Rapport de deuxième visite du centre de détention de Casabianda (Haute-Corse)
Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.
Synthèse
En application de la loi du 30 octobre 2007 qui a institué le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), quatre contrôleurs ont effectué un contrôle inopiné du centre de détention de Casabianda (Corse), du 4 au 8 septembre 2023. Cette mission constituait une deuxième visite, faisant suite à un premier contrôle réalisé du 18 au 21 mars 2014.
Le centre de détention de Casabianda est un établissement atypique par sa configuration, l’étendue de son site, son fonctionnement et au regard des possibilités d’emploi et de formation professionnelle proposées. Il s’agit d’une prison agricole, unique en France, dont le domaine s’étend sur une superficie de 1 480 hectares de champs et de forêts. L’établissement privilégie un régime de détention axé sur l’autonomisation de la personne détenue. Le recrutement se base sur l’adaptation au profil, essentiellement des personnes condamnées à de longues peines dans le cadre d’infractions à caractère sexuel, dont le dossier ne comporte pas de poursuites disciplinaires. Les détenus, pour leur part, doivent s’inscrire dans une démarche volontaire pour cette affectation et avoir conscience de la pénibilité du travail sur l’exploitation agricole et dans les élevages. Ce choix, allié à la conception du centre de détention, à son implantation et à sa taille, lui confèrent une ambiance des plus calmes.
Cet établissement n’en demeure pas moins une prison où, dans le cadre d’une contrainte matérielle allégée, les personnes détenues sont soumises à des règles.
La capacité théorique de l’établissement est de 194 places, l’établissement hébergeait 117 personnes le 4 septembre 2023, portant la densité carcérale à 60,82 %. Les personnes étaient majoritairement condamnées pour des faits de nature sexuelle sur mineurs et adultes (70,09 %), et pour des homicides et assassinats (26,5 %). Parmi elles, 60 % étaient âgées de plus de 50 ans.
Les bâtiments d’hébergement, quoique vétustes, sont bien entretenus, néanmoins les cellules ne disposent ni d’eau chaude, ni de douches, ni de WC. L’offre de travail et de formations professionnelles, propice à la réinsertion, est remarquable, les personnes détenues peuvent accéder à des qualifications grâce à la diversité des postes offerts par la régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP). L’emploi offert par les concessionnaires locaux n’est en revanche que saisonnier.
Lors de la visite des contrôleurs, 61 personnes détenues travaillaient, sur l’exploitation, à la réalisation et au développement de diverses productions (cultures diverses, élevages ovins et porcins, miel, huile d’olive, bois de chauffage) et aux ateliers mécaniques de réparation des engins agricoles, tandis que 44 autres étaient employées au service général (cuisinier, cantinier, buandier, auxiliaire d’étage, chauffeur, ouvrier de maintenance etc.)
Le régime ouvert et la liberté d’aller et venir sur le domaine n’engendrent pas d’incidents majeurs. Leur nombre est faible : seules 37 personnes ont été renvoyées devant la commission de discipline en 2022 pour 32 sanctions prononcées.
La psychologue chargée du parcours d‘exécution des peines assure un suivi actif des personnes détenues. Le SPIP développe des programmes axés sur l’emploi et anime des groupes de prévention de la récidive. Certains condamnés en seraient toutefois privés en raison d’une incompatibilité avec leurs heures de travail, ce que les contrôleurs dénoncent, toute mesure d’accompagnement permettant d’éviter la récidive étant à prioriser.
Les parloirs et les salons familiaux sont facilement accessibles mais la création d’une unité de vie familiale (UVF) est indispensable au maintien des liens familiaux, restreints en raison de l’éloignement géographique du centre de détention, du coût des transports et de la durée des peines.
S’agissant de l’aménagements des peines, le taux d’obtention est de 70 % mais les incidents disciplinaires donnent lieu à des mesures pénalisantes systématiques et non individualisées : retrait de crédit de réduction de peine et le refus de permissions de sortir.
Le point faible majeur relevé par les contrôleurs reste l’insuffisance de l’offre de soins. Des séances de kinésithérapie et la multiplication des consultations par un psychiatre doivent être envisagées de manière impérative au regard de la pénibilité du travail, de l’âge des détenus et des obligations de soins psychiatriques auxquels la plupart sont condamnés.
D’autres problématiques relevées tiennent aux modifications dans le fonctionnement de l’établissement. Ainsi, la sécurisation en cours : appels démultipliés, vidéosurveillance accrue et obligation du port du gilet pare-lame pour le personnel apparaît en contradiction avec le fondement même de ce type d’établissement et l’absence d’incidents graves. Pour sa part, le personnel témoigne d’un investissement fort et souhaite que perdure le fonctionnement actuel qui limite la désinsertion résultant généralement des longues peines. Il serait préjudiciable aux personnes détenues que ces nouvelles contraintes dénaturent le climat au sein de l’établissement alors que les contrôleurs ont constaté la congruence de son fonctionnement et la qualité de la prise en charge des détenus.
Cependant, bien qu’exceptionnel, ce centre de détention est susceptible de fermer en raison des enjeux politiques et économiques autour de sa localisation, notamment s’agissant du projet d’un camp de vacances de luxe sur un terrain enclavé dans l’emprise pénitentiaire. Les nombreux atouts de l’établissement justifient pleinement que le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire assurent sa pérennité et, au-delà, soutiennent ce modèle carcéral et le reproduisent.
Les contrôleurs ont été parfaitement accueillis par l’ensemble du personnel.
Un rapport provisoire a été adressé le 26 décembre 2023 à la directrice de l’établissement, aux chefs de juridiction de la cour d’appel de Bastia, aux autorités judiciaires du tribunal de Bastia, au directeur du centre hospitalier de Bastia et au directeur de l’agence régionale de santé de Corse, pour une période d’échange contradictoire d’un mois.
La directrice de l’établissement a transmis ses observations à la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté le 5 mars 2024 ; à leur tour, les chefs de cour ont apporté réponse le 19 avril 2024. Leurs remarques sont intégrées dans une police spécifique au présent rapport dans sa forme définitive.