Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt de Basse-Terre (Guadeloupe)

Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt de Basse-Terre (Guadeloupe)

Observations du ministre de la santé – MA de Basse-Terre (2e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères intéressés auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite par le ministère de la justice.

 

SYNTHESE

Quatre contrôleurs du contrôle général des lieux de privation de liberté ont effectué une visite de la maison d’arrêt de Basse-Terre du 8 au 11 juin 2015. Ils ont pu constater que les conditions de détention, sordides, n’avaient pas évolué depuis la précédente visite, en 2010 et que les efforts louables, patients et opiniâtres développés par les responsables de l’établissement, dans la mesure de leurs moyens – parfois personnels – pour limiter les nuisances ne trouvaient guère de relai ni d’écho auprès de leur administration.

I – La population pénale est caractérisée par sa violence avec l’usage potentiel constant de « pics » artisanaux, sa pauvreté et les particularités des Saint-Martinois – 25 % des hébergés – qui ne reçoivent guère de visites et parlent difficilement le français.

Les conditions matérielles d’hébergement sont attentatoires à la dignité.

Elles n’ont pas été modifiées depuis la visite de 2010 : les personnes sont réparties dans des dortoirs équipés de lits superposés. Mais ce doublement des lits permet, alors que la capacité théorique est de 130 places, d’héberger 244 personnes détenues sans avoir recours à des matelas au sol, ce qui est d’autant plus heureux que la surface disponible au sol ne permet que la circulation des occupants. Les cellules sont dépourvues d’armoire et de réfrigérateur, les lits inoccupés servent d’étagères.

Le « régime porte fermée » des maisons d’arrêt est appliqué ; au demeurant, la surface des cours et l’absence de préau ne permettraient pas la présence de toutes les personnes détenues du quartier durant toute la journée, comme on a pu le voir dans des maisons d’arrêt comparables d’outre-mer où, en raison de la température, l’enfermement continu est particulièrement éprouvant.

Les cellules sont chichement éclairées par des lampes insuffisamment puissantes et par la clarté du jour qui pénètre par les grilles constituant les portes et les orifices barreaudés tenant lieu de fenêtre. Deux ventilateurs installés dans chaque cellule n’améliorent pas suffisamment la ventilation des courants d’air des alizés. Une odeur persistante de linge sale, d’humidité et d’exhalaisons corporelles saisit dès que l’on s’approche des grilles derrières lesquelles les occupants se regroupent pour converser avec les passants : surveillants, auxiliaires passant les produits des cantines à travers les barreaux, etc.

La gestion de la collectivité cellulaire repose sur un caïdat implicite et assumé par tous les intervenants ; aussi personne ne se plaint de vols, de rackets ni d’autres violences.

Les nombreuses personnes souffrant de troubles mentaux, les personnes détenues âgées et les travailleurs sont regroupés dans un bâtiment « plus calme » disposant de cellules individuelles – pour les personnes les plus délirantes – ou doubles ; cet « agrément » est compensé par une cour extrêmement petite et surmontée d’un grillage, réceptacle de détritus de toute nature.

L’accès aux soins, insuffisant, méconnaît le droit à la santé.

Outre que les locaux, inchangés dans leur structure, sont inadaptés à leur fonction, l’insuffisance d’infirmiers diplômés d’Etat et de surveillants restreint les possibilités de soins, hormis en matière psychiatrique où ils sont correctement assurés.

Les surveillants sont en nombre trop faible pour pallier un absentéisme qui nuit gravement aux droits des personnes détenues : l’accès aux soins se trouve réduit, l’hygiène de la cuisine est défaillante, le terrain de sport est inaccessible.

L’ennui règne : l’établissement ne dispose d’aucun atelier, le travail est limité au service général, l’enseignement est réduit au minimum.

II – Dans ce contexte de difficultés structurelles extrêmes, il apparaît que l’établissement ne continue à fonctionner dans une relative sérénité que grâce au professionnalisme et à l’implication de l’équipe de direction, du SPIP et d’une partie du personnel de surveillance, exceptionnels dans leur qualité et leur cohésion en dépit de l’absentéisme.

La politique de prise en charge de la population pénale tient subtilement compte de ses particularités. Le chef de détention a une connaissance fine de la population pénale, très réentrante, des conditions de vie « dehors » des personnes hébergées et de leur comportement individuel et collectif. Les incidents et violences sont prévenus, et, le cas échéant, donnent plutôt lieu à la recherche d’apaisement et de mesures de conciliation, plutôt qu’à sanction. Le chef de détention sait faire adhérer le personnel de surveillance à cette conception de la gestion de la détention partagée par la direction. Cette approche qui valorise l’écoute et le dialogue est une force de l’établissement, mais également une faiblesse dans la mesure où elle repose sur la qualité et la disponibilité des quelques personnes et donc sur leur présence, dans une pratique d’oralité qui ne fait l’objet d’aucun formalisme ou traçabilité.

L’organisation d’activités socio-culturelles diverses et nombreuses repose en partie sur le dynamisme du directeur en poste lors de la visite, lequel sollicitait abondamment ses relations pour faire aboutir et vivre les projets. Faute de reprise des interventions bénévoles par des moyens financiers pérennes, le risque de désinvestissement de ces initiateurs est grand.

La préparation de la sortie et les aménagements de peines font l’objet d’un soin particulier par les CPIP : réalisation de documents d’identité – notamment pour les Saint-Martinois -, visites des hébergements et des familles pour expliquer les placements sous surveillance électronique (PSE), rencontre des employeurs potentiels avant l’embauche, recherche d’hébergements, toutes choses particulièrement difficiles dans le contexte économique local.

Cette prise en charge est soutenue par les magistrats, tant dans la réponse aux incidents que dans l’exécution de la peine et ses aménagements, voire pour pallier des carences : ainsi des autorisations de sortie sont accordées pour se rendre en consultation au CSAPA ou même, exceptionnellement et faute de dentiste à la maison d’arrêt, pour une consultation chez un dentiste de ville.

Ainsi, malgré les conditions matérielles de détention, les personnes détenues condamnées, qui constituent la majeure partie de l’effectif, ne demandent pas de transfert à Baie-Mahault dont elles redoutent le climat de violence.

L’implication des professionnels est d’autant plus précieuse qu’elle compense le découragement causé par l’abandon de tous les projets successifs de rénovation, réhabilitation ou reconstruction dont l’établissement a fait l’objet depuis une décennie.

Pourtant, les conditions de prise en charge à la maison d’arrêt de Basse-Terre constituent un traitement dégradant et inhumain. Il est inacceptable que cette situation perdure ; la construction d’un nouvel établissement s’impose.

Toutefois, une reconstruction sur place est difficilement envisageable tant l’assiette foncière est exiguë. Tout autre projet ne répondra efficacement aux besoins que s’il est l’occasion d’une réflexion sur le sens de la peine, sur le régime de détention et le contenu de la journée ; sa traduction architecturale devra être adaptée à une population dont, pour la majorité, la faible dangerosité appelle une prise en charge plus éducative que répressive.