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Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône)

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

Suivi des recommandations à 3 ans – Centre pénitentiaire d’Aix-Luynes (2e visite)

 

SYNTHESE

Dix contrôleurs ont effectué une visite du centre pénitentiaire d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône), du 28 novembre au 9 décembre 2016. Construit dans le cadre du « plan 13 000 » il y a 25 ans, il est constitué principalement d’une maison d’arrêt (pour hommes) et d’un quartier pour peines aménagées, construit extra muros, qui accueille exclusivement des condamnés, principalement des semi-libres. L’établissement avait été contrôlé en janvier 2009.

Un rapport de constat a été adressé le 6 avril 2017 au chef d’établissement et au directeur du centre hospitalier Montperrin d’Aix-en-Provence pour recueillir leurs observations. Le chef d’établissement n’a pas transmis d’observations après avoir pourtant indiqué, dans un courriel adressé le 18 mai 2017 au CGLPL, qu’il en avait rédigé et être en attente d’un retour de sa hiérarchie pour les lui communiquer. Trois mois plus tard, le CGLPL n’avait rien reçu de la part de l’administration pénitentiaire.

Le présent rapport dresse des constats sévères et relève de graves dysfonctionnements, énumérés dans une liste ne comprenant pas moins de quatre-vingts recommandations.

1/ L’établissement connaît simultanément une situation endémique de surpopulation et un sous-effectif chronique dans son personnel. 

Au moment du contrôle, 984 personnes étaient incarcérées, dont 20 mineurs et 50 au quartier pour peines aménagées (dont 45 en semi-liberté) pour une capacité théorique de 668 places, soit un taux d’occupation de 147 %. Pour les 914 personnes des différents quartiers de maison d’arrêt, le taux d’occupation de l’établissement s’élevait à 163 % : un quart d’entre elles vit à trois dans des cellules de 9 m² et un cinquième ne dispose pas de lit (167 matelas au sol ont été comptabilisés).

Par ailleurs, l’établissement est frappé par un problème majeur de ressources humaines, qui concerne la plupart des corps (personnel de surveillance, d’encadrement et administratif). A titre d’exemple saisi au moment du contrôle, alors que l’organigramme prévoit 180 surveillants, 20 postes n’étaient pas pourvus, 20 postes étaient censés être occupés par des agents absents depuis au moins six mois et 20 agents étaient recensés en moyenne comme absents chaque jour, la totalité de ces indisponibilités représentant au total un tiers de l’effectif.

2/ Les contrôleurs se sont attachés à relever les dysfonctionnements résultant de ce double phénomène de surpopulation et de sous-effectif et à en mesurer les conséquences dans la vie quotidienne des personnes détenues, de leurs proches et du personnel.

Première conséquence, la plupart des hommes majeurs détenus dans les quartiers « maison d’arrêt » vivent dans d’indignes conditions de promiscuité en cellule : parfois à trois dans des espaces de 9 m², éventuellement sans lit pour certains, sans espace de circulation suffisant au sein de la cellule. Les normes définies par le Comité de prévention de la torture (CPT), en termes d’espace vital pour les personnes, n’y sont pas respectées. Les responsables pénitentiaires et les autorités judiciaires doivent se mobiliser davantage pour mettre en œuvre des alternatives à l’incarcération, le bon fonctionnement du quartier de semi-liberté et les nombreuses places disponibles au quartier pour peines aménagées – compte tenu d’une sous-utilisation incompréhensible – leur offrant des perspectives en la matière.

Deuxième conséquence, les surveillants sont très peu présents dans les ailes de détention. Un seul surveillant est affecté par étage pour un effectif parfois supérieur à cent personnes détenues. Dans ces conditions, même une bonne pratique a priori peut avoir in concreto un effet négatif. Pour exemple, la proposition d’une douche quotidienne pour tous – sauf le dimanche – nécessite le placement simultané de douze personnes dans une salle de douche qui ne compte que quatre cabines, le surveillant de l’étage étant dans l’incapacité d’organiser une rotation plus fréquente dans le créneau de temps qui lui est imparti, comme d’assurer la sécurité des personnes. Les surveillants passent la quasi-totalité de leur temps à assurer des circulations collectives (promenade, sport, parloirs, activités) ou des déplacements individuels (médical, avocat, SPIP). Les personnes détenues en cellule ne peuvent pas compter sur eux pour répondre à leurs sollicitations, par exemple pour se rendre au poste téléphonique.

Troisième conséquence, l’établissement fonctionne en permanence selon un « mode dégradé », qui consiste à ponctionner des agents pour assurer le minimum au détriment de leur fonction habituelle. L’unique surveillante du quartier socio-éducatif est un jour sur deux occupée ailleurs, ce qui entraîne l’annulation des activités scolaires, de formation, de bibliothèque, etc. Il en est de même pour les activités sportives, un moniteur de sport pouvant être envoyé dans un mirador. Les brigades constituées dans certains secteurs, considérés comme sensibles (quartier des mineurs, quartier disciplinaire et d’isolement), sont périodiquement dégarnies, de même que sont réquisitionnés les agents en poste dans les « services support » (greffe), ce qui n’est pas sans conséquence sur la vie dans ces secteurs et sur le fonctionnement de ces services.

Quatrième conséquence, le dysfonctionnement de la détention est permanent et les retards incessants : les procédures de contrôle d’effectif en début de journée durent, ce qui se répercute sur la mise en place du travail, puis sur les promenades, sur les parloirs – les familles et les proches subissent de pénibles conditions de visite –, sur les activités. La difficulté de circuler au sein de cet établissement est un sérieux obstacle à son fonctionnement, chaque déplacement en détention étant hasardeux : les personnes détenues sont sorties collectivement et stationnent nombreuses et longtemps au rez-de-chaussée de leur bâtiment, dans un brouhaha assourdissant et au milieu d’odeurs de tabac et de produits stupéfiants. Le poste central de circulation, carrefour incontournable de la détention, n’est jamais tenu. Le personnel et les intervenants vivent dans l’insécurité ces périodes d’attente au milieu d’une telle foule.

Dans ce contexte, les incidents sont quotidiens. Certains sont graves, un homicide s’étant produit en août 2016 au moment de la promenade du bâtiment B. Les contrôleurs ont été témoins d’un transfert urgent vers l’hôpital d’une personne détenue venant d’être poignardée et d’un retour d’hôpital de deux surveillants blessés à la suite d’une intervention au parloir…

L’équilibre de la détention semble reposer sur une forme de tolérance et de permissivité de la part des surveillants, dans laquelle certaines personnes détenues, celles qui maîtrisent les codes et ont l’aura nécessaire pour exercer une influence, peuvent trouver leur compte, alors que beaucoup d’autres vivent en retrait « la peur au ventre ». Le positionnement du personnel est apparu parfois singulier avec certaines personnes détenues, notamment les auxiliaires d’étage considérés comme de véritables « bras droits » de certains surveillants.

L’encadrement de la détention et le management général de l’établissement doivent d’urgence être reconsidérés, avant la mise en service d’une extension, dite « Aix II », qui verra, à partir de 2018, doubler l’effectif de la population pénale.