Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne)

photo : JC Hanché pour le CGLPL

Le CGLPL avait réalisé une deuxième visite de la maison d’arrêt des homme du centre pénitentiaire de Fresnes du 3 au 14 octobre 2016. Au regard des constats effectués sur place, la Contrôleure générale avait considéré établie une violation grave des droits fondamentaux des personnes incarcérées et publié au Journal Officiel du 18 novembre 2016 des recommandations en urgence, sans attendre la finalisation du rapport de visite, conformément à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007.

Lire le rapport de la deuxième visite de la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne)

Observations du ministère de la justice – centre pénitentiaire de Fresnes (2e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite par le ministère de la santé.

Suivi des recommandations à 3 ans – Centre pénitentiaire de Fresnes (2e visite)

 

SYNTHESE

Une équipe composée de onze contrôleurs a visité du 3 au 14 octobre 2016 le centre pénitentiaire de Fresnes. Cette visite n’a concerné que le quartier maison d’arrêt des hommes dit « grand quartier ». Le centre national d’évaluation (CNE) et la maison d’arrêt des femmes (MAF) n’ont donc pas été visités en raison, pour la MAF, des problématiques spécifiques aux femmes privées de liberté, qui méritent d’être traitées lors d’une visite particulière.

Un rapport de constat a été rédigé et envoyé le 27 juin 2017 au chef d’établissement du centre pénitentiaire, au directeur du groupe hospitalier Paul Guiraud de Villejuif ainsi qu’au directeur du centre hospitalier universitaire de Bicêtre au Kremlin-Bicêtre ; tous trois ont répondu. Leurs remarques apparaissent dans le corps du texte, les corrections purement factuelles qu’ils ont proposées ayant été intégrées.

A la suite de la visite et au vu des constatations effectuées par l’équipe, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté avait, en application de l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007, publié des recommandations en urgence au Journal officiel du 18 novembre 2016.

1 – La surpopulation, cumulée à l’état des locaux et au manque d’effectifs ne permet pas une prise en charge respectueuse des droits fondamentaux des personnes détenues.

A – Le niveau inacceptable de la surpopulation pénale entraîne des conditions d’hébergement indignes.

Avec 2 989 écrous pour l’ensemble du centre pénitentiaire la population atteint des niveaux encore jamais constatés et connaît depuis 2006 une augmentation de 52 %. La première division héberge 614 personnes pour une capacité théorique de 386 places ; son taux d’occupation est donc de 159 %. Il est de 199 % pour la deuxième division (614 personnes pour 432 places) et de 201 % pour la troisième (861 personnes pour 428 places).

Les conditions d’encellulement sont dès lors très dégradées. 296 cellules ne sont occupées que par une seule personne, 350 cellules le sont par deux personnes et 421 cellules par trois personnes. C’est donc seulement 13 % environ de la population qui bénéficie d’un encellulement individuel, 31 % qui partage une cellule à deux et près de 56 % qui vit à trois dans une cellule.

Il s’agit de cellules de seulement 10 m2, une fois déduite l’emprise des lits, des toilettes et de la table, trois personnes doivent vivre dans un espace d’environ 6 m2. Cette situation est très en deçà des normes fixées par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT).

B – Les locaux inadaptés et l’hygiène désastreuse présentent des risques avérés pour la santé des personnes détenues et des surveillants.

Le bâtiment, de conception très ancienne, n’a manifestement pas bénéficié des investissements minimaux nécessaires aux exigences contemporaines et au respect de conditions d’hygiène acceptables, fussent-elles sommaires. Les parloirs, constitués de boxes minuscules d’à peine 1,3 ou 1,5 m2, sont de surcroît dans un état d’abandon total : salpêtre et crasse en font des lieux indignes tant pour les personnes détenues, que pour le personnel et les familles. Les cours de promenades elles-aussi sont exiguës, dépourvues de bancs, d’abris et de toilettes.

Néanmoins, c’est l’état d’hygiène déplorable de l’établissement qui constitue l’anomalie la plus grave, pour les personnes détenues comme pour le personnel.

Les rats évoluent en masse au pied des bâtiments, dans les cours de promenade et aux abords des bâtiments tout au long de la journée. Ils ne s’effraient pas de la présence d’êtres humains ; on ne peut éviter de piétiner leurs excréments ; ils sont présents jusque dans la cour d’honneur de l’établissement. L’odeur persistante de leur pelage, de leurs excréments et de leurs cadavres, s’ajoute à celle des amas d’ordures qui jonchent le pied des bâtiments.

Ces conditions de vie sont indignes et portent directement atteinte à la santé des personnes, personnel et détenus, en particulier lorsque ces derniers sont affectés à un travail de nettoyage comme les « auxiliaires abords » sans aucune précaution d’hygiène et de sécurité.

L’établissement est également infesté par les punaises de lit. Entre mars et octobre 2016, 281 cas ont été déclarés à l’unité sanitaire, dont 63 % dans la troisième division, la plus surpeuplée. L’unité sanitaire considère que les piqûres des punaises sont à l’origine d’environ 10 % des visites effectuées pour les soins somatiques. Comme la présence des rats, celle de ces insectes porte donc à la fois atteinte à la dignité et à la santé des personnes détenues et des professionnels présents dans l’établissement.

C – L’insuffisance de l’effectif du personnel, de sa formation et de son encadrement rend impossible le respect des droits fondamentaux des personnes détenues.

