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Rapport de visite du centre psychothérapique de l’Ain à Bourg-en-Bresse (Ain)

Rapport de visite du centre psychothérapique de l’Ain à Bourg-en-Bresse (Ain)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la santé auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

Suivi des recommandations à 3 ans – Centre psychothérapique de l’Ain à Bourg-en-Bresse

 

Synthèse

Quatre contrôleurs ont effectué une visite du centre psychothérapique de l’Ain (CPA) du 11 au 15 janvier 2016. Cet hôpital, établissement privé d’intérêt collectif géré par l’association Orsac, est la seule structure de soins de maladies mentales du département de l’Ain. Il assure donc les missions de service public de psychiatrie de secteur, notamment la prise en charge des maladies psychiques en application de l’article L 3221-4 du code de santé publique.

Les unités d’hospitalisation du CPA sont installées en périphérie de Bourg-en-Bresse, dans un vaste parc, et offrent une capacité d’accueil en hospitalisation complète de 412 lits, 393 pour adultes et 19 pour enfants et adolescents. Le bon état de la plupart des locaux d’hébergement et de travail, l’effort de construction ou de rénovation entrepris pour les autres, le bon niveau de ses prestations hôtelières témoigne, en première impression, d’un souci de qualité, tant pour les professionnels que pour les patients qui y sont hospitalisés.

Pourtant, l’observation des modalités de prise en charge des patients, les constats de situations individuelles portant des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées faits lors de cette visite ont conduit la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté à mettre en œuvre la procédure d’urgence prévue à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 ; elle a saisi les autorités compétentes de ses observations et recommandations en leur demandant d’y répondre. Postérieurement à la réponse obtenue, observations, recommandations et réponses fournies ont été rendues publiques dans l’édition du 16 mars 2016 du Journal officiel.

Les observations publiées relevaient :  

Une pratique de maîtrise et de contrôle des faits et gestes des patients d’autant plus singulière qu’elle est appliquée avec une rigueur exceptionnelle. Les restrictions d’ordre général portent sur l’utilisation des objets et des effets personnels, la communication avec l’extérieur (absence de téléphone personnel) et les sorties de l’unité. Une restriction à la liberté de circuler encore plus prononcée est pratiquée dans les unités de « soins de suite ». Les seize unités sont fermées, à l’exception de l’unité pour adolescents (sept lits) et de l’unité pour courts séjours (douze lits), quel que soit le statut d’admission des patients qu’elles accueillent.

L’isolement et la contention sont utilisés dans des proportions jamais observées jusqu’alors, et non conforme aux règles communément appliquées. Dans certaines unités, les patients à l’isolement ne sont pas vus par un médecin durant le week-end. Dans les unités de « soins de suite », au lieu d’être renouvelées quotidiennement, les « prescriptions » médicales d’enfermement et de contention particulièrement attentatoires aux droits fondamentaux, sont renouvelées pour une durée de sept jours, pendant plusieurs mois et sans examen systématique du patient. La pratique habituelle du maintien de certains patients dans leur chambre fermée jour et nuit est habituelle.

Outre les vingt-cinq chambres d’isolement disponibles dans les unités ordinaires, l’établissement s’est doté d’une unité pour malades agités et perturbateurs (UMAP) de vingt-et-une chambres, toutes sur le modèle d’une chambre d’isolement et au régime particulièrement strict : port du pyjama obligatoire pendant toute la durée du séjour, proscription du tabac, impossibilité pour les patients de conserver leurs affaires personnelles dans leur chambre. Dans le meilleur des cas, les patients ne sont enfermés que dix-neuf heures par jour dans leur chambre. Le recours aux contentions est important.

Les patients détenus font l’objet d’un traitement spécifique, indépendamment de leur état clinique : mise sous contention systématique jusqu’au premier entretien avec un psychiatre, examen médical somatique incluant l’inspection des parties génitales à des fins de sécurité et pratiqué sur le patient attaché, placement systématique à l’UMAP, donc en chambre d’isolement, durant toute la durée de l’hospitalisation.

Divers facteurs ont permis le développement et la pérennisation de cette situation dans l’apathie de la plupart des responsables administratifs, des médecins et des soignants. Elle est manifestement plus imputable à l’absence de réflexion sur les pratiques et les conditions de fonctionnement de l’établissement qu’à l’indifférence sur leurs effets.

Les difficultés de recrutement de médecins conjuguées aux choix d’organisation ont conduit à un mode de fonctionnement où le souci de sécurité a pris le pas sur la réflexion sur la qualité du soin. Ainsi, les restrictions imposées aux patients sont générales, sans rapport individualisé avec leur état clinique : privation du téléphone personnel, mise en pyjama, interdiction d’accès au parc, accès limité au tabac. Ce corpus de règles et procédures est d’autant mieux respecté par les équipes soignantes que celles-ci souffrent d’un déficit de présence médicale qui pourrait en moduler l’application à la lumière de l’analyse des pratiques. Le résultat se traduit par une approche sécuritaire de la prise en charge des patients dont l’effet sur sa qualité thérapeutique mérite certainement d’être évalué, ce qui n’est pas de la compétence du CGLPL, mais surtout au mépris de leurs droits fondamentaux.

Pourtant, les interlocuteurs rencontrés ne se montrent pas tous insensibles ou aveugles à ces dérives, mais l’institution ne ménage aucun espace où elles pourraient être analysées, discutées et revues. Des éléments d’alerte, par exemple, l’enquête de satisfaction, qui notamment, fait état dans le dispositif de suite d’une insatisfaction sur la relation avec le médecin à près de 53 %, ne sont pas pris en compte. Les représentants des familles des patients et des usagers ne participent à aucune instance de gouvernance de la structure et ne sont pas consultés sur ses choix stratégiques. De plus, l’établissement fait preuve d’une réactivité tout à fait déficiente aux situations très préoccupantes qui lui sont signalées par ces partenaires. La place des familles et des usagers doit donc être très sérieusement renforcée.

La capacité de réflexion collective est désagrégée dans la routine et la soumission au pouvoir médical. L’incarnation de celui-ci dans une équipe dont de nombreux membres ont effectué la totalité de leur carrière sur place, sûre de leur légitimité dans leurs pratiques et qui a géré ses quelques clivages internes par la balkanisation des structures, n’est pas de nature à aider à l’émergence d’une ré-interrogation des pratiques.

La formation des soignants aux dispositions de la loi du 5 juillet 2011 dispensée par l’établissement est manifestement insuffisante s’agissant des droits des patients. Elle doit être améliorée et complétée par une sensibilisation à l’éthique et à la bientraitance.

Les constats opérés par le CGLPL ont conduit l’agence régionale de santé à adresser des instructions à l’établissement pour mettre en en œuvre des recommandations formulées, instructions dont la réalisation est vérifiée par un comité de suivi qui s’est réuni à un rythme bimestriel au cours de l’année suivant la visite. Les mesures mises en œuvre portent sur la libre circulation adaptée selon les unités, la proscription de l’enfermement en chambre ordinaire et la diminution des pratiques d’isolement et de contention (passées de 13 000 jours en 2015 à 4 000 en 2016). Elles prévoient un doublement de l’astreinte médicale de week-end.

Ces améliorations, qu’il convient de saluer, ne suffiront pas, à elle seules, à assurer le respect des droits des patients. Pour garantir de manière pérenne la qualité de la prise en charge, il est en particulier nécessaire d’impliquer l’équipe médicale dans la réflexion et de la responsabiliser sur la réorganisation des services.