Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la troisième visite du centre de rétention administrative de Toulouse-Cornebarrieu (Haute-Garonne)

Rapport de la troisième visite du centre de rétention administrative de Toulouse-Cornebarrieu (Haute-Garonne)

Observations du ministre de l’intérieur_CRA de Toulouse-Cornebarrieu (3e visite)

Observations du ministre de la santé_CRA de Toulouse-Cornebarrieu (3e visite)

 

SYNTHESE

Trois contrôleurs du contrôle général des lieux de privation de liberté ont effectué, du 4 au 7 mai 2015, une visite du centre de rétention administrative de Toulouse-Cornebarrieu (Haute-Garonne). Cette mission constituait une troisième visite, faisant suite à un premier contrôle réalisé du 17 au 20 mars 2009 et à un deuxième réalisé du 25 au 28 juin 2012.

Un rapport de constat a été adressé le 31 août 2015 au chef du centre de rétention, dont les observations en retour ne sont pas parvenues à la Contrôleure générale de privation de liberté à la date de la rédaction du présent document.

Certaines des observations faites lors des précédentes visites sont été à nouveau formulées dans le présent rapport.

Le centre de rétention administrative, comme en mars 2009 et en juin 2012, dispose d’une capacité d’hébergement maximale de 126 personnes. Au 4 mai 2015, le jour de la visite des contrôleurs, le nombre de personnes retenues était de trente-neuf hommes et femmes, dont un couple sans enfant.

Cette troisième visite a permis de relever des points forts et des points faibles présentés successivement ci-dessous. Elle a également permis de constater un usage anormalement fréquent de la mise à l’isolement pour des raisons médicales ou sécuritaires sur lequel il y a lieu d’appeler l’attention

1/ La visite a permis de mettre en évidence plusieurs points forts dans le fonctionnement de l’établissement.

Le chef du centre de rétention organise sous son autorité des réunions avec ses correspondants extérieurs tels que la Cimade, l’office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), le médecin, les infirmières, les sociétés GEPSA, SGS (sécurité), INEO (entretien des allume-cigarettes). Il va ainsi-au-delà de l’exigence formulée par l’article R. 14-8 du CESEDA qui demande la tenue d’une réunion annuelle. Ces réunions permettent des échanges constructifs et dans des délais correspondant aux besoins des différents intervenants. Les intervenants de la Cimade travaillent en harmonie avec le chef de centre dans le respect des prérogatives de chacun même si les prestations de cette association ont été réduites de 25 % lors de l’attribution du marché public en 2013, avec pour principale conséquence la diminution du nombre de salariés de quatre à trois.

L’organisation des unités du greffe, de l’identification, de l’éloignement, et de l’unité de garde et de transfert, a paru adaptée ; elle permet de respecter au mieux les droits fondamentaux des personnes retenues.

Lorsqu’un cas de gale ou de maladie contagieuse comparable est identifié, la chambre est isolée et désinfectée par la société ONET selon une procédure précise. Cette procédure mériterait d’être appliquée dans l’ensemble des lieux de privation de liberté.

La durée des visites aux personnes retenues a été portée effectivement à trente minutes et les visiteurs ne sont plus contraints de porter un bracelet – cette pratique n’apparaît pas dans le règlement intérieur et sa disparition est un élément positif.

Les mouvements des personnes retenues (présentations consulaires, au tribunal, éloignement…) sont affichés par le greffe la veille à 19h à la porte de la salle de restauration à l’exception des « départs secrets ». Il conviendrait que la présentation de cette liste soit améliorée en traduisant les sigles utilisés, dont la signification échappe à la plupart des francophones et à la totalité des non-francophones.

2/ Certains points restent à améliorer.

En matière de transport, la fourgonnette utilisée pour le transport des personnes retenues présentait lors de la présence des contrôleurs un état de dangerosité certain : outre l’absence de ceintures de sécurité pour les passagers – menottés dans le dos – et la porte latérale ne fermant pas.

Le menottage des personnes conduites par escorte policière à l’hôpital est systématique même si, d’après les renseignements recueillis, une attention est portée à ce qu’il ne soit pas trop serré ; en revanche, il a été signalé aux contrôleurs que les personnes arrivantes portaient parfois des marques aux poignets caractéristiques d’une entrave trop forte. Le menottage est également systématique pour les transports vers le tribunal. Il y a lieu de rappeler que le menottage ne devrait être qu’exceptionnel.

La signalisation routière a été améliorée de Toulouse à Cornebarrieu pour indiquer le CRA mais elle demeure insuffisante pour les visiteurs ne venant pas de Toulouse. Il n’existe pas de parking pour les véhicules des visiteurs. Le cheminement à pied du CRA vers les points de passage des transports en commun et vers l’emplacement servant de parking pour les visiteurs est dangereux, le long d’une route fréquentée.

