Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

2014-2020 : retour sur six ans d’action au CGLPL

10 juillet 2020

 

Le mandat d’Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, arrive à son terme le 16 juillet 2020. L’occasion de revenir sur six ans d’action au sein du CGLPL et de dresser un état des lieux du respect des droits fondamentaux des personnes enfermées.

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Le 16 juillet s’achève mon mandat de Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Six années durant j’ai eu l’honneur d’exercer cette mission et d’œuvrer pour un plus grand respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, qu’elles soient enfermées en prison, à l’hôpital, en centre de rétention administrative, en cellule de garde à vue ou encore en centre éducatif fermé.

La loi assigne au CGLPL l’objectif de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux.[1] » Il s’assure que les droits à la vie, à l’intégrité physique et psychique ou à ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant sont respectés. Il revient également au CGLPL de veiller à un juste équilibre entre le respect des droits fondamentaux des personnes et les considérations d’ordre public et de sécurité, notamment en matière de droit à la vie privée et familiale, au travail et à la formation, d’accès aux soins ainsi qu’à la liberté d’expression.

Concrètement, une équipe d’une cinquantaine de contrôleurs réalise 150 visites d’établissement par an (près de 900 missions ont été réalisées pendant mon mandat) et traitent les saisines que nous adressent les personnes enfermées, leurs proches ou des professionnels (environ 3500 courriers par an). C’est du temps passé en immersion sur le terrain et du contact direct entretenu avec les principaux concernés que le CGLPL nourrit sa réflexion et formule des recommandations pour améliorer la condition des personnes privées de liberté.

Sous mon mandat, de 2014 à 2020, auront été visités 164 établissements de santé mentale, 133 établissements pénitentiaires, 43 centres éducatifs fermés, 27 centres de rétention administrative, 10 locaux de rétention administrative, 18 zones d’attente, ainsi que 168 commissariats et 144 gendarmeries.

Je dois dire que j’ai pu exercer ma mission en toute indépendance et que, même si des débats existent sur l’opportunité de certaines des préconisations du CGLPL, nul ne conteste aujourd’hui l’objectivité de ses constats.

Le modèle du CGLPL a montré son double intérêt : d’une part s’assurer que les structures contrôlées sont à même de garantir le respect des droits et recommander les mesures nécessaires pour améliorer les situations observées, et d’autre part donner à voir, rendre compte objectivement de la réalité de l’enfermement, ce que permet la publication systématique de l’ensemble des travaux du contrôle.

 

Un nouveau regard sur l’enfermement en psychiatrie

Ainsi que je l’avais annoncé en 2014, j’ai fait de la psychiatrie et du contrôle des établissements de santé mentale une priorité forte de mon mandat. Aujourd’hui, l’ensemble des établissements spécialisés en santé mentale ont été visités au moins une fois, à l’exception d’un seul dont la visite a été empêchée par la crise sanitaire que nous venons de traverser. En outre, toutes les unités pour malades difficiles (UMD) et toutes les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) ont été contrôlées, ainsi que la majorité des secteurs de psychiatrie appartenant aux centres hospitaliers généraux ou universitaires Au total, depuis 2014, le CGLPL a effectué 164 visites en établissement de santé mentale.

L’accueil du CGLPL dans les établissements de santé mentale a profondément évolué au cours de mon mandat. En 2014, il était fréquent que les visites du CGLPL soient mal comprises, parfois en raison d’un manque supposé d’expertise médicale – alors même que tel n’est pas le rôle du CGLPL – parfois car les praticiens rencontrés n’avaient pas conscience de priver les patients de liberté, alors même que ceux-ci étaient enfermés, privés des libertés minimales de la vie quotidienne, voire placés en chambre d’isolement ou attachés sur un lit.

