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Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis (Essonne)

Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis (Essonne)

Observations du ministère de l’intérieur – Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (2e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, le 15 juillet 2020 aux ministères de la justice, de la santé et de l’intérieur auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, seul le ministère de l’intérieur a produit des observations.

 

Synthèse

La Contrôleure générale et vingt-et-un contrôleurs ont effectué une visite annoncée de la maison d’arrêt des hommes de Fleury-Mérogis (Essonne) du 5 au 16 novembre 2018. Cette mission a fait l’objet d’un rapport provisoire qui a été adressé le 4 octobre 2019 à la directrice de la maison d’arrêt, au directeur général du centre hospitalier Sud-francilien, au président du tribunal de grande instance d’Evry et à la procureure de la République près ce tribunal. Le directeur de l’hôpital et la direction de l’administration pénitentiaire ont émis des observations, respectivement le 8 novembre 2019 et le 30 mars 2020. Elles ont été intégrées au rapport définitif. Il s’agissait d’une deuxième visite, la première ayant été effectuée en janvier 2010.

La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis est la plus grande prison d’Europe. Elle se divise en trois lieux d’incarcération : une maison d’arrêt des hommes (MAHFM), une maison d’arrêt des femmes (MAF) et un centre des jeunes détenus, fermé provisoirement. C’est la MAHFM qui fait l’objet du présent rapport. Une visite de la MAF a été effectuée en février 2019 et a donné lieu à un rapport séparé, adressé aux ministres en même temps que celui de la MAHFM. Plusieurs recommandations, propositions et bonnes pratiques sont communes aux deux sites et mentionnées comme telles dans les deux rapports. Ouverte en 1968, la MAHFM est composée de cinq bâtiments d’hébergement identiques, renfermant chacun entre 600 et 900 personnes détenues. Le 5 novembre 2018, la MAHFM hébergeait 3 980 hommes (dont 81 mineurs) pour 2734 places opérationnelles. Il n’y a plus de matelas au sol depuis 2017 : lorsqu’elles doivent partager leur cellule, les personnes détenues sont toutes hébergées dans des lits superposés. La capacité opérationnelle de la MAHFM a régulièrement augmenté à la faveur de la remise en état des bâtiments les uns après les autres à partir de 2010, cette rénovation étant aujourd’hui terminée. La maison d’arrêt emploie un peu plus de 1 400 personnes : ses ressources humaines sont marquées par la jeunesse (un tiers des agents a moins de 30 ans) et l’inexpérience du personnel (304 surveillants sortants d’école ont été affectés en 2017), tous corps confondus. Les effectifs sont insuffisants, les taux de congé maladie et d’accident du travail augmentent, le turn-over est très élevé, en particulier s’agissant des surveillants et des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Le budget est à l’équilibre.

Dans le premier rapport, 148 observations avaient été formulées, réparties par bâtiment. Si l’état d’hygiène s’est nettement amélioré (travaux d’ampleur, réfection de chaque cellule, adjonction d’une douche individuelle), d’autres préoccupations restent d’actualité, au premier rang desquelles l’absence de relations humaines entre le personnel de surveillance et personnes détenues et la faiblesse des activités proposées à ces dernières, qu’elles soient ou non rémunérées.

A l’issue de cette seconde visite, le CGLPL reste frappé par le gigantisme de cette structure en ce qu’il ne permet guère des prises en charge adaptées et des parcours individualisés au plus près des besoins des personnes incarcérées. La notion de parcours est d’ailleurs assez étrangère au vocabulaire des surveillants et des cadres de Fleury-Mérogis : ils parlent des « détenus » et non du « détenu », renvoyant presque toujours au groupe et jamais à l’individu. Celui-ci est ballotté de tripale en tripale, de CPIP en CPIP, en permanence adressé d’un service à l’autre, tellement ceux-ci sont spécialisés et les prises en charge morcelées. Même les surveillants d’étage ne connaissent pas les personnes détenues dont ils ont la charge, puisque les effectifs des uns comme des autres changent en permanence. Logiquement, le champ lexical utilisé par la communauté de travail relève souvent de la sphère économique, voire industrielle : « gestion », « stock », « process ». Les rédacteurs du rapport emploieront d’ailleurs le mot « d’industrialisation » pour certains aspects de la prise en charge, notamment celui des fouilles intégrales (environ 80 000 réalisées chaque année).

