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Rapport de la deuxième visite de l’établissement public de santé mentale de Sarthe à Allonnes (Sarthe)

Rapport de deuxième visite de l’établissement public de santé mentale de la Sarthe (Allonnes – Sarthe)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la santé, de la justice et de l’intérieur auxquels un délai de quatre semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Du 4 au 14 décembre 2023, neuf contrôleurs ont effectué une visite, annoncée la semaine précédente, de l’établissement public de santé mentale de la Sarthe (EPSM), contrôlé une première fois en février 2015.

L’EPSM est le seul établissement public de santé, autorisé en psychiatrie adulte et infanto-juvénile, habilité à accueillir les patients en soins sans consentement de la Sarthe, département comptant en 2020, 580 000 habitants selon l’INSEE.

Le contrôle a porté sur les neuf unités d’hospitalisation complète du pôle d’hospitalisation adulte et des personnes âgées. Ce pôle comporte cinq unités de psychiatrie polyvalente désectorisées pour les patients, les autres unités étant consacrées à la psychiatrie de la personne âgée, aux patients hospitalisés au long court et à la préparation à la sortie dans des établissements médico-sociaux. Les contrôleurs ont également visité l’unité pédopsychiatrique d’accueil et d’hospitalisation du pôle de psychiatrie enfants et adolescents ainsi que le service des urgences du centre hospitalier du Mans et ses structures satellites. Lors de la visite, il restait 197 lits d’hospitalisation complète à la suite de la fermeture en juillet 2023 de 42 lits du fait de la pénurie de ressources médicales et la capacité de trois unités de psychiatrie polyvalente adulte était de 23 lits au lieu de 17.

En 2022, le taux d’occupation des lits était supérieur à 100 % ce qui était encore le cas lors du contrôle, les dix chambres d’isolement étant utilisées comme chambres hospitalières. A l’entrée, 35 à 40 patients attendaient chaque jour leur admission, dont 11 à 20 patients aux urgences du centre hospitalier du Mans. De façon concomitante, peu de patients sortent définitivement de l’EPSM, 85 patients occupant un lit depuis plus de 292 jours. Ainsi, l’accès aux soins psychiatriques des Sarthois n’est plus totalement assuré. Les conditions et durée d’attente aux urgences sont toujours indignes malgré la fermeture de l’espace appelé le « Patio » par l’ARS Pays de la Loire en août 2023. Pour tenter d’y remédier, une zone d’attente préhospitalière pour les patients en soins libres a été créée en octobre 2023 sur le site de l’EPSM. De fait, les patients sont hospitalisés dans un service hospitalier sans pour autant avoir droit à l’accès aux soins prévu par les réglementations relatives aux conditions d’hospitalisation, cette zone étant uniquement paramédicalisée. Ceux qui y sont hébergés n’intègrent pas l’établissement, faute de lits, sauf à faire l’objet d’une décision de placement en soins sans consentement.

Le deuxième constat tient à la pénurie médicale. En intrahospitalier, ne restent en exercice au sein du pôle de psychiatrie adulte que neuf psychiatres de plein exercice, soit 5,1 ETP. Seules quatre des cinq unités de psychiatrie polyvalente ont un ou des psychiatres référents et les patients des autres unités ne sont vus qu’en cas d’urgence ou pour renouveler les certificats. Si les patients sont examinés à l’admission par un psychiatre, les entretiens suivants sont donc aléatoires. Du fait de la tension capacitaire, de nombreux patients hospitalisés connaissent deux unités différentes au cours de l’année, en cas de ré-hospitalisation. De plus, des sorties sont anticipées pour libérer un lit alors que les délais sont particulièrement longs pour accéder aux psychiatres en ambulatoire, ce qui interroge sur la continuité et l’adhésion aux soins.

Le temps médical au sein de l’unité de pédopsychiatrie ne permet pas d’assurer la présence d’un psychiatre tous les jours de la semaine et aucun pédiatre n’y intervient. Malgré les structures existant en amont pour éviter l’hospitalisation des enfants, 77 mineurs âgés de 16 à 18 ans ont été hospitalisés en secteur de psychiatrie adulte et nombre d’entre eux y ont été isolés et contenus.

