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Crise des prisons : sortir de l’impasse

Le début de l’année 2018 a été marqué par un mouvement de mobilisation sociale des surveillants et de blocages d’établissements pénitentiaires. Si les causes de la crise pénitentiaire sont multiples et bien connues, ce conflit s’est durci dans des conditions inattendues.

Dans une tribune publiée au journal Le Monde, la Contrôleure générale a souhaité rappeler que sans une politique de désinflation carcérale, on ne trouvera pas de remède aux maux de la prison.

Lire la tribune sur le site internet du Monde

 

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Si la crise pénitentiaire vient de loin et si ses causes sont multiples et bien connues, le conflit des surveillants s’est durci dans des conditions inattendues, provoquant dans toute la France des troubles durables qui mettent en lumière une situation depuis longtemps dénoncée par tous ceux qui connaissent la prison.

L’insécurité vécue par les surveillants pénitentiaires est réelle.

La saturation générale des capacités pénitentiaires, que l’on résume trop souvent par l’expression de « surpopulation carcérale » place les surveillants dans l’obligation d’effectuer un nombre de tâches que leur temps de travail ne peut absorber, car c’est le nombre des places « théoriques » qui détermine l’effectif des surveillants, pas celui des détenus présents. Dès lors le personnel pénitentiaire est soumis à un rythme effréné qui lui est à juste titre insupportable.

Pour les détenus, les difficultés ne se résument pas à la promiscuité induite par la surpopulation et donc, finalement, à une question de « confort ». Elles touchent au contraire tous les aspects de la prise en charge : l’accès aux douches est réduit, les promenades et parloirs sont raccourcis, le courrier tarde, le travail est inaccessible, les soins deviennent parcimonieux. L’ensemble des actions de préparation à la sortie, c’est-à-dire ce qui, en réalité, prévient efficacement la récidive, est entravé. Enfin, la surveillance est insuffisante, donc les trafics et la violence se développent.

L’état des prison, mis en lumière par la crise qui s’achève, met en danger les surveillants comme les détenus, mais aussi la société.

Depuis vingt ans l’inflation carcérale semble être une fatalité. Pourtant elle ne résulte ni de l’accroissement de la population, ni de celui de la criminalité, et les pouvoirs publics analysent ses causes mais n’en tirent pas les conséquences. Partout, le personnel et les moyens manquent. Souvent, la politique carcérale n’atteint pas le premier de ses objectifs, la réinsertion et les résultats qui en découlent pour la sécurité des français.

Si l’on peut comprendre la colère des surveillants, la situation reste explosive et des drames peuvent encore survenir. Les conditions de détention, mauvaises en temps ordinaire, se sont dangereusement dégradées : pas de douches, une alimentation irrégulière, pas de promenade, pas de parloirs, ni courrier ni téléphone, pas d’accès normal au médecin ; des familles font des dizaines voire des centaines de kilomètres et ne peuvent voir leur proche. Cette situation ne peut perdurer.

Pour sortir de la crise, un accord sur des mesures de court terme a déjà été signé par un syndicat : des augmentations de l’effectif du personnel pénitentiaire irréalistes et pourtant très insuffisantes seront décidées dans l’espoir qu’elles aboutiront en quatre ans, alors que l’on peine dès à présent à recruter sur les emplois existants ; des mesures indemnitaires seront accordées, mais, même si elles sont légitimes par ailleurs, elles ne procureront ni force de travail supplémentaire, ni sécurité nouvelle.

Feignant de considérer que les droits des personnes détenues s’opposent à la sécurité des surveillants, on envisage de réduire les premiers pour se donner l’illusion d’accroître la seconde : l’élargissement des critères de fouille à corps, dont le régime institué en 2009 est depuis lors continument contesté, donnerait cette illusion. En pratique, cela ne reviendrait qu’à ouvrir une autorisation générale de fouille qui, faute d’effectif, ne pourra pas être mise en œuvre, mais laissera place à l’arbitraire. Un retour à la situation antérieure à 2009 serait au surplus contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.

De même, des structures spécialisées pour les détenus radicalisés peuvent créer l’illusion de la sécurité. Le modèle des « unités dédiées », créées en 2014 et dont j’avais souligné les faiblesses, a été abandonné en raison des risques liés au regroupement de ces détenus sans véritable programme de prise en charge et sans distinction en fonction du niveau d’engagement de chacun. De nouvelles structures sont en train de se mettre en place et feront l’objet d’une attention soutenue de ma part.

La solution est ailleurs : sans une politique de désinflation carcérale, on ne trouvera pas de remède durable aux maux de la prison. La construction annoncée de 15 000 places est un message fâcheux. Destinée à produire ses effets en quinze ans, elle ne peut résoudre les difficultés actuelles : elle n’est donc que le signal de la priorité donnée au carcéral. Or dès à présent, elle force à réduire les moyens consacrés à l’entretien du parc existant et aux mesures alternatives à l’incarcération dont le Président de la République rappelait récemment l’importance.

Le retour de la sécurité, comme de l’ordre en détention, viendront de la réduction du nombre des détenus, notamment lorsque l’on cessera d’incarcérer des personnes qui ne devraient pas l’être : par exemple, celles qui sont atteintes de troubles mentaux ou condamnées à de très courtes peines, dont la rotation continuelle est une charge considérable, et qui pâtissent de tous les effets désocialisants de la prison sans bénéficier de ses apports en termes de réinsertion.

L’administration pénitentiaire est en fin de chaîne pénale ; elle est contrainte de recevoir tous les détenus qui lui sont adressés sans que l’on tienne compte de sa capacité d’accueil. Malgré des mesures juridiques adaptées, la justice manque des moyens concrets de recourir à des alternatives à l’incarcération. La prison est finalement pour tous une mesure, certes onéreuse et inefficace, mais facile : le juge fait exécuter ses décisions, le politique répond à une « attente » de l’opinion publique, le citoyen peut oublier ceux qu’il ne veut plus voir et chacun feint de penser que le détenu, enfermé puis oublié, ne ressortira pas.

Il est temps que le service public pénitentiaire devienne ce que la loi prévoit qu’il doit être : un dernier recours pour contribuer à l’insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées […], à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues.

Pour y parvenir, il faut porter un regard lucide sur la prison et sur ceux qu’elle retient et analyser sans passion son efficacité en termes de prévention de la récidive au regard de son coût, financier mais surtout humain. Les membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale ont récemment manifesté un intérêt nouveau et bienvenu pour les prisons en visitant celles de leurs circonscriptions. On peut espérer qu’ils auront leurs constats en mémoire lorsqu’ils examineront les projets de lois pénales et de lois de finances soumis à leur vote. L’administration pénitentiaire, dépendante d’une politique pénale qu’elle subit, ne peut à elle seule assurer cette transformation ; c’est l’ensemble de la justice qu’il faut impliquer car c’est la société tout entière qui est concernée. C’est urgent.

 

Adeline HAZAN

Contrôleure générale des lieux de privation de liberté