Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite du centre de détention de Roanne (Loire)

Rapport de la deuxième visite du centre de détention de Roanne (Loire)

Observations du ministre de la santé_CD de Roanne (2e visite)

Observations du ministère de la justice – CD de Roanne (2e visite)

 

SYNTHESE

En application de la loi du 30 octobre 2007 qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, sept contrôleurs ont effectué une visite annoncée du centre de détention (CD) de Roanne (Loire) du 5 au 9 janvier 2015.

Il s’agit de la deuxième visite de l’établissement, la première ayant eu lieu du 29 septembre au 1er octobre 2009.

La capacité théorique du centre de détention est de 602 places réparties entre deux bâtiments pour les hommes de 241 places chacun, un bâtiment pour les femmes de quatre-vingt-dix places dont quatre pour la nurserie et un quartier arrivant de trente places. La capacité opérationnelle du CD est de 562 places. Le 1er janvier 2015, l’établissement comptait 542 personnes détenues écrouées (462 hommes et 80 femmes).

La première visite du Contrôle général a eu lieu quelques mois après l’ouverture du CD. Lors de leur deuxième visite, les contrôleurs ont observé l’évolution de l’état, de l’organisation et du fonctionnement global de l’établissement.

L’organisation globale de l’établissement semble insuffisamment maîtrisée. Outre l’absence de projet d’établissement, les personnels pénitentiaires travaillent sans directive managériale, ce qui a pour conséquence un manque flagrant de cohésion et de communication au sein des équipes ; le fonctionnement incertain de la commission de discipline ou les difficultés d’organisation de la réunion de lancement de la mission de contrôle elle-même en témoignent. La maison d’arrêt des femmes (MAF), dont le fonctionnement est globalement satisfaisant, fait exception à cet état de fait.

Les effectifs réels des agents sont inférieurs à l’effectif de référence (- 24 agents), ce qui a des conséquences sur l’organisation du service et entraine des difficultés pour pallier un absentéisme significatif. L’encadrement semble insuffisant ; ce phénomène était accentué, au moment de la visite, par la vacance du poste de chef de détention.

Le quartier arrivant hommes a fait l’objet d’une labellisation dans le cadre des règles pénitentiaires européennes, mais il n’existe pas de cellule pour personnes à mobilité réduite, ces dernières ne bénéficiant pas, ainsi, du parcours arrivant. Outre les entretiens individuels réglementaires, les hommes détenus arrivants se voient proposer des entretiens collectifs, notamment avec le responsable des ateliers, le responsable local de l’enseignement.

La détention hommes pâtit d’un environnement insécurisant tant dans les bâtiments d’hébergement qu’à l’extérieur, notamment faute de moyens humains et d’encadrement des agents. La gestion des mouvements dans l’espace reliant tous les bâtiments est difficile, de sorte que cet endroit est devenu un lieu d’échanges divers entre les personnes détenues. Les personnes condamnées pour infraction à caractère sexuel ne bénéficient pas d’un régime de protection approprié et sont en conséquence particulièrement victimes de violences. Il conviendrait de remédier sans attendre à cette situation.

Des allégations de violence concernent aussi les surveillants. Les contrôleurs ont ainsi pu vérifier les propos de personnes détenues concernant l’existence d’un compte Facebook ouvert par un surveillant identifiable et prônant la « matraquothérapie ». Après avoir en avoir informé la direction, les contrôleurs ont pu vérifier que ce compte Facebook n’était plus en ligne à la fin de leur mission.

Le quartier des femmes, hébergeant en moyenne 80 personnes, ne dispose pas de « quartier arrivant », ce qui est en contradiction avec les règles pénitentiaires européennes. Il est regrettable que les femmes transférées d’autres établissements pour purger des peines, certaines de nature criminelle, ne puissent bénéficier d’une véritable période d’adaptation et d’observation dans un espace spécifique avec un personnel pénitentiaire dédié, à même de donner des informations utiles à la CPU. Ainsi, le critère d’affectation en cellule pourrait tenir compte du profil de la personne détenue et permettre la mise en place d’un parcours d’exécution des peines.

