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Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse (Ain)

Rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse (Ain)

Observations du ministre de la justice – CP de Bourg-en-Bresse (2e visite)

Observations du ministre de la santé – CP de Bourg-en-Bresse (2e visite)

 

SYNTHESE

Sept contrôleurs ont effectué une visite du centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse (Ain) du 29 juin au 3 juillet 2015. Cette mission constituait une deuxième visite faisant suite à un premier contrôle réalisé du 13 au 17 décembre 2010.

Un rapport de constat a été adressé le 11 janvier 2016 au chef d’établissement, qui a fait connaître ses observations dans un courrier en date du 17 février 2016, où se trouvaient également celles de ses partenaires, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), l’unité locale d’enseignement (ULE) et l’unité sanitaire (US). Ces observations ont été intégrées dans le présent rapport de visite. En revanche, aucune observation n’est parvenue de la société GEPSA, gestionnaire de l’établissement.

1/ Doté désormais d’une capacité augmentée à 728 places depuis l’ouverture d’un quartier de semi-liberté (40 places), le centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse comptait 702 personnes hébergées lors de la visite, soit un taux global d’occupation de 96,4 %, en nette hausse par rapport au précédent contrôle en 2010 (taux d’occupation de 81 %) ; dans les deux quartiers de maison d’arrêt des hommes, ce taux s’élevait de 107,2 % (113,3 % à la MA1, 101,1 % à la MA2).

Dès la mise en service de l’établissement, il a été décidé d’augmenter à 800 lits la capacité de couchage des quartiers de maison d’arrêt en équipant un bon nombre de cellules individuelles des deux quartiers pour hommes d’un second lit, superposé au premier.

Cette politique, destinée à garantir un lit à chaque personne et à éviter qu’elle ne doive dormir sur un matelas posé à même le sol, contraint toutefois à une cohabitation en cellule.

Dans ces conditions, au moment du contrôle, le droit à être placé en cellule individuelle ne constituait pas le principe dans les maisons d’arrêt pour hommes : pour les deux quartiers concernés, la proportion des personnes bénéficiant d’une cellule individuelle s’établissait entre un tiers et un quart de l’effectif.

Le droit à l’encellulement individuel est en revanche respecté au centre de détention.

2/ Le précédent rapport de visite avait mis en évidence les difficultés liées à « l’existence de bâtiments de conceptions identiques, au sein d’une structure regroupant deux entités aux modes de fonctionnement normalement différents ». L’expérience acquise après plusieurs années de fonctionnement de l’établissement n’a pas conduit à modifier cette analyse.

Les difficultés résultent, d’une part, du concept même de « centre pénitentiaire » dans lequel doivent cohabiter des personnes ne devant pas se croiser. L’établissement est constitué d’une juxtaposition de quartiers à vocation différente – deux maisons d’arrêt et deux centres de détention – et de divers bâtiments abritant des services communs : parloirs, unités de vie familiale (UVF), unité sanitaire, secteur des activités, cuisines, buanderie, magasins, ateliers, gymnase, terrain de sports. Cette configuration entraine une sectorisation des différents quartiers d’hébergement, une organisation stricte des déplacements entre ces derniers, un partage des équipements communs ainsi que la démultiplication de l’action des différents services dans chacun des quartiers.

Elles tiennent, d’autre part, au fait que tous les bâtiments présentent sensiblement la même configuration architecturale, bien que ceux-ci soient destinés à des personnes relevant de régimes de détention différents (maison d’arrêt, centre de détention).

Le contrôle général préconise depuis plusieurs années l’abandon de ce type d’établissement[1].

3/ Dans ce contexte, les deux quartiers de centre de détention ne remplissent pas les objectifs relevant du sens de la peine et consistant à privilégier la socialisation et la réinsertion des personnes condamnées à de longues peines.

La difficulté tient, d’une part et une nouvelle fois, à la configuration d’une structure non pensée pour héberger des condamnés à de longues peines, mais pas non plus organisée selon un régime de détention qui viendrait en corriger les défauts. Ainsi, il est paradoxal que des personnes considérées par l’administration comme relevant d’un régime de confiance (« portes ouvertes ») ne soient autorisées à circuler qu’au sein de leur aile d’hébergement, sans possibilité de se rendre librement dans la cour de promenade ou dans les autres espaces communs du bâtiment, tels que la bibliothèque, la salle de musculation ou les salles d’activités. Ces personnes devraient bénéficier d’un régime de détention en rapport avec la confiance qui leur est portée.

D’autre part, le régime différencié de détention organise pour un cinquième de l’effectif une gestion plus stricte (« portes fermées ») qui privilégie la sécurité et la discipline dans un système dérogatoire au regard des caractéristiques normales d’un centre de détention. Les 49 personnes concernées au moment de la visite ont déploré le fait de ne pas avoir le bénéfice attendu d’un régime de détention en établissement pour peine, considérant n’avoir rien de plus qu’en maison d’arrêt, hormis le placement seul en cellule.

Concernant le régime fermé, deux points méritent de retenir plus particulièrement l’attention.