Aujourd’hui, cette vision du CGLPL n’a plus cours et les visites donnent lieu à un accueil positif, voire à de véritables attentes. Les professionnels ont pris conscience de ce que la capacité à soigner ne recouvre pas la totalité de la prise en charge et de ce qu’ils manquent de références en matière de droits des patients ou même de règles d’organisation des services, références que le CGLPL est aujourd’hui seul à fournir.

Cet ensemble de visites fait apparaître des pratiques fortement disparates qui vont d’une prise en charge efficace et bienveillante à une prise en charge brutale, souvent accompagnée de retours réguliers en hospitalisation et une augmentation du nombre des soins sous contrainte, malgré la fermeture de la moitié des lits en trente ans.

Cette diversité trouve plusieurs explications :

  • la disparité des « doctrines de soins » (des doctrines divergentes coexistent, allant d’une référence à la « psychothérapie institutionnelle » qui prône une prise en charge ouverte fondée sur la relation humaine et les activités thérapeutiques à une prise en charge sécuritaire qui fait prévaloir l’enfermement et recourt à de nombreuses contraintes, en passant par une approche fondée sur les neurosciences) ;
  • les moyens dont disposent les établissements de santé mentale qui sont souvent traversés par des crises budgétaires. La démographie médicale est également un facteur déterminant, déficitaire en tous lieux, elle est plus pénalisante encore dans certains ;
  • le contexte médico-social : le nombre et la durée des hospitalisations sans consentement sont fortement dépendants des capacités existant localement pour prendre en charge des patients dans un contexte médico-social. En amont, une bonne prise en charge permet en effet de prévenir la crise. En aval, elle permet d’héberger les patients dans des conditions plus favorables au rétablissement, plus respectueuses des droits et moins onéreuses ; à défaut d’hébergement, l’hospitalisation peut se prolonger sans nécessité.

Le CGLPL a peu à peu affiné sa doctrine par la publication de rapports consacrés à la psychiatrie : sur le recours à l’isolement et à la contention (en 2016), sur les droits fondamentaux des mineurs hospitalisés (en 2017) et sur les soins sans consentement en général enfin le mois dernier. Cette doctrine du CGLPL est fondée sur un principe : « hospitaliser moins pour soigner mieux ».

La publication de quatre recommandations en urgence (centre psychothérapique de l’Ain à Bourg-en-Bresse, centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, centre hospitalier du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen et centre hospitalier Roger Prévot de Moisselles) a par ailleurs mis en lumière de graves dysfonctionnements et atteintes aux droits des personnes qui y étaient hospitalisées.

Sur l’isolement et la contention, les constats et recommandations du CGLPL ont permis une évolution législative qui a eu pour intérêt de lever l’ambiguïté sur leur nature que l’on ne peut plus désormais considérer comme un acte de soin, mais seulement comme une mesure de sécurité. La loi fait désormais de ces actes un dernier recours en cas de crise et contraint les établissements de santé mentale à mettre sur pied des politiques de réduction de leur usage. La décision rendue le 19 juin dernier par le Conseil constitutionnel, tendant à instaurer un contrôle juridictionnel des mesures d’isolement et de contention répond à une recommandation du CGLPL et conforte de manière opportune et importante la garantie des droits des patients.

Le rapport paru le mois dernier sur les droits fondamentaux des patients en soins sans consentement montre l’inadaptation du cadre juridique actuellement applicable qui ne permet ni de maîtriser le nombre des hospitalisations sans consentement, en forte croissance, ni de contrôler de manière satisfaisante les conditions de leur déroulement.

