Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Recommandations en urgence relatives au centre de santé mentale Jean-Baptiste Pussin à Lens (Pas-de-Calais)

1er mars 2022

Au Journal Officiel du 1er mars 2022 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives au centre de santé mentale Jean-Baptiste Pussin à Lens (Pas-de-Calais).

L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au CGLPL, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.

Le ministre des solidarités et de la santé ainsi que le ministre de la justice ont été destinataires de ces recommandations, un délai de deux semaines leur a été donné pour répondre.

Lire les recommandations du CGLPL accompagnées des observations du ministre de la justice

Lire les observations du ministre des solidarités et de la santé

La visite du centre de santé mentale Jean-Baptiste Pussin (CSMJBP) à Lens, réalisée du 10 au 14 janvier 2022 par six contrôleurs, a donné lieu au constat d’un nombre important de dysfonctionnements graves portant atteinte à la dignité des patients et à leurs droits fondamentaux.

Les patients, y compris en soins libres, sont cloîtrés, souffrent de conditions d’hospitalisation médiocres, de placements à l’isolement indignes. Les droits, aussi peu connus des patients que du personnel, sont d’autant plus rarement mis en œuvre que les juges ne se déplacent pas dans l’établissement et s’accommodent des absences répétées des patients à leurs audiences. Ces dysfonctionnements, qui concernent l’ensemble de l’établissement, résultent d’une absence de pilotage global. Les intervenants reconnaissent leur désorganisation, les privations de liberté irrégulières, les mesures d’isolement et de contention sans décision médicale, notamment pour des patients en soins libres, et d’une façon plus générale, un insuffisant respect du droit.

 

Des atteintes graves et généralisées aux droits fondamentaux des patients

Même en soins libres, les patients ne peuvent aller et venir librement. Les patients sont enfermés la majeure partie de la journée et de la nuit alors que les locaux disposent d’un potentiel certain (espaces extérieurs, cafétéria, salles d’activités). Le bâtiment est la plupart du temps fermé, à l’exception des horaires d’ouverture de la cafétéria de 13h30 à 16h30, pendant lesquels les patients peuvent accéder à un espace extérieur contigu au parking d’entrée. Les quatre unités accueillant les patients sont fermées jour et nuit, excepté l’après-midi de 13h30 à 16h30. Au sein de chaque unité, des personnes peuvent être enfermées dans leur chambre sans décision ni contrôle médical.

L’intégrité physique des patients et le respect de leur vie privée ne sont pas garantis. Les patients ne peuvent pas fermer à clé leur chambre ni leur espace sanitaire. Ils n’ont pas d’intimité lorsqu’ils se lavent ou se rendent aux toilettes, n’ont aucune tranquillité. Plusieurs personnes hospitalisées, dont une jeune femme et un mineur, ont signalé ou déposé plainte pour des faits de harcèlement et d’agressions en chambre. Les patients ne peuvent pas appeler à l’aide car, selon des professionnels, le dispositif d’appel en chambre a été volontairement désactivé dans l’ensemble des unités en raison d’un usage par les patients estimé excessif. Le chauffage est très inégalement réparti et les chambres situées aux extrémités du bâtiment sont particulièrement froides.

L’accès aux soins est défaillant. Les patients pris en charge aux urgences font parfois l’objet de contention sur des brancards, au vu de tous dans les couloirs, et d’orientations en soins sans consentement sans évaluation psychiatrique. Au sein des unités, le projet de soins n’est pas défini et les patients n’y sont pas associés. L’examen des traitements pharmacologiques révèle la persistance de la prescription « si besoin », l’administration d’un traitement pouvant être réalisée sans examen médical préalable et impliquer l’emploi de la force, sans que les médecins présents ne soient appelés ni même avisés.

 

Des mesures d’isolement et de contention arbitraires, mises en œuvre dans des conditions indignes

Les chambres d’isolement sont indignes. Le CSMJBP compte officiellement deux chambres d’isolement particulièrement mal chauffées, sans horloge permettant de se repérer dans le temps ni dispositif d’appel accessible pour les patients attachés. Le patient enfermé ne peut pas voir l’extérieur au travers des vitres, opacifiées et sans ouverture possible. Il est exposé à la vue de tous par l’œilleton de la porte et les écrans des caméras de surveillance situés dans le poste infirmier, visibles depuis le couloir.

L’isolement et la contention sont pratiqués majoritairement en dehors d’espaces spécifiques, sur des patients adultes comme mineurs fréquemment hospitalisés en soins libres, parfois en dépit de décisions médicales. Ces mesures indistinctement en chambre d’isolement ou en chambre hôtelière, de sorte qu’il peut être considéré que le CSMJBP dispose de quatre-vingts chambres d’isolement potentielles. Aucune politique générale d’alternative à l’isolement n’est réellement mise en œuvre et le personnel ne bénéficie d’aucune formation spécifique en la matière. Le registre d’isolement est imparfaitement tenu et l’obligation d’informer le juge des libertés et de la détention (JLD) n’est pas respectée.