Il est inadmissible que, dans l’aile droite du rez-de-chaussée du CD2, le régime fermé soit imposé à des personnes qui y sont placées en raison de leur besoin de protection. L’ouverture en journée des cellules devrait y être autorisée, comme dans l’autre aile du rez-de-chaussée également réservée à des personnes vulnérables. Ce point a été souligné dans un rapport établi par l’inspection des services pénitentiaires.

Par ailleurs, il est apparu aux contrôleurs une certaine confusion entre le placement en régime fermé à la suite d’un incident et le traitement de celui-ci dans le cadre de la procédure disciplinaire, situation assimilable à une gestion de type infradisciplinaire. Il convient de rappeler qu’aucune sanction ne peut exister en dehors du cadre de la procédure disciplinaire et des garanties réglementaires afférentes.

4/ Plusieurs éléments positifs méritent toutefois d’être soulignés.

L’investissement du personnel et la qualité du partenariat favorisent indéniablement l’accueil des arrivants, le fonctionnement du quartier de semi-liberté, la prise en charge des soins somatiques, l’offre d’enseignement et de formation ainsi que l’accès au droit malgré l’absence d’un point d’accès du droit.

5/ De nombreux points sont apparus plus problématiques.

Le déclassement du travail s’effectue sans autre procédure contradictoire que la comparution devant la commission de discipline ; la confidentialité des soins souffre de la présence intrusive des surveillants lors de la distribution des médicaments et lors des consultations réalisées à l’hôpital ; des dysfonctionnements existent au sein de l’équipe psychiatrique de l’unité sanitaire ; l’absence de boîtes à lettres en détention, les mauvaises conditions d’utilisation des postes téléphoniques… La politique d’aménagement des peines est enfin très restrictive.

Le fonctionnement des parloirs est apparu particulièrement préoccupant. Outre une certaine rigidité, notamment en cas de retard des familles, les pratiques de (deux) surveillants de ce secteur ont été dénoncées – y compris par certains de leurs collègues – pour leur comportement agressif, des propos déplacés et une façon d’opérer les fouilles intégrales non conformes à la réglementation et attentatoires à la dignité humaine (obligation de lever les jambes pour montrer ses parties intimes). Lors de la réunion de fin de visite, il a été demandé à la direction de veiller à l’arrêt immédiat de telles pratiques et d’envisager le retrait des parloirs des agents mis en cause.

Par ailleurs, l’effectif du personnel de surveillance s’est très sensiblement dégradé depuis la précédente visite avec, au moment du contrôle, 20 postes vacants et 15 agents indisponibles pour le service, alors que le nouvel organigramme a fait parallèlement apparaitre un besoin de treize postes supplémentaires. Cette situation génère un important absentéisme, des tensions au sein du personnel et un recours épuisant aux heures supplémentaires. Faute d’effectif suffisant, un fonctionnement « dégradé » est mis en place et des postes sont découverts, notamment en détention.

6/ L’établissement connait enfin un niveau de violence particulièrement inquiétant, notamment au sein des deux quartiers de centre de détention.

Les relations entre personnes détenues se caractérisent par un climat de violence et par des rapports de force, dont les effets se manifestent notamment au rythme des multiples projections et découvertes de produits interdits qui engendrent, selon les dires des différents protagonistes, une intense et occulte « activité commerciale » au sein de la détention. Beaucoup d’entre elles choisissent de se protéger en restant enfermées dans leur cellule, certaines demandent à aller au quartier d’isolement ou refusent de quitter le quartier disciplinaire en attendant un hypothétique transfert.

De manière sporadique, la détention connait des épisodes très violents, comme de véritables opérations de règlement de compte – une personne détenue a perdu un œil à la suite d’une agression dans sa cellule dans les mois précédant le contrôle – ou des intimidations physiques directes ou indirectes au sein de la détention, notamment sur des familles destinataires de photographies prises depuis un téléphone portable de leur proche subissant des violences…

Si le procureur de la République est régulièrement saisi à la suite d’incidents et si l’inspection des services pénitentiaires en a bien analysé les causes et les circonstances, il n’apparait pas pour autant que tous les enseignements en aient été tirés et que les mesures nécessaires aient été entreprises pour combattre cette insécurité. La présence du personnel de surveillance est insuffisante en détention : seul à son étage, le surveillant se cantonne en général dans une position de retrait au niveau du palier entre les deux ailes fermées, alors que toutes les portes des cellules sont ouvertes. En outre, il est fréquent que les cours de promenade ne soient pas directement surveillées par un agent mais par le biais de la vidéosurveillance dont les images ne donnent pas à voir l’intérieur des cours… De manière générale, le dispositif de vidéosurveillance n’est pas opérationnel, certaines zones sensibles n’étant pas couvertes et les images ne permettant pas le plus souvent d’identifier les auteurs de violence.

Les personnes détenues vivent avec un sentiment mêlé d’impunité, de vulnérabilité et d’impuissance, qui alimente un ressentiment à l’égard de l’administration et de la justice, renforcé par l’insécurité juridique de la gestion de la détention marquée par un certain arbitraire.

[1] Rapport d’activité 2013 – Architecture et lieux de privation de liberté, pages 188 et suivantes.