La crise sanitaire a permis de clarifier le statut de l’enfermement en santé mentale mais aussi de poursuivre les soins dans un contexte de moindre contrainte. A défaut de directives de portée nationale, la situation a été gérée sur le fondement de décisions locales avant qu’une concertation ne se mette en place autour des structures qui pilotent la psychiatrie au quotidien. Les droits des patients ont connu des restrictions, notamment en ce qui concerne leur liberté d’aller et venir, leurs relations familiales et surtout l’exercice de leurs droits : en effet, dans la plupart des cas, ils n’ont pu rencontrer ni le juge des libertés et de la détention, ni même leur avocat. Le CGLPL a été à deux reprises confronté à la question d’un enfermement abusif pour contraindre des patients au respect des règles du confinement : d’abord par une question posée par un comité d’éthique, ensuite par le constat de l’enfermement des patients quel que soit leur statut d’admission dans un autre établissement. Il a clairement condamné cette pratique, en ce qu’elle constitue un détournement de procédure. Dans un grand nombre d’établissements, le lien avec les patients a été maintenu par la prise en charge ambulatoire ou extra hospitalière. Le CGLPL souhaite qu’une fois la crise achevée, une prise en charge soignante plus ambulatoire et une réduction du nombre des procédures de contrainte perdurent.

Une loi relative à la santé mentale demeure néanmoins nécessaire.

 

Un durcissement des mesures sécuritaires en prison, dans un contexte de suroccupation endémique

Concernant les prisons, les six années qui viennent de s’écouler ont été marquées un durcissement général des règles de sécurité à la suite des attentats terroristes de 2015 et par la poursuite d’une surpopulation endémique que je n’ai de cesse de dénoncer[2]. La crise sanitaire que nous traversons a permis une baisse spectaculaire du nombre des personnes incarcérées, il  est indispensable et urgent que les pouvoirs publics se saisissent de cette occasion.

133 visites d’établissements pénitentiaires ont été réalisées depuis juillet 2014. Le travail engagé par le premier Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’est poursuivi, il a notamment permis de mettre en avant une analyse approfondie des causes et des conséquences de la surpopulation carcérale et les difficultés liées aux effectifs et à la formation des agents.

Le CGLPL s’est à plusieurs reprises opposé au durcissement progressif des mesures de sécurité dans les établissements pénitentiaires, notamment à l’extension, en 2016, du régime des fouilles prévu par la loi pénitentiaire de 2009. Malgré la demande du CGLPL, le Parlement a adopté une extension du régime des fouilles en détention et autorisé la pratique des fouilles intégrales pour des raisons qui ne sont pas liées au comportement de la personne concernée, mais seulement à des risques génériques et assez vaguement définis concernant l’établissement.

L’équilibre entre les impératifs de sécurité et le respect des droits fondamentaux est aujourd’hui loin d’être toujours respecté et la volonté est toujours plus forte de prévenir tous les risques. La notion de dangerosité s’impose de plus en plus dans notre droit pénal au détriment de celle de culpabilité, en témoignent les débats en cours sur la mise en œuvre de mesures de surveillances de sûreté à l’issue de leur peine pour les personnes condamnées dans des affaires terroristes.

Face à la surpopulation carcérale des maisons d’arrêt, la prison n’est pas en mesure aujourd’hui de mener à bien sa mission de réinsertion. Dans un rapport sur les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale, publié en 2018 mais toujours d’actualité, le CGLPL formulé de nombreuses recommandations et appelé les pouvoirs publics à s’en saisir pour mettre un terme à cette situation. La course à la construction de places nouvelles ne peut être vue comme une solution crédible, alors que l’histoire récente nous montre que la construction s’accompagne indéfiniment d’une augmentation des incarcérations.

Il est nécessaire de développer les alternatives à l’incarcération (et d’y consacrer les moyens nécessaires), de revoir les procédures de comparution immédiate, fortes pourvoyeuses de courtes peines et de réfléchir aux critères de placement en détention provisoire.

Des mesures ont été prises dans la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice mais le CGLPL a manifesté son inquiétude sur le fait qu’elles risquaient de se révéler insuffisantes pour avoir un véritable impact sur la réduction de la population carcérale.

Au moment de l’adoption de cette loi, le Gouvernement a fait état d’une expérimentation de la régulation carcérale que j’appelle de mes vœux depuis 2014. Aujourd’hui, cette recommandation doit être regardée comme une possibilité de conserver le taux d’occupation des prisons françaises à un à son niveau acceptable au regard de leur capacité.

