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Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde)

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Huit contrôleurs ont effectué un contrôle du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan (Gironde), du 9 au 13 juillet 2018. Une visite complémentaire a été conduite le 14 mars 2019. Cette mission constituait une deuxième visite faisant suite à un premier contrôle réalisé du 13 au 15 janvier 2009. Un rapport provisoire a été adressé le 15 avril 2019 au directeur de l’établissement, aux chefs de juridiction du tribunal de grande instance de Bordeaux et aux directeurs du centre hospitalier universitaire de Bordeaux et du centre hospitalier Charles Perrens de Bordeaux. Le directeur du centre pénitentiaire et la directrice générale adjointe du centre hospitalier universitaire ont apporté en retour des observations qui sont prises en compte dans le présent rapport.

Implantée sur une commune limitrophe de Bordeaux, la maison d’arrêt de Gradignan est composée de deux structures construites entre 1964 et 1968, séparées de quelques centaines de mètres, chacune d’entre elles étant entourée d’une enceinte : le « Bâtiment A » et le « Bâtiment B » ; entre ces deux enceintes est implanté un quartier de semi-liberté/centre pour peines aménagées (QSL/CPA).

L’établissement dispose de 343 cellules, en principe toutes individuelles ; cependant, la plupart des cellules ayant été équipées d’un deuxième lit, la capacité en termes de lits est de 646. Ainsi, le taux d’occupation annoncé varie entre 170 et 180 % par rapport à la capacité théorique, avec 30 à 40 cellules triplées comportant un matelas au sol. Au moment de la visite du CGLPL, 674 personnes étaient hébergées hors QSL/CPA, dont 32 dormaient sur des matelas au sol ; sur 562 hommes majeurs, soit 71 %, étaient à deux par cellule.

Le concept retenu à l’époque était une construction destinée à être fondue dans le paysage urbain ; il n’y avait à l’origine ni mur d’enceinte, ni mirador, et les fenêtres conçues en verre très épais ne comportaient pas de barreaudage ; ainsi, le bâtiment A se présente sous la forme d’une barre d’immeuble de six étages du style HLM. Depuis cette époque, des murs et miradors ont été mis en place ; les fenêtres ont été protégées par des barreaux ; des caillebottis ont été installés à l’extérieur des fenêtres.

Il a été expliqué aux contrôleurs qu’un projet de démolition des bâtiments actuels et reconstruction de nouveaux bâtiments était en cours de finalisation avec un début des travaux prévu pour 2020 et l’ouverture des nouveaux bâtiments en 2024. Lors de la visite précédente, en 2009, un tel projet avait déjà été signalé aux contrôleurs.

L’état général de l’établissement donne à penser que les travaux de maintenance ont souffert de l’existence de ce projet qui n’en finit pas de se finaliser. A part le QSL/CPA qui est récent, la structure n’a quasiment pas changé depuis 2009. Elle est dans un état désastreux :

  • cellules : mobiliers manquants ; fenêtres percées, fermant mal ; revêtements de sol, de mur usés et moisis ; pas de bouton d’appel ni d’eau chaude ; cloisonnement des toilettes détérioré ; lavabos cassés ; wc bouchés ; odeurs nauséabondes ; température de l’eau trop chaude pour boire, trop froide pour laver linge et vaisselle ; douches communes ;
  • l’ascenseur des personnes détenues est hors service depuis près de deux ans ; seul l’ascenseur du personnel est utilisé quand il ne tombe pas en panne – cela s’est produit pendant la visite –, ce qui perturbe les mouvements ; il sert à tout, notamment à monter les repas et redescendre les poubelles ;
  • cours de promenade en mauvais état ; une grille d’évacuation des eaux de pluie est manquante, un détenu s’est blessé en trébuchant dans le trou ;
  • les cellules du QD et du QI sont mal aérées ; il y fait chaud et humide ; la « cour de promenade » du QD (situé à l’avant-dernier étage) est une grande pièce avec un mur comportant de simples ouvertures sur l’extérieur ; celle du QI (situé au 6ème et dernier étage) est une terrasse couverte d’un double grillage permettant à peine de voir le ciel ;
  • les hommes du bâtiment A ne disposent d’aucun terrain extérieur pour faire du sport ; ils n’ont qu’une salle de musculation pouvant recevoir une trentaine de personnes.