Le personnel non médical ne connaît pas la même situation mais les taux d’absentéisme et de turn-over sont élevés sauf en pédopsychiatrie, complexifiant et différant l’accès aux formations, avec le risque de laisser de jeunes professionnels désarmés face aux patients violents et prendre de mauvaises habitudes professionnelles. Au sein des unités pour adultes, sauf quelques rares exceptions, plus aucune réunion clinique ni de synthèse n’est organisée alors qu’elles permettent l’élaboration et le suivi des projets de soins ainsi que la formation continue des soignants. Les patients ne sont pas acteurs, leur consentement n’est pas recherché et leurs observations ne sont pas recueillies. Soixante prescriptions d’injection forcée en « si besoin » étaient en cours. Il n’existe pas de directives anticipées en psychiatrie, de médiateur de santé pair, de réunions soignants/soignés. Les personnes de confiance ne sont pas mobilisées et les familles sont associées a minima aux soins. De façon générale, le droit à l’information n’est pas compris comme une composante des soins. L’information donnée aux patients est orale et dépend essentiellement du soignant qui la dispense.

L’offre d’activités thérapeutiques est très limitée. Les patients s’ennuient, déambulent dans des espaces clos et majoritairement restreints, sans toujours disposer d’un accès à l’air libre. Ceux des unités installées à l’étage du bâtiment Lantéri-Laura ne peuvent sortir que sur des passerelles, équipement particulièrement inadapté aux patients en crise.

Tout ceci engendre de la violence à laquelle il est répondu par des mesures d’isolement, à l’origine elles-mêmes de violences et nombre de soignants étaient en situation d’épuisement professionnel.

Le troisième constat majeur tient au fait que la liberté d’aller et venir des patients est inexistante. Sept des dix unités contrôlées, y compris celles n’accueillant que des patients en soins libres, ont leurs portes fermées en permanence et les décisions d’isolement et de contention sont nombreuses. Les dix chambres d’isolement nécessitent des aménagements pour respecter la dignité, l’intimité et la sécurité des patients. Lorsqu’elles sont occupées, le patient peut être isolé en espace non dédié ou dans une autre unité sans conservation du lit administratif. L’isolement, considéré comme « un soin », a paradoxalement pris une dimension disciplinaire et son recours est banalisé, confinant à une véritable culture de l’enfermement. Plusieurs patients ont fait part de leur ressentiment, voire de leur colère, à « avoir été attachés, enfermés » et d’autres en parlent comme d’un traumatisme. Le port du pyjama est imposé de façon systématique en CI mais aussi de façon punitive ou pour éviter les fugues. Les mesures d’isolement et de contention ne sont pas toutes tracées et les registres, peu fiables, ne donnent lieu à aucune réflexion. La politique visant à limiter le recours à ces mesures en est encore à ses balbutiements et les espaces d’apaisement, peu nombreux, sont très peu investis.

Les locaux d’hospitalisation sont bien entretenus. Les patients bénéficient de chambres individuelles avec salle d’eau, sauf en pédopsychiatrie, mais elles ne sont pas toutes équipées d’un verrou de confort. Les restrictions à la vie quotidienne sont globalement prescrites avec discernement (à l’exception du cordon de recharge du téléphone) sauf en pédopsychiatrie. Les unités disposent d’un salon des familles. La cafeteria, qui est un atout, pourrait être plus investie pour des activités.

Les patients détenus, une vingtaine par an, arrivent sans fiche de liaison pénitentiaire ce qui prive l’établissement d’informations essentielles et ces patients des droits dont ils disposent en prison. Par ailleurs ils ne sont pas informés de leurs échéances pénales le temps de l’hospitalisation.

 

Un rapport provisoire a été adressé le 19 mars 2024 pour échange contradictoire à la direction de l’établissement, au préfet, aux chefs de juridiction et à l’ARS qui ont tous longuement répondu, en mettant tout d’abord l’accent sur la situation globale de la psychiatrie dans la Sarthe. Depuis trois ans, le département connaît une sous-densité en médecins psychiatres, notamment en psychiatrie adulte où 50 % de postes vacants sont à déplorer à la fin du premier trimestre 2024. Cette pénurie médicale a occasionné des suppressions de lits disponibles. L’accès critique aux soins de proximité conduit à une prise en compte de patients en soins sans consentement dans une proportion très supérieure à la moyenne nationale, lorsque leur situation est plus fortement dégradée. Cela impacte de façon importante leur prise en charge thérapeutique et la durée celle‑ci. Le préfet souligne que l’ensemble de ces éléments conduisent les services à se mobiliser et à échanger très régulièrement aux fins d’expertiser des pistes de travail le cas échéant, l’EPSM représentant un enjeu fort d’accès aux soins psychiatriques. Pour remédier à cette situation et trouver des solutions pérennes, l’ARS indique que malgré un élan de solidarité sans précédent dans la région, et devant les difficultés structurelles persistantes de l’établissement, une mission ministérielle composée d’experts en psychiatrie issus du Groupe Opérationnel de la Psychiatrie de la Commission nationale de la psychiatrie sera prochainement lancée.