La France a été condamnée le 30 janvier 2020 par la Cour européenne des droits de l’homme du fait de conditions de détention constitutives d’un traitement inhumain et dégradant et pour absence de recours préventif effectif. Dans cet arrêt, la Cour n’a pas condamné l’Etat uniquement pour les conditions de détention constatées dans les établissements concernés par les requêtes, mais a retenu que la surpopulation carcérale constituait un problème structurel en France et a recommandé que des mesures générales soient prises pour y mettre un terme. Le CGLPL, conjointement avec la Commission nationale consultative des droits de l’homme, avait soumis à la Cour des tierces interventions dans le cadre de 22 de ces affaires. Témoin privilégié du profond décalage entre les normes applicables et la réalité quotidienne des conditions de vie des personnes détenues, le CGLPL est heureux que son expertise et les constats réalisés au cours de ses missions aient été utiles pour documenter la Cour sur l’état des prisons concernées.

La crise sanitaire de 2020 a été marquée par une baisse spectaculaire de la population pénale, en quelques semaines ce sont 13 500 détenus en moins qui ont fait tomber le taux global d’occupation des prisons en dessous de 100 %. Certes, il faut en voir les limites : les établissements les plus surpeuplés n’ont pas tous été concernés et les dispositions prises par ordonnance ont été trop timides, mais on doit constater, d’une part, que ce mouvement inédit a été possible et, d’autre part, que la réaction négative de l’opinion publique crainte par certains face à cette baisse massive de la population pénale ne s’est pas manifestée. C’est là le principal enseignement qu’il convient de tirer de cette crise : il est possible de ramener le taux d’occupation global des prisons françaises à leur capacité d’accueil, et même en dessous.

Il est urgent que les mesures nécessaires pour éviter un retour à la situation antérieure et poursuivre l’effort de déflation carcérale soient prises : la régulation carcérale doit être inscrite dans la loi. Il s’agit là d’une occasion historique, s’ils ne s’en saisissent pas, les pouvoirs publics porteront une responsabilité historique.

Enfin, il me faut saluer la toute récente décision de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 8 juillet 2020, tire les conséquences de la condamnation de la France par la CEDH et indique qu’ « il appartient au juge judiciaire de faire vérifier les allégations de conditions indignes de détention formulées par un détenu sous réserve que celles-ci soient crédibles, précises, actuelles et personnelles » rendant possible de mettre fin à une détention provisoire si les conditions de détentions portent atteinte à la dignité de la personne prévenue concernée. Des milliers de demande de mise en liberté pourraient avoir lieu sur ce fondement si les pouvoirs publics ne font pas le nécessaire pour rendre les conditions de détention dignes.

 

Les positions du CGLPL sur la rétention administrative se sont heurtées à un refus des gouvernements

Depuis juillet 2014, le CGLPL a effectué 27 visites dans des centres de rétention administrative, 10 dans des locaux de rétention administrative et 18 dans des zones d’attente. Tous les établissements de cette nature ont été visités.

Les constats effectués au cours de ces visites montrent des faiblesses relativement constantes dans la prise en charge des personnes enfermées. Une absence d’activité, une information sommaire, parfois inintelligible et surtout un nombre important de mesures prises sans réelle perspective d’éloignement. Au-delà des recommandations récurrentes relatives à la qualité de la prise en charge (information, accès aux soins, activités, relations avec l’extérieur), le CGLPL s’est prononcé à deux reprises sur le régime juridique de la rétention : d’une part pour demander qu’il soit interdit de placer des enfants en rétention  et pour que les familles ne soient soumises qu’au régime de l’assignation à résidence, d’autre part pour que la durée maximale de rétention, de 45 jours en 2014, ne soit pas allongée. Le CGLPL n’a pas plus été entendu sur ces deux points qu’il ne l’a été sur les recommandations relatives à la prise en charge qui n’a pas connu de progrès significatif. Les enfants peuvent toujours être enfermés pour accompagner leurs parents placés en rétention (une proposition de loi sur le sujet est en cours, mais elle n’a pas pour objectif à mettre fin à l’enfermement des enfants). La durée maximale de rétention a été portée à 90 jours en 2018, sans que cela ne s’accompagne d’une amélioration des conditions de séjour dans ces lieux marqués par l’ennui et l’appréhension de l’éloignement.

