Rapport de la troisième visite des services de la police aux frontières de Menton (Alpes-Maritimes)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de l’intérieur auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
Deux contrôleures ont effectué une visite inopinée sur la prise en charge des personnes étrangères interpellées par le service de la police aux frontières terrestre (SPAFT) de Menton (Alpes-Maritimes) du 3 au 6 septembre 2018. Un rapport de constat a été adressé au chef du SPAFT, au procureur de la République et au président du tribunal de grande instance de Nice par courriers du 4 juin 2019. La direction départementale de la police aux frontières des Alpes-Maritimes a fait part de ses observations dans un courrier du 5 juillet 2019. Aucune autre observation n’est parvenue en retour au CGLPL.
Le SPAFT de Menton a fait l’objet d’une précédente visite du CGLPL sur la même thématique, en septembre 2017.
Le dispositif de contrôle du secteur frontalier terrestre avec l’Italie, instauré en France dans le cadre de la réintroduction des frontières intérieures avec l’Italie depuis novembre 2015, a été maintenu selon les mêmes modalités que lors de la précédente visite du CGLPL. Le rétablissement des frontières intérieures a pour conséquence la mise en place de contrôles systématiques à des points de passages autorisés[1] (PPA) dans le département des Alpes-Maritimes. Les contrôles sont réalisés à l’entrée en France en application de l’article L.211-1 du CESEDA[2]. Une décision de refus d’entrée est notifiée aux personnes interpellées ne remplissant pas les conditions d’entrée en France dans le cadre d’une procédure de non-admission. Comme en 2017, la surveillance est étendue à des points de contrôle situés en dehors des PPA.
Les personnes contrôlées sont essentiellement des hommes seuls. De janvier à août 2018, les procédures de non-admission ont baissé de près de 42 % par rapport à 2017. Le nombre de personnes non admises dans les Alpes-Maritimes était de 17 057 (29 422 de janvier à août 2017) dont 16 745 (29 144 de janvier à août 2017) au SPAFT de Menton. Malgré une baisse des interpellations de 40 % sur les huit premiers mois de l’année 2018 (19 348 interpellations dont 18 028 par le SPAFT de Menton) par rapport à 2017 (32 071), l’activité du SPAFT de Menton reste soutenue avec en moyenne 77 personnes interpellées par jour entre le 30 août et le 5 septembre 2018.
Lors de la précédente visite du CGLPL, des personnes (principalement des mineurs isolés et des familles), interpellées à la gare de Menton-Garavan, étaient invitées à reprendre un train vers l’Italie sans qu’aucune procédure ne soit mise en œuvre. En réponse à la recommandation du CGLPL demandant à ce qu’il soit mis fin sans délai à ces pratiques illégales de refoulement, le ministre de l’intérieur avait précisé dans ses observations que toutes les personnes interpellées sur les PPA du département étaient conduites au poste de la police aux frontières de Menton Saint-Louis, afin que leur situation administrative soit étudiée et qu’une décision éventuelle de refus d’entrée leur soit notifiée. Des instructions préfectorales en date du 27 février 2018 ont été données pour faire cesser ces pratiques. Dans les faits, toutes les personnes interpellées[3] sont amenées au poste de police puis invitées à regagner l’Italie à pied une fois leur procédure de refus d’entrée terminée.
La récupération de tous les locaux de la douane a permis à la police aux frontières l’amélioration des conditions de travail du personnel. Le contrôle général des lieux de privation de liberté avait recommandé en 2017 que ces locaux exigus, non fonctionnels et inadaptés devaient être aménagés pour permettre au personnel d’exercer ses missions dans de meilleures conditions.