Sur la base de l’état des effectifs présents au 1er octobre 2016, l’établissement connaît une insuffisance de personnel, au regard de son effectif théorique, pour tous les grades ; directeurs moins 25 % ; officiers moins 30 % ; surveillants et gradés moins 4 %. Par rapport à la situation de 2012, la dégradation observée est significative : l’effectif des surveillants et gradés est quasi stable alors que celui de la population incarcérée a augmenté de près de 20 % sur la période. En revanche, l’effectif de l’encadrement, directeurs et officiers, a connu une baisse très significative qui n’est pas sans conséquence sur la prise en charge de la population pénale.

Les contrôleurs ont été en permanence témoins du travail effréné des surveillants soumis à une pression constante qui les empêche de faire face à leur programme et aux multiples sollicitations des personnes détenues.

2 – La faiblesse du pilotage de l’établissement laisse se développer des pratiques attentatoires aux droits fondamentaux des personnes détenues.

La dégradation des conditions de détention est manifeste. Elle repose notamment sur des causes objectives : l’accroissement de la surpopulation, la baisse de l’effectif du personnel et le vieillissement du bâtiment. Mais le fonctionnement actuel de l’établissement semble cependant être également la conséquence d’un poids insuffisant de la direction.

L’établissement est historiquement marqué par une conception particulièrement rigide de la discipline, adaptée à la gestion du très grand nombre de personnes détenues. Les difficultés d’effectifs de l’établissement, la faible expérience d’une part importante du personnel et l’insuffisance de l’encadrement ont profondément modifié le caractère de cette discipline. Autrefois objective et ferme elle est apparue, tant à travers les entretiens effectués par les contrôleurs que par leur constatations directes, illisible et brutale.

A – Un climat de tension permanente suscite un usage banalisé de la force et des violences.

Les contrôleurs ont reçu de nombreux témoignages faisant état d’un usage banalisé et immédiat de la force sans que la nécessité de son utilisation soit toujours avérée et sans que des mesures tendant à l’éviter aient été prises préalablement.

Des actes de violence de la part de certains membres du personnel ont également été rapportés au cours de plus de 10 % des 190 entretiens confidentiels que les contrôleurs ont effectués pendant les deux semaines de visite. Des entretiens avec des professionnels, y compris parmi le personnel de surveillance, l’ont confirmé. La fréquence avec laquelle des violences sont alléguées est telle qu’il est impossible de douter de leur réalité.

Les violences entre personnes détenues sont également fréquentes. Des zones de risque sont clairement identifiées : les douches dans lesquelles les personnes détenues sont enfermées sans surveillance, les salles d’attente où règnent saleté et promiscuité et les cours de promenade.

Il existe au sein de la maison d’arrêt de Fresnes un réel « climat de tension » et « d’affolement » dont les contrôleurs ont pu être à maintes reprises les témoins. Cette ambiance se traduit par des cris constants et un manque de respect envers les personnes détenues, qui confine à la violence verbale. Le personnel étant en nombre insuffisant, il se trouve dans une situation de tension et de faiblesse incompatible avec un usage serein et proportionné de la force.

Des mesures disciplinaires très lourdes ont été récemment prononcées à l’encontre de trois surveillants. Néanmoins, cela ne saurait suffire à résoudre une difficulté qui ne repose pas seulement sur des comportements individuels. Des mesures d’organisation, de formation et d’encadrement sont nécessaires.

B – Des pratiques locales attentatoires aux droits fondamentaux subsistent qui sont contraires aux textes législatifs et aux recommandations du CGLPL

De nombreux dysfonctionnements déjà signalés auraient dû trouver remède sans qu’il soit nécessaire d’engager des dépenses ou d’attendre des mesures relevant d’autorités externes. La pratique des fouilles intégrales et l’utilisation de locaux dénommés « salles d’attente » sont les cas les plus graves en termes de respect des droits fondamentaux des personnes détenues.

D’autres anomalies grossières ont inexplicablement échappé à la vigilance des responsables locaux : affichage de la liste des patients bénéficiant de traitements de substitution aux opiacés, utilisation encore trop fréquente de la langue créole pour les échanges professionnels, tutoiement des personnes détenues quasi généralisé, rôle des « assistants-sanitaires » surveillants pénitentiaires portant blouse blanche très ambivalent.

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La visite réalisée à la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes a montré que cet établissement ne présentait pas les conditions structurelles permettant d’accueillir la population pénale dans le respect de ses droits fondamentaux. La surpopulation exceptionnelle empêche un hébergement dans des conditions conformes aux normes retenues par le CPT, qui prévoient que les détenus doivent bénéficier, hors espace sanitaire, de 6 m2 au moins pour une cellule individuelle, 10 m2 pour deux et 14 m2 pour trois. L’insuffisance numérique et l’inexpérience du personnel ne lui permettent pas de faire face au minimum de tâches nécessaires au respect de l’article 22 de la loi du 24 novembre 2009[1]. Les conditions d’hygiène, que l’invasion des rats et des punaises suffit à caractériser, constituent une violation de l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme.

Dans de telles conditions, des tensions importantes existent, tant parmi les personnes détenues qu’entre le personnel et la population pénale. Un climat de violence constant règne dans l’établissement, selon des témoignages abondants corroborés par les constats directs des contrôleurs, et l’usage de la force n’est ni maîtrisé ni contrôlé.

Le CGLPL considère en conséquence que la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Fresnes doit faire l’objet, d’une part, de mesures urgentes concernant la surpopulation pénale, la rénovation de l’immobilier et l’effectif des surveillants, et d’autre part, d’une reprise en mains du fonctionnement de l’établissement, notamment aux fins de faire cesser le climat de violence.

[1] « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. »