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Rapport de la deuxième visite du centre éducatif fermé de Saint-Brice-sous-Forêt (Val-d’Oise)

Rapport de la deuxième visite du centre éducatif fermé de Saint-Brice-sous-Forêt (Val-d’Oise)

Observations du ministère de la justice – CEF de Saint-Brice-sous-Forêt (2e visite)

Suivi des recommandations à 3 ans – CEF de Saint-Brice-sous-Forêt (2e visite)

 

Synthèse

Trois contrôleurs ont effectué une visite inopinée du centre éducatif fermé (CEF) de Saint-Brice-sous-Forêt (Val-d’Oise) du 8 au 11 avril 2019. Cette mission a fait l’objet d’un rapport provisoire qui a été adressé le 9 septembre 2019 au directeur du centre, à la directrice territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), à la présidente du tribunal de grande instance (TGI) de Pontoise et au procureur de la République près ce tribunal, et le 27 septembre 2019 au préfet du Val-d’Oise. La directrice territoriale, la présidente du TGI et la première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants, puis le procureur de la République ont émis des observations, respectivement les 8, 14 et 15 octobre 2019. Celles-ci ont été intégrées au présent rapport. Il s’agissait d’une seconde visite, la première ayant eu lieu en mars 2012.

Le CEF de Saint-Brice-sous-Forêt a ouvert ses portes en 2010 : il est habilité pour accueillir douze garçons et filles de 16 à 18 ans. Il est placé sous la responsabilité directe de la PJJ et a compétence nationale. Huit garçons étaient hébergés le premier jour du contrôle ; ils n’étaient plus que six le dernier jour (l’un en fugue, l’autre incarcéré sur décision de la cour d’appel). Ces adolescents sont accueillis dans des conditions matérielles insatisfaisantes : les locaux sont inadaptés (le bâtiment principal est une villa de maître de 1829), dans un état de propreté insuffisant et parfois très dégradés. Le personnel représentant 28,8 salariés en équivalents temps plein, est plus nombreux que lors du précédent contrôle (25 en 2012). Néanmoins, il est peu expérimenté, mal accompagné et insuffisamment formé. La quasi-totalité des éducateurs est contractuelle : les contrats sont courts, leur renouvellement est incertain. Le personnel au contact des mineurs enfermés est donc globalement insécurisé et en partie désinvesti. L’absentéisme est élevé, notamment en lien avec des violences commises par les mineurs sur le personnel.

L’établissement a peu progressé depuis la première visite du CGLPL. Sur les six observations qui concluaient le rapport, quatre étaient encore d’actualité lors de la mission de 2019, malgré des réponses encourageantes du garde des Sceaux en 2016. Seuls les efforts en matière de dispensation des médicaments et de rationalisation de l’espace au bénéfice des jeunes ont réellement produit des effets durables.

A la suite de la visite d’avril 2019, le constat est accablant. Non seulement les progrès attendus ont été minimes mais d’autres difficultés sont apparues. Le personnel ne parvient globalement pas à poser des interdits et les faire respecter. Les contacts sont limités avec les jeunes, certains agents s’enfermant même à clef dans leur bureau. Les emplois du temps des mineurs comportent des incohérences et des trous. Aucune activité n’étant obligatoire, un grand nombre de changements de dernière minute est opérée sans concertation entre professionnels. Les éducateurs ne proposent pas d’activité, se contentant pour la plupart d’assurer une surveillance plus ou moins distante. Les documents institutionnels ne constituent pas des supports utiles (projet de service trop théorique et pour partie obsolète ; règlement de fonctionnement incomplet et pour partie inappliqué, comme en 2012). Les documents de suivi présents aux dossiers individuels sont mal renseignés et rarement signés. Les incidents sont mal tracés ; en cas de transmission de ceux-ci aux magistrats, leur exploitation est incertaine et les retours à l’équipe éducative sont rares. La préparation à la sortie est insuffisamment organisée. Des dissentions sont apparues au sein de l’équipe de direction, connues des éducateurs comme des mineurs. Le management de la structure en souffre et la politique d’établissement est devenue peu lisible. Dans un tel contexte, l’action éducative est très altérée.

Certes, les atteintes à la dignité des mineurs sont inexistantes et les professionnels sont apparus dans l’empathie avec ces derniers. Même si cela résulte plus d’un défaut majeur d’autorité que d’une politique d’établissement, les restrictions de liberté sont très faibles. Pour autant, les jeunes sont livrés à eux-mêmes, manquent de référence éducative et pâtissent d’un quotidien mal organisé dans des conditions de vie parfois dégradées. L’un des agents du CEF a ainsi pu déclarer aux contrôleurs : « je pense que quand ils sortiront d’ici, ils n’auront rien appris ».

Un certain nombre de recommandations présentes dans le rapport provisoire, qui avaient pu être exposées oralement à la directrice territoriale de la PJJ et au directeur du CEF, ont déjà été suivies d’effet selon les éléments transmis au CGLPL. Les réponses, quasiment à l’unisson, de la directrice territoriale, de la présidente du TGI et de la vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants, sont très encourageantes. Même si le CGLPL n’a pu vérifier la réalité de ces progrès, il semble que des travaux ont été entrepris avec des espaces repensés, qu’un plan de formation ambitieux a été conçu et commence à être déployé, que des commissions ont été installées ou réinstallées afin de mieux suivre les projets d’insertion des mineurs ou encore leur passage d’une phase à l’autre pendant leurs six mois de présence au CEF.

Surtout, entre le départ des contrôleurs et le présent rapport définitif, une véritable prise de conscience a manifestement été opérée. L’effectif a été limité à huit jeunes et des contractuels ont comblé certaines vacances de poste, permettant les premiers départs en formation. Le précédent directeur du CEF a été muté à sa demande et un nouveau directeur – dont l’appétence pour le milieu fermé a été soulignée – l’a remplacé en septembre 2019. Sa feuille de route intègre un grand nombre des recommandations du présent rapport. Dans la mesure où la PJJ avait déjà affiché beaucoup de volontarisme à la suite du rapport de 2012, sans résultat probant, les contrôleurs insistent sur la nécessité de ne pas le laisser seul à mettre en œuvre ces recommandations. Certaines d’entre elles ne sont d’ailleurs pas de son niveau mais de celui de la direction interrégionale, voire centrale, de la PJJ (en matière de ressources humaines notamment). Le nouveau directeur, et toute son équipe, doivent donc être accompagnés, soutenus et confortés dans cette tâche qui suppose beaucoup de détermination.