En revanche, l’aménagement des locaux accueillant les étrangers interpellés a peu évolué. En tout état de cause, les investissements annoncés par le ministre de l’intérieur ont été entièrement dédiés à la sécurisation des modulaires et nullement à l’amélioration de leur confort pour les personnes étrangères. Les personnes majeures maintenues pendant la nuit et plusieurs heures en journée dans des modulaires ou dans une salle d’accueil pour les femmes et les mineurs ne bénéficient toujours pas des équipements élémentaires (éclairage, chauffage, climatisation, chaises, matelas, couvertures). Cependant, il arrive que des femmes majeures passent la nuit à leur demande dans l’espace modulaire afin, selon les policiers, de ne pas être séparées de leur compagnon. Le contrôle général des lieux de privation de liberté recommande, quand une telle situation se présente, de privilégier le placement du couple dans la salle réservée aux femmes et aux mineurs, afin de mieux assurer sa sécurité[4].
Le nettoyage des modulaires et de la cour est désormais prévu dans le contrat global d’entretien. Mais dans les faits, le maintien d’un grand nombre de personnes dans ces lieux rend la prestation très aléatoire. Il est regrettable que la prise en charge matérielle des personnes en attente de réacheminement vers l’Italie reste minimale (absence de repas complet, absence de kits d’hygiène corporelle).
Le changement le plus marquant concerne les mineurs non accompagnés qui ne font plus l’objet d’un refus d’entrée et sont systématiquement pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance. En 2017, 389 mineurs isolés avaient été placés en foyer dans le département des Alpes-Maritimes dont 27 à l’initiative du SPAFT. Sur les huit premiers mois 2018, 1 355 mineurs isolés interpellés ont été placés en foyer dans le département dont 1 157 par le SPAFT. Ce changement de pratiques concernant la prise en charge des mineurs isolés constitue indéniablement une évolution positive, de nature à mieux garantir les droits de ce public vulnérable. Cependant, il a été constaté qu’il arrive régulièrement que des personnes mineures ne soient pas identifiées comme telles et qu’elles soient en conséquence non admises comme des personnes majeures.
La situation n’a guère évolué concernant le respect des droits des personnes non admises et l’effectivité de leur exercice. Bien que les interpellations à la frontière aient diminué de près de 40 %, la police aux frontières continue à accomplir des tâches récurrentes dans un contexte de pression « politique » pour garantir l’étanchéité de la frontière. Ainsi, les décisions de refus d’entrée sont toujours notifiées dans des conditions insatisfaisantes, sans examen approfondi des situations, sans délivrance d’informations complètes et sans interprétariat, rendant illusoire toute possibilité pour les étrangers d’exercer leurs droits. De même, il est impossible de solliciter l’asile à la frontière franco-italienne.
Enfin, la durée de maintien dans les locaux de police tend à s’allonger, de jour comme de nuit. Comme lors de la précédente visite, la durée de maintien dépend essentiellement de la disponibilité des autorités italiennes dont le point d’entrée unique n’est ouvert qu’en journée. Il n’est pas exceptionnel de voir des personnes placées dans ces locaux pour plusieurs heures voire pour des durées excédant un caractère raisonnable, ce qui justifierait que les personnes concernées soient placées en zone d’attente et que la prise en charge quotidienne des personnes étrangères s’effectue dans des conditions respectant leur dignité et leurs droits.
[1] Un PPA est un lieu de franchissement des frontières intérieures d’un Etat membre qui doit être déclaré par ce dernier dans le cadre de la procédure de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures. Selon un rapport de la commission d’enquête sur les frontières intérieures du Sénat déposé le 29 mars 2017, 285 PPA ont été activés en France depuis le 13 novembre 2015.
[2] L 211-1 du CESEDA : pour entrer en France, tout étranger doit être muni :1°Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; 2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d’hébergement prévu à l’article L 211-3, s’il est requis, et d’autres documents prévus par décret en Conseil d’Etat relatifs, d’une part, à l’objet et aux conditions de son séjour et, d’autre part, s’il y a lieu, à ses moyens d’existence, à la prise en charge par un opérateur d’assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d’aide sociale, résultant de soins qu’il pourrait engager en France, ainsi qu’aux garanties de son rapatriement ; 3°Des documents nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle s’il se propose d’en exercer une.
[3] La PAF procède exceptionnellement à des renvois par train vers l’Italie pour raisons humanitaires notamment pour des familles avec de jeunes enfants.
[4] La salle est située à proximité immédiate du poste et placée sous vidéosurveillance.