La cellule mère-enfant ne dispose toujours pas d’un endroit séparé pour l’enfant. Il est nécessaire d’aménager cette cellule afin que la mère et l’enfant soient isolés à certains moments du jour et de la nuit. Par ailleurs, la cour de promenade de la nurserie n’a pas, elle non plus, fait l’objet des travaux indispensables pour la rendre attractive (pratique de jeux extérieurs). La cour de promenade des femmes, utilisée à raison de 45 minutes en fin de matinée, n’est pas adaptée aux besoins d’un enfant. Ces remarques avaient déjà été faites lors de la première visite de l’établissement.

Concernant le régime différencié appliqué au quartier des femmes, une procédure devrait être mise en place pour formaliser les demandes de changement de régime et les réponses apportées ; il apparaît surtout indispensable que soit examinée, avec une traçabilité et à fréquences régulières, la situation de chacune des personnes soumises au régime contrôlé. L’affectation ou le maintien à ce régime ne devrait être fondé que sur le critère d’adaptation de la personne incarcérée aux règles de vie collective, et non sur des considérations relevant de la gestion pré-disciplinaire, voire de la gestion des lits en cas de surpopulation.

Les espaces collectifs sont peu investis ; beaucoup de femmes se sont plaintes du manque d’activités et de temps collectifs.

Les surveillantes travaillent en sous-effectif chronique, ce qui entraîne fatigue et parfois démotivation. Par ailleurs, des doléances émises par des personnes incarcérées concernant le comportement de certains personnels pénitentiaires, sont apparues suffisamment cohérentes pour susciter des interrogations sur la gestion de ce quartier. Il est indispensable que la direction y soit plus impliquée et plus présente.

En matière d’hygiène et de salubrité, le nettoyage des escaliers des bâtiments est insuffisant et les locaux des unités de vie familiale n’étaient pas propres lors de la visite. Les lave-linge utilisés au quotidien par les personnes détenues dans les offices sont souvent en panne du fait de dégradations. Enfin, comme dans d’autres établissements, de nombreux détritus s’amoncellent au pied des bâtiments et des cours de promenade au mépris des règles d’hygiène et de salubrité ; les personnes hébergées au rez-de-chaussée se plaignent des odeurs nauséabondes qui s’en dégagent, surtout l’été.

La diversité des produits proposés à la cantine est à souligner, ainsi que l’organisation de cantines exceptionnelles une fois par mois, d’une cantine spécifique à l’unité de vie familiale, d’un catalogue spécifique à la période du Ramadan. En revanche, les réfrigérateurs à disposition des détenus sont inadaptés pour la conservation des aliments (petite dimension, absence de compartiment de congélation).

Concernant les extractions médicales et l’utilisation des moyens de contrainte, une meilleure rédaction de la fiche de suivi « transfèrement-extraction » doit permettre d’éviter la systématisation du menottage et la présence des agents d’escorte pendant les consultations.

Le fonctionnement de l’accès au droit n’a jamais été satisfaisant. Il convient sans doute, par l’organisation d’une réunion avec les différents protagonistes (président du CDAD, chef d’établissement, bâtonnier, DPIP), de redynamiser un tel dispositif, indispensable à la bonne information des personnes détenues. Par ailleurs, les relations entre la CPAM et le centre pénitentiaire sont satisfaisantes ; et permettent de traiter dans des délais performants l’affiliation des détenus à leurs droits sociaux. En revanche, il est nécessaire de formaliser un protocole avec la préfecture afin de garantir les droits des personnes détenues étrangères au renouvellement de leur titre de séjour.

Bien que deux consultations aient été organisées par la direction de l’établissement en 2014, les entretiens avec les personnes détenues autant qu’avec les agents pénitentiaires, font apparaître leur ignorance des dispositions de l’article 29 de la loi pénitentiaire 2009. Ce droit reste encore à l’état embryonnaire. Il convient de développer le droit d’expression collective par la mise en place de consultations régulières liées aux activités, au sport, à la formation, aux cantines et de s’assurer que l’avis des personnes incarcérées a été pris en compte.

Les locaux de l’unité sanitaire sont spacieux et propres. En revanche, lorsque l’ensemble des intervenants est présent, le nombre de bureaux s’avère insuffisant, obligeant certains psychologues à utiliser le parloir avocat. La diversité de l’offre de soins somatiques et psychiques est à souligner. Les soins dentaires et les appareillages en lunettes bénéficient de prestations remarquables. La tenue de consultations spécialisées au nombre de 8 au sein de l’unité sanitaire contribue à diminuer de façon significative le nombre d’extractions médicales.