La taille de l’établissement s’avère donc une faiblesse et le CGLPL ne peut désormais que recommander à l’architecte du futur de limiter les nouvelles constructions de prison à quelques centaines de places. Mais cette faiblesse est amplifiée par une surenchère sécuritaire préoccupante, notamment sous l’influence des organisations syndicales : explosion du nombre de personnes détenues pour lesquelles l’ouverture de la cellule par un agent seul n’est plus possible, augmentation du nombre de fouilles intégrales, retrait d’objets divers, pose d’étiquettes de couleur sur les cellules des personnes réputées dangereuses, confinant ainsi à une certaine forme de stigmatisation. Le niveau de sécurité de l’établissement est de plus en plus aligné sur les exigences de contrôle et de suivi des personnes détenues les plus dangereuses et non sur celles des personnes détenues ordinaires, présentant un niveau de dangerosité moyen. Cette conception du contrôle des mouvements et des relations individuelles prive les personnes détenues d’un certain nombre de droits et limite encore plus leur horizon. Un sentiment d’insécurité, qui peut être généré par cette surenchère autant qu’il l’alimente, est du reste perceptible chez les agents comme parmi la population pénale. Les actes de violence ne sont pas plus nombreux mais apparaissent plus graves (une personne détenue est décédée en cour de promenade en mars 2018 sous les coups de ses codétenus), les saisies de stupéfiants explosent.

Au total, le CGLPL fait le constat d’une prise en charge très déshumanisée malgré un niveau élevé d’organisation et une véritable recherche d’efficacité. Le manque de dialogue est flagrant entre la population pénale et les agents, mais aussi entre les différents services pénitentiaires, ou encore entre l’administration et certains partenaires. Mais en la matière, de quelles marges de manœuvre pourrait disposer l’encadrement dans un établissement trop grand, suroccupé par le public détenu et sous-doté en personnel ? Une vague massive de suicides frappait l’établissement en 2018 (en novembre, déjà deux parmi le personnel et quatorze parmi les personnes écrouées) : il est difficile de décorréler celle-ci des constats effectués. Dans ce contexte, le droit à la réinsertion semble mis de côté à la MAHFM : la personne détenue, qui a parfois peur d’aller en promenade, dort dans la même cellule qu’une personne qu’il ne connaît pas, bénéficie de peu d’activités, rencontre rarement le personnel en entretien individuel, a un accès aux droits assez limité, prépare ainsi sa sortie dans des conditions dégradées. L’ensemble interroge sur l’utilité d’un temps de détention aussi peu propice à la remotivation, la réorientation, le réapprentissage.

Pour autant, le CGLPL peut attester de la volonté de la direction et du personnel de faire évoluer la situation dans bien des domaines, dans l’intérêt des personnes détenues. De très nombreuses initiatives judicieuses parsèment le rapport. Le réseau des partenaires est une chance. Le soutien de la direction interrégionale semble acquis.

Au travers des réponses au rapport provisoire, les contrôleurs ont constaté une réelle prise en compte de certaines recommandations. En particulier, de nombreuses critiques relatives à la prise en charge sanitaire des personnes détenues ne serait déjà plus d’actualité et certaines recommandations apparaissent suivies d’effet sous l’impulsion, notamment, de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France. La situation est analogue en ce qui concerne la prévention du suicide, pour laquelle de gros efforts ont été accomplis depuis la mission, se concrétisant par une baisse spectaculaire du nombre de suicides.

Mais dans bien des domaines, la réponse dépasse l’établissement et appartient à la direction de l’administration pénitentiaire (implantation d’une unité de vie familiale, abondement des effectifs du personnel, réouverture du centre des jeunes détenus, etc.), à ses partenaires, notamment judiciaires (écrous tardifs, politique d’application des peines, accès au droit), aux ministres concernés pour certaines modifications réglementaires voire au législateur, en particulier s’agissant de la régulation carcérale qui prendrait à la MAHFM tout son sens.