Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite du centre de rétention administrative de Perpignan (Pyrénées-Orientales)

Rapport de la deuxième visite du centre de rétention administrative de Perpignan (Pyrénées-Orientales)

Observations du ministère de l’intérieur – Centre de rétention administrative de Perpignan (2e visite)

Suivi des recommandations à 3 ans – Centre de rétention administrative de Perpignan (2e visite)

Synthèse

En application de la loi du 30 octobre 2007 instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, trois contrôleurs ont effectué une visite inopinée du centre de rétention administrative de Perpignan (66) du 4 au 6 juin 2019 ; il s’agissait d’une deuxième visite. Le préfet des Pyrénées-Orientales a été avisé téléphoniquement ; les contrôleurs ont rencontré le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Perpignan, le procureur adjoint en charge du contentieux des étrangers, un juge des libertés et de la détention et la vice-présidente en charge du service du juge des libertés et de la détention. Le directeur départemental de la police aux frontières était présent à la réunion de restitution qui s’est tenue en fin de visite.

Depuis 2011, le centre est géré par une équipe de soixante-et-onze fonctionnaires de la police aux frontières dont environ un tiers de femmes. Deux brigades d’une vingtaine d’agents assurent à tour de rôle le service de jour et deux brigades de sept agents, le service de nuit. Le greffe est tenu par neuf agents.

Avec ses cinq pavillons d’hébergement, le centre de rétention administrative offre une capacité d’accueil théorique de quarante-huit places pour des hommes adultes. Au moment de la visite, les pavillons faisaient l’objet de travaux de rénovation, par rotation à raison d’un pavillon à la fois, ce qui réduisait la capacité d’une quinzaine de places ; trente-trois personnes étaient retenues, de dix-sept nationalités différentes et âgées de 20 à 45 ans ; parmi elles, trois étaient retenues depuis plus de 45 jours et huit depuis plus d’un mois. Le bâtiment administratif comporte une « chambre de mise à l’écart ».

Depuis la visite précédente, la gestion du centre a été transférée de la gendarmerie à la police. Les contrôleurs ont constaté une nette détérioration des conditions de rétention. Le centre se présente comme un établissement carcéral de haute sécurité, avec notamment la mise en place de clôtures supplémentaires surmontées de concertina.

La surveillance se fait exclusivement par caméra, sans la présence effective de policiers dans la zone de rétention. Ceux-ci y pénètrent uniquement pour assurer la sécurité de l’équipe de nettoyage, contrôler l’accès à l’unité médicale, à l’OFII et à Forum réfugiés et surveiller les repas. Le reste du temps, les policiers disponibles restent ensemble dans le poste.

Les personnes retenues n’ont aucune autonomie ; elles doivent s’adresser aux policiers pour modifier le volume ou le programme de la télévision, pour voir l’infirmière ou un agent de l’OFII ou de Forum réfugiés – ces intervenants ne peuvent pas entrer dans la zone de rétention pour y rencontrer les retenus librement –, et l’obtention d’un ballon doit passer par la cheffe du CRA. Les seules possibilités d’activité physique sont trois appareils de musculation – barre fixe, vélo elliptique et barre pour abdominaux – sur une des deux cours, sans aucun abri contre le soleil et les intempéries ; sur cette même cour, une table de ping-pong en ciment n’a plus de filet. Dans la salle de télévision un baby-foot est cassé depuis plusieurs mois. Deux distributeurs – un de boissons chaudes et l’autre de boissons et friandises – sont à la disposition des personnes retenues ; le distributeur de friandises est hors service depuis plusieurs semaines. Les personnes retenues ne disposent d’aucun jeu de société, aucun livre ou magazine, sauf quelques livres prêtés par Forum réfugiés.

Cette ambiance – inactivité, infantilisation – dans une zone où les personnes retenues se retrouvent seules entre elles entraîne un état très instable de tension sous-jacente ; la plupart du temps, elles déambulent dans la zone entre la salle de télévision, les cinq pavillons d’hébergement et les deux terrains extérieurs, sans rien faire ; une bagarre peut éclater à tout moment – les contrôleurs en ont été témoins à deux reprises. Assez logiquement, elles en arrivent à faire leur propre police, en particulier pour la gestion des chambres : en principe, c’est le greffe qui attribue le lit à l’arrivant ; en réalité, un policier l’emmène jusqu’à la chambre qui lui est attribuée mais, s’apercevant que celle-ci est déjà occupée, il part à la recherche d’un lit libre et d’un pavillon où l’arrivant sera accepté par les occupants.

Les personnes retenues peuvent changer de chambre à tout moment comme elles le souhaitent– « On achète leur tranquillité ». Chaque chambre comporte deux lits mais il n’est pas rare d’y trouver trois matelas dont un par terre ou deux lits mais un seul matelas. Les chambres ont pour unique ameublement deux lits et un bloc table-chaises scellés au sol ; aucun meuble de rangement ni même table de nuit ; quelques effets sont déposés sur la table ; le reste est dans la bagagerie, disponible sur demande. Les volets des fenêtres sont hors service.

La « chambre de mise à l’écart », véritable cellule de garde à vue, pièce aveugle anxiogène, est utilisée notamment pour les personnes au comportement suicidaire, sur prescription médicale.

Les contrôleurs ont constaté d’autres atteintes au respect des droits : aucun panneau de signalisation sur la voie publique, aucun document administratif de notification écrit dans une autre langue que le français, pas de possibilité de téléphoner gratuitement au moment du placement au centre, téléphone portable confisqué dès lors qu’il peut prendre des photos, visites des familles très aléatoires, absence d’oreiller, couverture jamais lavée au cours de la rétention, douches malodorantes et sans porte ni « chicane », repas au menu unique sans aucun choix, présence d’un médecin deux demi-journées par semaine, entretien avec l’OFPRA par visioconférence dans un local sonore et mal isolé, pas de liste d’avocats – qui ne viennent jamais et découvrent les dossier juste avant l’audience –, aucun contrôle des magistrats.

Quelques points positifs ont été observés : un greffe très efficace, des bonnes communications entre policiers et intervenants sans rétention de l’information ; le major, adjoint de la cheffe, passe tous les matins dans la zone de rétention, Forum réfugiés est très actif.