Le centre de détention est l’un des 22 établissements spécialisés dans la prise en charge des auteurs d’infractions à caractère sexuel qui représentent un tiers des hommes détenus. Le CD reçoit un budget spécifique de l’ARS. Les AICS bénéficient, au même titre que l’ensemble des détenus, des consultations avec un psychiatre et des entretiens avec les psychologues, mais le programme de soins spécifiques se limitait lors du contrôle à une seule activité, le groupe « qu’en dit-on ? ».  Il convient de renforcer de façon significative la prise en charge, comme cela est envisagé par le psychiatre.

Les rendez-vous médicaux extérieurs sont organisés par le secrétariat de l’unité sanitaire dans des conditions qui limitent l’attente des personnes détenues sur le lieu de consultation. Au CHG de Roanne, un parcours adapté permet de limiter les contacts avec les autres patients. Mais le personnel pénitentiaire reste présent dans la salle de consultation, au mépris du secret médical. Il convient, comme cela a été rappelé dans un avis du CGLPL relatif à la prise en charge des personnes détenues au sein des établissements de santé, que le personnel d’escorte assure la surveillance de la personne détenue en dehors de la salle de consultation.

Le travail pénitentiaire, sous la responsabilité de Gepsa, emploie en moyenne une centaine de personnes détenues et les activités sont diversifiées. Une hiérarchie des postes en place permet une évolution individuelle des opérateurs et la société accepte dans les ateliers des opérateurs peu performants.

En matière de formation professionnelle, des adaptations ont été mises en œuvre dans le plan de formation professionnelle 2015. Cependant, l’année 2015, année de transition, se traduit par des incertitudes pouvant être préjudiciables aux détenus, dans le cadre du transfert de compétence concernant le financement et l’organisation de la formation professionnelle aux conseils régionaux.

Le responsable local de l’enseignement est très actif ; les femmes bénéficient d’une offre diversifiée en matière d’enseignement en raison de la demande (quinze séances d’une heure trente hebdomadaires pour 80 femmes environ).

Les personnes classées au service général désirant suivre des cours ne peuvent bénéficier d’horaires aménagés, ce qui les conduit parfois à renoncer à l’enseignement.

Les activités socioculturelles ont progressé de manière considérable depuis la précédente visite. Les bibliothèques, bien gérées, présentent une diversité des ouvrages intéressante.

L’aménagement des peines est considéré comme peu favorable par les personnes détenues. Ces dernières ont en effet mentionné la difficulté à obtenir un aménagement de peine compte tenu d’une jurisprudence locale ressentie comme restrictive. Elles ont affirmé aux contrôleurs que leurs requêtes en aménagement des peines étaient audiencées lors de la dernière année de détention. Dès lors, elles préfèrent attendre leur fin de peine et sortir en ne bénéficiant que des crédits de peine et des réductions de peines supplémentaires, sans être soumises à la contrainte d’un placement sous surveillance électronique ou à celle de la libération conditionnelle.

Toutefois, le taux d’aménagement des peines est stable depuis plusieurs années pour atteindre entre 48 et 50 % des demandes examinées. Au centre de détention, toutes les personnes détenues ont bénéficié au moins d’une partie de réduction supplémentaire de peine. Les délais de convocation respectent les exigences légales, sauf en ce qui concerne les dossiers nécessitant l’organisation d’expertises psychiatriques, le retour du rapport nécessitant parfois au-delà de six mois. Le ressenti des personnes détenues ne semble donc pas fondé.

Comme recommandé lors de la première visite, l’engagement de service du SPIP a été signé le 24 janvier 2013. Compte tenu des évolutions législatives, il est inadapté et devrait être mis à jour dans les meilleurs délais (une réflexion était en cours pour parvenir à une modification rapide). Récemment restructuré, le service fonctionne de manière satisfaisante. Il est toutefois regrettable qu’aucun conseiller pénitentiaire ne participe aux audiences de la commission d’application des peines.

Enfin, l’accroissement et la complexité de la charge de travail des agents du greffe nécessiteraient que soit proposées des formations garantissant un fonctionnement optimal du service de l’exécution des peines.

Postérieurement à la visite, les contrôleurs ont été informés qu’une personne détenue aurait été placée en régime fermé dans des conditions qui ne semblent pas dépourvues de lien avec la visite des contrôleurs. Une enquête auprès de la direction de l’établissement est en cours.