La gestion de la détention se fait dans un esprit bienveillant, mais « sans formalisation suffisante » : peu d’écrits ; traçabilité non assurée ; impossible d’obtenir des chiffres, des statistiques ; courrier des personnes détenues remis par les agents au vaguemestre ; la responsable du greffe étant très efficace, elle intervient pour tout (greffe, parloirs, requêtes, orientations, etc.) ; livret d’accueil non édité (le responsable du vestiaire fait des centaines de photocopies pour le remettre aux arrivants) ; délais de livraison de la cantine longs et aléatoires ; barquettes de repas avec menu spécial distribuées au mauvais étage ; absence de commission « indigents » (traité directement par le régisseur des comptes nominatifs ; enquêtes disciplinaires faites à la va-vite ; commission « classement au travail et à la formation professionnelle » tenue sans la liste complète des demandeurs ; qualité du travail en atelier contrôlée uniquement par une personne détenue, aucun représentant du concessionnaire présent aux ateliers ; fonctionnement du quartier d’isolement non formalisé ; présence de personnels sanitaires (préparateur en pharmacie, podologue, kiné) alors qu’ils ne sont pas prévus dans la convention, etc.

Concernant la vie courante des personnes détenues : le stock de réfrigérateurs étant insuffisant, certaines, dont les mineurs, n’en ont pas alors qu’elles cantinent des produits frais ou du laitage proches de leur date de péremption ; les sacs poubelle ne sont plus distribués quotidiennement ; les postes téléphoniques ne sont accessibles que depuis les cours de promenade ; les hommes du bâtiment A n’ont pas accès à la bibliothèque et doivent commander à partir d’un catalogue ; les kits de nettoyage des cellules, qui comportent aussi la lessive pour le linge, sont distribués à raison d’un seul par cellule même si elle est occupée par deux voire trois personnes ; la protection judiciaire de la jeunesse n’intervient au quartier des mineurs que pour faire des entretiens ; pas de réponse aux requêtes et demandes d’inscription ; la cellule de protection d’urgence, située au quartier des arrivants des hommes, peut recevoir des femmes et est équipée d’une vidéosurveillance, etc.

Les contrôleurs ont cependant constaté quelques points positifs :

  • le fonctionnement du QSL/CPA (notamment accès au téléphone portable) ;
  • le pavillon « Respect », opérationnel quelques semaines ;
  • une douche à l’écrou qui est réellement utilisée ;
  • une cour de promenade du quartier des femmes arborée et aux horaires souples ;
  • une prise en charge des mineurs bienveillante ;
  • une gestion souple et bienveillante des personnes placées au quartier d’isolement ;
  • une cuisine récente, bien conçue ; très peu de plaintes sur les repas ;
  • des parloirs doubles, voire triples ;
  • un point d’accès au droit effectif ;
  • un service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui fonctionne bien ; très peu de plaintes des personnes rencontrées ;
  • de bonnes relations avec les intervenants (enseignants, SPIP, équipes médicales) ;
  • des formations professionnelles intéressantes (peinture en bâtiment, logistique) ;
  • un système de livres en libre-service à chaque étage de détention ;
  • une chorale mixte.

Malgré tous les points négatifs susmentionnés, il dégage de cet établissement une impression de calme ; les contrôleurs n’ont pas perçu de tension importante, tant du côté des personnes détenues que du personnel.

Cependant, l’ensemble du personnel a semblé se faire peu d’illusions sur les éventuelles améliorations avant la reconstruction d’un nouvel établissement.