenus. Or, la prise en compte d’un besoin fondamental spécifique ne constitue pas une rupture d’égalité mais en assure au contraire la garantie.
Les personnes transgenres doivent pouvoir posséder des objets et accessoires communément associés au genre auquel elles s’identifient. Les seules interdictions en la matière doivent être justifiées par des impératifs de sécurité circonstanciés.
Actuellement, les autorités pénitentiaires se montrent réticentes à affecter une personne selon son genre auto-identifié lorsqu’elle possède une apparence physique ou des caractéristiques génitales du genre opposé et refusent le plus souvent, par exemple, d’affecter un homme transgenre avec les hommes s’il a un vagin. Est tout d’abord invoqué à cet égard le risque d’agression physique ou sexuelle, les personnes transgenres étant alternativement décrites comme potentielles agresseuses ou victimes. Il incombe à l’administration de garantir la sécurité de toute personne en situation de vulnérabilité.
Le CGLPL rappelle que l’absence de démarches de changement d’état civil ou de modifications physiques ne remet pas en cause la transidentité d’une personne. Il n’y a dès lors pas de conditions de transition nécessaires à l’affectation dans le quartier du genre auto-identifié : le seul critère à prendre en compte est l’autodétermination de la personne concernée.
Les personnes doivent être systématiquement consultées sur leurs souhaits d’affectation dans un secteur pour hommes ou pour femmes. L’exclusion du secteur d’affectation choisi ne doit être envisageable que s’il est établi que la demande initiale était abusive.
Accompagner les personnes transgenres qui souhaitent modifier leur état civil
Si l’assouplissement des règles permettant d’obtenir un changement de prénom ou de sexe à l’état civil a élargi le spectre des personnes pouvant prétendre à une reconnaissance administrative de leur genre, certaines en demeurent en pratique exclues. La mesure de privation de liberté, en ce qu’elle est censée s’accompagner d’une prise en charge sociale, juridique et administrative qui fait parfois défaut aux personnes à l’extérieur, peut être un moment particulièrement opportun pour que celles qui le souhaitent déposent une demande de changement de prénom ou de sexe à l’état civil.
Les personnes transgenres privées de liberté qui souhaitent effectuer une transition juridique doivent être accompagnées au sein des établissements par des agents formés. Elles doivent avoir accès aux coordonnées d’associations œuvrant pour le droit des personnes LGBTI+, dont les interventions doivent être encouragées.
Garantir aux personnes transgenres une prise en charge sanitaire adaptée et permettre une transition médicalisée
- Assurer aux personnes transgenres l’accès à des soins adaptés à leurs besoins
L’accès aux soins et la qualité de prise en charge sanitaire au sein des lieux de privation de liberté doivent être équivalents à ceux qui existent à l’extérieur. Or, l’organisation binaire des affectations et le recours fréquent à l’isolement des personnes transgenres privées de liberté entravent leur accès effectif aux soins.
De nombreux soignants affirment ne mettre en place aucune prise en charge particulière pour les personnes transgenres au motif que le soin doit être pensé comme celui d’un individu et non d’un groupe. Cette approche repose sur la volonté de garantir des soins identiques à l’ensemble des patients. Les médecins rencontrés par le CGLPL ont très majoritairement parlé des personnes transgenres dont ils assuraient le suivi en se référant à leur genre d’état civil et non à leur genre auto-identifié, utilisant ainsi le masculin pour parler de patientes. Un tel mégenrage interroge la connaissance et le positionnement de ces soignants quant aux besoins de leurs patients transgenres.
Les personnes transgenres privées de liberté doivent bénéficier d’un accès effectif et constant à des soins adaptés à leurs besoins. Les soignants doivent instaurer un cadre sécurisant, ce qui suppose de reconnaître et respecter l’identité de genre de leurs patients.
- Permettre la continuité et l’engagement d’une transition médicalisée
Il est fréquent que les personnes transgenres ne bénéficient pas immédiatement de la poursuite de leur traitement hormonal ou d’un suivi post-opératoire à leur arrivée dans un lieu de privation de liberté. De quelques heures dans les locaux de garde à vue à plusieurs semaines dans les centres de rétention administrative et les établissements pénitentiaires, ces retards se cumulent quand les personnes passent successivement d’un lieu d’enfermement à un autre.
Une rupture brutale et prolongée du traitement hormonal est pourtant susceptible d’avoir des effets somatiques délétères pour l’organisme et d’induire la réapparition des signes physiques liés au genre assigné à la naissance (pilosité, mue vocale, etc.), ce qui peut entraîner des souffrances psychiques. Des visites médicales doivent être organisées et les personnes transgenres questionnées sur les éventuels besoins liés à leur transition médicale. Si des traitements ou des soins post-opératoires étaient en cours avant la privation de liberté, ils doivent être poursuivis sans délai.
A l’heure actuelle, dans les lieux de long séjour, il est difficile de poursuivre un traitement hormonal et quasiment impossible d’amorcer et de mener à terme une transition médicale, notamment en raison des réticences des médecins (défaut de connaissance en matière de transition médicale, remise en question de la transidentité de certains patients, idée que les lieux d’enfermement ne sont pas des lieux adaptés pour effectuer des telles démarches, etc.).
Les personnes transgenres qui souhaitent poursuivre ou engager une transition médicalisée doivent être informées et accompagnées dans leurs démarches par le personnel soignant des établissements. Elles doivent bénéficier à bref délai des traitements conformes à leurs besoins et à leurs souhaits.
Aux réticences des médecins s’ajoutent des difficultés induites par l’organisation des lieux de privation de liberté. De nombreuses consultations spécialisées nécessitent des extractions médicales. Or, dans un contexte où les délais pour obtenir un rendez-vous médical sont de plusieurs mois, ces extractions sont difficiles voire impossibles à organiser depuis certains établissements, faute de véhicules et d’escortes disponibles en nombre suffisant.
Le CGLPL réitère sa recommandation générale tendant à l’amélioration substantielle de l’accès des personnes privées de liberté aux soins spécialisés, au respect du secret médical et au renforcement significatif des capacités d’extractions médicales. Les difficultés organisationnelles internes à l’administration ne doivent pas entraver la transition médicale des personnes transgenres.