Alors que l’isolement et la contention ne peuvent être mis en œuvre que dans le cadre de soins sans consentement et sous des conditions strictes, les contrôleurs ont constaté que des personnes en soins libres subissaient des isolements de manière récurrente, sans modification de leur régime d’hospitalisation. Le registre informatique est mal renseigné, de sorte qu’aucune donnée fiable pour l’année 2021 n’a pu être extraite. Les mineurs subissent également des mesures d’isolement et de contention de durées préoccupantes, leurs droits ne sont pas plus respectés que ceux des autres patients et aucune réflexion n’est menée quant à leurs besoins particuliers. Fréquemment, le placement à l’isolement ou sous contention résulte d’une décision d’un membre du personnel soignant qui n’est pas toujours identifié ou de « l’équipe », sans décision médicale et sans contrôle médical a posteriori. Les psychiatres ne se déplacent pas toujours pour examiner un patient isolé en journée et encore moins la nuit.

Aucune mesure n’a été prise malgré les alertes répétées de la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP). La direction banalise ces dysfonctionnements multiples et les documents remis aux contrôleurs pour clarifier les pratiques se sont révélés être en parfaite contradiction avec diverses dispositions législatives et réglementaires.

 

Les patients ne connaissent pas leurs droits, ne sont pas encouragés à les faire valoir et les décisions de justice ne sont pas toujours respectées

Les patients en soins sans consentement ne reçoivent aucune information. Aucun livret d’accueil n’est remis aux patients. Deux feuillets de « règles de vie » sont affichés dans trois des quatre unités, ils ne comprennent aucune information à destination des personnes hospitalisées sans consentement. Ces dernières ne reçoivent aucun document énonçant leurs droits et les coordonnées des autorités susceptibles d’être saisies pour les faire valoir. Les décisions du directeur ou les arrêtés préfectoraux ne sont pas remis aux patients, qui ne reçoivent pas non plus systématiquement copie de celles du JLD.

Le cadre juridique des soins sans consentement n’est pas respecté. Les dispositions légales régissant les soins sans consentement sont largement méconnues de l’ensemble des professionnels. Les certificats médicaux des 24 et 72 heures sont parfois insuffisamment circonstanciés, ceux rédigés en vue de la prolongation mensuelle sont émis tardivement de sorte que la décision du directeur n’intervient pas dans les délais requis et peut être prise avec plusieurs jours de retard, si elle n’est pas antidatée pour couvrir les défaillances. Le registre de la loi, supposé permettre d’appréhender la situation juridique des patients, est mal renseigné.

Le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) est ineffectif. Avant même d’avoir reçu l’avis d’audience devant le JLD, le patient reçoit un document indiquant qu’il lui est possible de le « rencontrer » et lui proposant, sans plus de précision, d’y renoncer. Ainsi rédigé, ce document ne peut avoir pour effet que de dissuader les patients de se rendre à une audience dont, la plupart du temps, ils ignorent le motif et le sens. Les contrôleurs ont constaté l’existence de certificats médicaux attestant de l’incompatibilité de l’état de certains patients avec une comparution devant le JLD, en raison d’un risque de fugue, ce qui ne saurait être regardé comme un motif médical. Sur les six derniers mois de 2021, pour les quatre établissements de santé mentale du ressort du tribunal judiciaire de Béthune, le taux de présentation des patients devant le JLD est de 37 %. Malgré ce taux particulièrement faible, aucune analyse particulière des certificats médicaux d’incompatibilité ne semble être réalisée.

Les audiences du JLD se tiennent, non pas au CSMJBP mais à l’établissement public de santé mentale Val-de-Lys Artois à Saint-Venant ou au tribunal judiciaire de Béthune (40% des audiences environ en 2021). Le lieu d’audience est fixé le matin même à 9h, le greffe du JLD informant les établissements, la permanence des avocats, les tuteurs et curateurs par téléphone. Quant aux familles et proches, ils risquent de se présenter au mauvais endroit. Cette organisation ne garantit ni la publicité des débats, ni l’accès des proches, ni les droits de la défense et l’information du patient. Enfin, du fait de la totale désorganisation de la gestion des dossiers administratifs, le JLD ne dispose pas toujours d’un dossier complet le jour de l’audience.

L’éloignement géographique du juge, l’absence fréquente des patients, la tenue approximative des dossiers sont autant d’éléments qui entraînent un désintérêt préoccupant pour les décisions rendues, au point que les contrôleurs ont pu constater qu’une décision de mainlevée de la cour d’appel était restée inexécutée.

Le centre de santé mentale Jean Baptiste Pussin à Lens doit faire l’objet de mesures urgentes de réorganisation de son fonctionnement pour garantir aux patients, hospitalisés en soins libres ou sans consentement, le respect de leur dignité, de leur intégrité et de l’ensemble de leurs droits fondamentaux.

Les dysfonctionnements observés étant anciens et d’une particulière gravité, aggravés encore par le manque de formation du personnel, le plan de transformation de cet établissement doit être étroitement accompagné par les autorités de tutelle. Les ministres sont invités à élaborer un plan d’action détaillé et public organisant conjointement la transition vers des pratiques respectueuses de la dignité et du statut des patients.