Les relations entre les fonctionnaires de police et les personnes retenues sont parfois tendues en raison de difficultés d’organisation interne. La circulation des personnes retenues au sein du centre de rétention est organisée par le règlement intérieur (article 12) « … l’accès à la zone [collective] se fait sous le contrôle du poste de garde … aux heures propres à chaque entité… ». Ces heures sont affichées à proximité de la porte de chaque secteur en langue française uniquement, elles n’apparaissent nulle part ailleurs ; le poste de garde est très souvent sollicité par l’interphone situé à chaque porte pour obtenir son ouverture. Cette situation favorise des tensions, notamment quand le fonctionnaire gestionnaire des interphones n’est pas expérimenté. Le poste de garde est également sollicité pour changer la chaîne d’un téléviseur. Cette situation est aggravée par le fait que les fonctionnaires affectés au centre de rétention ne reçoivent aucune formation spécifique.

De nombreux petits dysfonctionnements rendent la vie quotidienne difficile : l’utilisation normale des allume-cigarettes les met hors d’usage en peu de temps ; un seul drap est délivré à chaque personne retenue – le protège-matelas délivré ne pouvant pas être considéré comme un drap de dessous ; de nombreux matelas sont dégradés ou ne sont pas recouverts par des housses ignifugées ; les informations sur le lavage du linge ne sont pas connues, ce qui conduit des personnes retenues à ne pas faire laver leur linge ; les informations sur l’accès au service médical sont mal formalisées ; du riz et du thé pourraient être proposés en complément des repas.

Comme en 2012, le manque d’activités demeure : absence de jeu de cartes, de dames, d’échec, etc. ; un des deux baby-foot était hors d’usage ; les balles et raquettes de tennis de table ne sont pas systématiquement remplacées quand elles sont inutilisables.

Le monnayeur placé dans la zone collective est sous-dimensionné : il est souvent à court de monnaie ; dans ce cas, l’argent n’est rendu qu’après diverses sollicitations, mais la procédure n’est pas indiquée.

Comme en 2012, les cabines téléphoniques, accessibles de jour comme de nuit, ne permettent pas de préserver la confidentialité des communications. Les téléphones portables équipés d’un appareil de prise de vue étant interdits dans le centre, il serait nécessaire que les personnes retenues soient informées dès leur arrivée qu’elles peuvent conserver les puces de ces téléphones dans la zone de rétention ; cela éviterait qu’elles demandent à se rendre dans la bagagerie pour les récupérer.

Le stock de vêtements dont disposent les agents de l’office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est manifestement insuffisant, ce stock étant alimenté exclusivement par le Secours populaire.

3/ La mise à l’isolement, médical ou sécuritaire, atteint des niveaux préoccupants, sans aucun contrepouvoir, et devient une atteinte permanente aux droits fondamentaux.

Le nombre de mises à l’écart prononcées dans l’année 2014 –  87 au total – tant pour des motifs sécuritaires (24) que médicaux (63) apparaît excessif. La comparaison avec les autres centres de rétention interroge.

En particulier, la mise en chambre d’isolement sécuritaire sur demande médicale et sur décision du chef de centre « pour des patients à risque de gestes auto-agressifs sans pathologie psychiatrique avérée afin que la police puisse intervenir rapidement en cas de problème », selon les termes du médecin hospitalier en poste au CRA dans son courrier en date du 11 mai 2015 se situe en dehors de tout cadre légal ou réglementaire et supprime toute possibilité de recours. Le contenu de la réponse ministérielle du 7 juillet 2015 « Il est également possible qu’une mesure de séparation physique soit prise uniquement pour raison médicale (risque de passage à l’acte suicidaire) … » laisse penser que la décision repose sur une raison médicale, mais en réalité la décision est prise par le chef de l’établissement.

Comme en juin 2012, et en dépit des préconisations formulées dans le rapport d’activité du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour l’année 2012, les motifs « outrage », « rébellion », « violence », « menaces » qui correspondent à des qualifications pénales sont utilisés pour motiver des placements en chambres d’isolement sécuritaire. La décision de mise à l’écart est prise sans débat contradictoire et elle est insusceptible de faire l’objet d’un recours.

Enfin, les chambres de mise à l’écart sécuritaire sont insuffisamment équipées : elles ne comportent ni table ni siège, et aucun appareil radio ni téléviseur n’est mis à disposition ; les chambres médicalisées de mise à l’écart ne sont pas toutes équipées d’un téléviseur. En revanche ces chambres sont équipées d’un système de vidéosurveillance qui respecte l’intimité des personnes retenues.