Pendant la crise sanitaire, les mesures de prévention de la contamination sont restées insuffisantes, malgré une activité très fortement réduite allant jusqu’à la mise en sommeil d’un grand nombre de centres de rétention administrative et de zones d’attente. Les personnes privées de liberté ont donc été placées en situation de risque sanitaire. L’entrée en France a été refusée pour motif sanitaire à des personnes qui n’ont pas été prises en charge ou qui ont été privées de leurs droits en zone d’attente, cependant qu’en rétention, le fondement juridique des mesures privatives de liberté s’est trouvé fragilisé par l’interruption du trafic aérien qui a rendu presque impossible l’exécution des mesures d’éloignement. Dans ces conditions, le placement en rétention est devenu une mesure injustifiée en pratique, juridiquement très discutable et dangereuse. Le CGLPL déplore qu’il n’ait pas été donné suite à ses demandes de fermeture provisoire des centres de rétention administrative.

 

Dans les centres éducatifs fermés, les recommandations émises par le CGLPL ne sont pas contestées, mais les mesures correctrices tardent

Depuis six ans, 43 visites de centres éducatifs fermés (CEF) ont été réalisées. Les polémiques de principe sur l’éducation en milieu clos qui avaient accompagné la création des CEF sont désormais peu audibles, et ils fonctionnent de manière régulière. Les constats effectués par le CGLPL dans ces établissements vont du meilleur au pire : c’est la fragilité des structures et notamment l’instabilité du personnel et son faible niveau de formation qui en sont la cause.

Les centres éducatifs fermés, pour lesquels il existe un diagnostic partagé entre le CGLPL et le Gouvernent, continuent de dysfonctionner en raison de l’instabilité et de l’absence de formation de leurs agents. La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique permet désormais de pallier cette difficulté car elle autorise le recrutement d’agents non titulaires dans les catégories B et C, mais rien ne semble avoir été fait pour le moment.

Sur le fondement de ces constats que tous partagent le CGLPL appelle à professionnaliser la prise en charge des enfants placés en centre éducatif fermé.

La crise sanitaire aura montré que la prise en charge des mineurs varie fortement d’un établissement à un autre, certains CEF ayant maintenu leur collectif quand d’autres se sont employés à permettre le retour des mineurs dans leurs familles. Elle a parfois nui de manière très fâcheuse aux activités externes et aux projets de réinsertion et de sortie des jeunes, mais dans certains centres, le placement séquentiel a montré son intérêt ; il conviendra de le développer.

 

Les recommandations du CGLPL sont récurrentes dans les locaux de garde à vue 

De 2014 à fin 2019, le CGLPL a effectué 168 visites dans des commissariats de police et 144 dans des unités de gendarmerie.

Depuis 2014, les constats effectués dans ces services n’ont guère évolué : des locaux de police inadaptés ou vétustes, des brigades de gendarmerie où l’on persiste à enfermer des personnes toute une nuit sans surveillance et partout des mesures de précaution ou de sécurité excessives avec usage systématique des menottes ou retrait systématique des lunettes et soutien-gorge, sans considération pour les risques réellement liés au comportement des personnes enfermées.

Sans implication politique pour l’amélioration des conditions de garde à vue, rien ne pourra évoluer.

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Dans les prisons, les centres de rétention administrative et les locaux de garde à vue la personnalisation des moyens de contrainte et des mesures de sécurité est prévue dans les textes, mais n’est en réalité pas mise en œuvre. Le recours à une contrainte maximale est donc quasi-systématique en raison d’une conception extensive d’un « principe de précaution » qu’il conviendrait de combattre par la formation.

Enfin, dans tous les lieux de privation de liberté l’amélioration des conditions matérielles de prise en charge reste un objectif permanent, particulièrement sensible en raison des contraintes budgétaires pesant de manière générale sur les services. A cet égard, les locaux de police et ceux des prisons sont parfois dans un état de dégradation tel qu’il est à lui seul constitutif d’une atteinte à la dignité des personnes enfermées.

 

Le CGLPL a fait évoluer ses méthodes de travail

La loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général dispose que ce dernier peut formuler des avis généraux ; j’ai fait usage de cette possibilité et nous avons publié douze avis au Journal officiel. Pour compléter ces avis, le CGLPL a décidé de développer une collection de rapports thématiques, destinés à analyser des problématiques de manière plus approfondie et à formuler des recommandations. Diffusés en librairie dans un premier temps, ils sont au bout de quelques semaines mis en ligne gratuitement sur le site internet du CGLPL.

Depuis 2016, sept rapports sont parus, certains sur des thèmes transversaux concernant l’ensemble des lieux de privation de liberté (Le personnel des lieux de privation de liberté ; La nuit dans les lieux de privation de liberté ; Les violences interpersonnelles dans les lieux de privation de liberté), d’autres spécifiques à certains types d’établissements comme la prison (Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale) ou les hôpitaux psychiatriques (Isolement et contention en établissement de santé mentale ; Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale ; Soins sans consentement et droits fondamentaux).

 

Depuis 2016, le CGLPL a mis en place une procédure systématique de suivi de ses recommandations trois ans après qu’elles ont été formulées : il s’agit non pas de connaitre le point de vue des ministres sur la pertinence ou l’opportunité de ces recommandations – ils le donnent dans leur réponse initiale aux documents qui leur sont adressés – mais bien de savoir quelle suite a été donnée à chacune d’elles. Sont concernées à la fois les recommandations de portée générale formulées dans les rapports thématiques, les rapports annuels ou les avis et les recommandations particulières formulées à l’occasion des visites d’établissements, soit dans des rapports de visite, soit dans des recommandation en urgence.

Le suivi réalisé en 2019 a pour la première fois donné lieu à des réponses complètes de la part des ministres interrogés. Le rapport annuel transcrit les réponses reçues et exprime la réaction du CGLPL face à ces réponses.

Il est évidemment difficile de donner un bilan chiffré du suivi de ces recommandations ; néanmoins, on peut en faire une appréciation qualitative. Sauf dans quelques cas exceptionnels, les recommandations susceptibles de donner lieu à des mesures locales sont en grande partie suivies. En revanche, elles le sont moins lorsque des mesures budgétaires ou des directives de portée nationale sont nécessaires.

Aujourd’hui, le suivi de ces recommandations demeure encore trop formel, davantage destiné à répondre aux questions du CGLPL qu’à traduire ses recommandations dans les actes. Il est regrettable que les recommandations du CGLPL ne fassent pas encore l’objet d’un suivi opérationnel systématique, formalisé par des directives données aux responsables opérationnels et suivies par les inspections générales de chaque ministère concerné.

 

Le CGLPL a publié le 3 juin dernier des Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté[3]. Pendant plus de onze années d’exercice de sa mission, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a émis un grand nombre de recommandations de portée générale, l’ensemble représentant un corpus riche mais difficile d’accès. C’est la raison pour laquelle il a paru nécessaire de procéder, un peu à la manière d’un code, à la rédaction d’un recueil ordonné de recommandations applicables à tous les lieux de privation de liberté et représentant les garanties minimales qui doivent être apportées aux personnes privées de liberté. Les autorités responsables des lieux de privation de liberté, assujetties à des règles de toute nature, admettent volontiers leur besoin d’être guidées lorsqu’est abordée la question des droits fondamentaux.

Ces principes et recommandations ne doivent naturellement pas être regardés comme suffisants ou proposant un « modèle » de lieu de privation de liberté. Ils visent à formuler les exigences minimales qui, dans un État de droit, doivent inspirer et régir les modalités de prise en charge des personnes privées de liberté. Il s’agit également des principes au regard desquels le CGLPL procède à l’évaluation du respect de leurs droits fondamentaux. Ces recommandations auront vocation à évoluer.

 

La question nous est souvent posée de l’utilité du CGLPL

Depuis que j’occupe cette fonction, la question m’est souvent posée de l’utilité du CGLPL, du fait notamment de son seul pouvoir de proposition et de recommandation.

Je suis foncièrement convaincue de l’utilité de cette mission.

Tout d’abord les contrôles réalisés par le CGLPL entrainent régulièrement des améliorations sur le terrain qui touchent les conditions quotidiennes de la prise en charge des personnes privées de liberté. Parfois ces évolutions, certes moins visibles et difficilement quantifiables, ont lieu immédiatement à la suite de la venue des contrôleurs.

Et surtout, le CGLPL documente avec précision et donne à voir la réalité de l’enfermement. C’est aujourd’hui la seule institution qui, en passant un temps considérable dans les établissements avec un droit d’accès total aux personnes et informations utiles, peut porter un regard extérieur et indépendant sur l’ensemble des lieux dans lesquels des personnes peuvent être enfermées.

Il reste des blocages persistants : on continue de retirer lunettes et soutien-gorge aux personnes gardées à vue, des femmes continuent d’accoucher menottées en présence de surveillantes, des enfants sont enfermés en centres de rétention administrative, l’informatique et le numérique ne sont toujours pas entrés dans les lieux de privation de liberté…

La prison reste la peine de référence alors même qu’aux termes de la loi elle ne doit, pour les délits du moins, qu’être une mesure de dernier recours. La rétention administrative est souvent utilisée par commodité, alors qu’on sait bien que le but poursuivi, la reconduite, ne sera pas atteint. L’hospitalisation sous contrainte est en augmentation constante. Les aménagements de peine en prison, de même que les sorties de courte durée en psychiatrie, se heurtent parfois à des doctrines locales restrictives, quand ce n’est pas simplement au manque des moyens nécessaires pour les accompagner. On est loin de l’affirmation présentée dans tous les textes législatifs selon laquelle l’enfermement doit être le dernier recours.

Le CGLPL documente le fonctionnement des lieux de privation de liberté et dénonce systématiquement les atteintes aux droits qu’il constate. Il n’a certes pas le pouvoir d’obliger les pouvoirs publics à agir mais ses constats et recommandations sont amenés à nourrir les réflexions et actions de ceux qui, de manière diversifiée, œuvrent à promouvoir le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté : les professionnels qui les prennent en charge, les organisations non gouvernementales, les avocats, les juridictions, les pouvoirs publics. Souhaitons que ces derniers s’en saisissent au plus vite.

 

Adeline Hazan

Contrôleure générale

des lieux de privation de liberté

 

[1] Loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, art. 1er.

[2] De 66 270 au 1er janvier 2015 le nombre des personnes détenues est passée à 70 651 au 1er janvier 2020.

[3] Les recommandations minimales du CGLPL sont disponibles en ligne sur le site internet du CGLPL. Compte-tenu de leur caractère universel, elles seront prochainement disponibles en anglais. Elles ont par ailleurs déjà fait l’objet d’un ouvrage de commentaire doctrinal : L’élaboration d’un droit de la privation de liberté, Etudes autour des recommandations minimales du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Sous la direction d’Eudoxie Gallardo et Muriel Giacopelli, LexisNexis, Paris, juin 2020.